Structure incontournable de l’écosystème numérique montréalais, la SAT (Société des arts technologiques) a su s’inscrire comme une des places fortes en matière d’innovation et de R&D artistique. Des dizaines de projets sont ainsi accompagnés et questionnent profondément le rôle des technologies dans le champ créatif, notamment dans le spectacle vivant. Alexandra Marin, gestionnaire de services en R&D à la SAT (un rôle qui s’apparente à celui de productrice), insiste sur le rôle de l’innovation et témoigne de quelques expériences en cours.
Interview réalisée à l’occasion de l’invitation d’Alexandra Marin aux rencontres professionnelles SVSN, un événement co-organisé par Dark Euphoria, Le Grenier à Sel, La Villa Créative, Avignon Université et la French Tech Grande Provence. Les 5 et 6 juillet 2024 dans le cadre du Festival d’Avignon.
Cover: Bluf 📸 Andrée-Anne_Laroche
A la SAT il y a le dôme… mais pas que. Il faut notamment regarder du côté du département d’innovation pour s’apercevoir de la qualité du travail entrepris depuis près de deux décennies. Un travail qui répond en tout premier lieu à des enjeux d’exploration des technologies : “Notre mission est d’accompagner les créateurs-trices dans les explorations et expérimentations à travers une approche de R&D et de recherche-création. C’est la recherche aux services de la communauté artiste, pas le contraire. Notre rôle est essentiel pour défricher le potentiel créatif, rappelle Alexandra Marin, avant de poursuivre, notre posture est claire, nous voulons favoriser l’innovation des artistes et des structures du territoire comme à l’international grâce à de l’accompagnement et l’innovation ouverte.” Concrètement, des expert·es et plusieurs docteur·es en recherche (son spatialisé, détection de pose, scénarisation d’ environnement immersif etc) composent l’équipe du Laboratoire qui met à disposition un panel de solutions comme la mise en commun de ressources “il existe une boîte à outils en open source. Nous cherchons à construire le plus de ponts possibles entre les technologies open source et les logiciels propriétaires comme TouchDesigner, Ableton live très utilisés dans le secteur créatif, afin de s’adapter aux besoins réels des artistes“.
Les technologies, la clé de l’hybridation ?
Justement parmi toutes ces possibilités créatives, le département de l’innovation (plus généralement la SAT) s’est intéressé de près aux expérimentations numériques dans le spectacle vivant. Alexandra Marin, qui participe en juillet 2024 à la table ronde “Scènes réelles vs scènes virtuelles : l’avenir du spectacle vivant sera-t-il hybride ?” de l’événement Spectacle Vivant, Scènes Numériques organisé le 6 juillet prochain à Avignon (voir programme), précise d’abord les termes du débat : “L’hybridation – ou hybridité – recouvre des réalités et des perceptions différentes selon les interlocuteur·rices. Le concept s’appuie sur trois notions : l’hybridation des espaces, l’hybridation des disciplines et l’hybridation des médias”.
Quoi qu’il en soit, Alexandra Marin refuse de croire à un avenir où le spectacle vivant serait totalement dématérialisé : “même si la période COVID-19 a accéléré la dématérialisation, ce n’est sans doute pas une réponse unique. Il faudra sans doute trouver un mixte entre des performances dématérialisées et une diffusion dans des salles de spectacle. A mon sens, c’est une offre complémentaire qui doit encore être explorée. C’est notamment pour cela que le spectacle vivant a besoin de la R&D“.
La téléprésence
Dans cette optique, la SAT a engagé un vaste chantier sur la téléprésence à travers Scenic, un outil de collaboration audiovisuelle en téléprésence qui permet aux artistes et aux diffuseurs de créer des spectacles, des expériences immersives ou d’autres activités en plusieurs lieux simultanément. “La question est de savoir comment des acteur·rices peuvent interagir dans deux lieux différents, ? Qu’est-ce que cela produit ? ” explique Alexandra Marin. Pour le néophyte, la plus-value du dispositif ne saute pas directement aux yeux. Pourtant, imaginez que des flux de données (celles produites par les artistes ou par le comportement du public) puissent influer sur une création ? Bluff, une production entre trois théâtres, a ainsi laissé entrevoir de belles promesses. “La pièce a été conçue pour être jouée par 3 acteurs, sur 3 scènes et pour 3 publics différents.Les acteur·rices interagissent entre eux et à distance. La scénarisation et la scénographie sont conçues en fonction de ces contraintes. Le jeu est différent. Ce sont des nouveaux codes qui ouvrent des perspectives de création.” poursuit Alexandra Marin.
A l’occasion des 25 ans de MUTEK Montréal, deux prototypes – imaginés par les artistes Lunice, Simon Chioini, Myriam Boucher – sont également présentés aux publics, en partenariat avec Moment Factory, : “Deux démonstrations de permettront de présenter des cas d’usages de performances hybrides. Nous nous intéressons particulièrement aux relations artiste-artiste, artistes-publics et publics-publics. Ces performances capteront les flux de données et les retraduiront, parfois de manière abstraite, dans une autre salle. On observera comment les publics perçoivent l’œuvre dans la salle dans laquelle ils se trouvent, mais aussi la façon dont ils ressentent la présence des performeurs et publics distants. L’idée avec ce nouveau projet de recherche est d’affiner les mécaniques d’interaction de la téléprésence“ détaille Alexandra Marin. Un bilan et des recommandations seront ensuite réalisés pour orienter les développements futurs.
De nouveaux territoires de diffusion
Le département d’innovation a également mené d’autres initiatives inspirantes. Entre 2020 et 2023, un projet naît avec l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) visant à explorer de nouvelles manières d’écouter la musique classique en dehors d’une salle de concert. Alexandra Marin explique que “l’équipe de la SAT a enregistré un concert avec des méthodes de captation ambisoniques. La présentation du prototype de la pièce captée en son spatialisé a ensuite été présentée dans le dôme de la SAT. L’intérêt est de vivre une expérience unique permettant de naviguer dans l’orchestre, de s’approcher d’un instrument. En fait, cela permettait de vivre une expérience impossible ailleurs qu’à travers ce dispositif.” Satellite est un autre outil qui a été développé par la SAT de recherche qui peut s’appliquer au domaine du spectacle vivant. Il s’agit d’une plateforme webXR , sociale, accessible et personnalisable proposant une expérience proche de l’idée d’un métavers. “Avec Satellite, nous avons poussé la question de la navigation dans l’orchestre plus loin. Nous l’avons déployée en ligne afin qu’elle soit accessible sur le web et permettant aux utilisateur·rices de faire l’expérience d’une pièce symphonique en spatialisé dans le confort de leur maison”.
Une solution, certainement pas une panacée
Malgré toutes ces pistes, Alexandra Marin refuse pourtant de voir dans ces dispositifs une solution miracle répondant aux enjeux actuels du secteur de la culture. Elle relativise d’abord l’argument récurrent du renouvellement des publics grâce au numérique “nous n’avons pas réalisé d’étude d’impact à ce sujet et je ne suis pas sûr que soit aussi simple que cela, avant de conclure sur l’impact écologique, on pourrait se dire que toutes ces solutions économisent le déplacement des artistes ou des publics, qu’elles vont dans le sens de la décarbonation. Mais honnêtement je préfère rester prudente quand on parle d’écologie et de technologie. Le numérique a plutôt tendance à alourdir notre empreinte. Ce sont aussi des choses que nous devons prendre en compte dans la recherche et l’innovation”.
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