Quel regard adopter face à l’innovation et le numérique dans le spectacle vivant, industrie existante depuis des centaines d’années ? Antoine Vanel (aka Blindsp0t) est de cette nouvelle génération d’artistes numériques qui ont grandi en parallèle de l’éclosion des nouvelles technologies, et s’en est emparé pour réinventer le dialogue avec le public.

Interview réalisée à l’occasion de l’invitation d’Antoine Vanel aux rencontres professionnelles SVSN, un événement co-organisé par Dark Euphoria, Le Grenier à Sel, La Villa Créative, Avignon Université et la French Tech Grande Provence. Les 5 et 6 juillet 2024 dans le cadre du Festival d’Avignon.
Blindsp0t, artiste numérique contemporain
Antoine Vanel – J’ai une formation d’ingénieur informatique, diplôme que j’ai obtenu à l’UTBM de Belfort en 2006. J’ai eu plusieurs expériences dans des SSII et des start-ups, sans être totalement épanoui. Je me suis alors consacré à la recherche, en rejoignant un laboratoire de recherche de l’INRIA à Grenoble pendant 3 ans (2008-2011), et c’était déjà pour travailler sur une plateforme de captation en réalité virtuelle, Grimage. A l’époque, les casques modernes n’existaient pas et on devait bricoler des dispositifs avec des contrepoids pour équilibrer le visionnage. Cette plateforme est aujourd’hui plus connue comme un des outils principaux de capture volumétrique, 4DViews. Nous y avons développé la technologie et les algorithmes dédiés. Et c’est toujours assez innovant, car cela permet de capter beaucoup plus de détails (et de mouvements) que d’autres dispositifs. Je m’y occupais des ordinateurs de calcul, auxquels étaient reliées nos caméras, pour obtenir un rendu en temps réel.
Antoine Vanel – C’est à ce moment-là que j’ai bifurqué vers la création artistique. J’ai découvert les univers de la danse, et j’ai décidé de m’intéresser à l’intersection des arts vivants et de la création numérique. Je me suis rapproché de Lyon et de l’association AADN. Ensemble, nous avons pu proposer du mapping interactif à la Fête des Lumières. J’ai créé Blindsp0t, comme auteur et artiste, et avancer dans ces domaines. Aujourd’hui, je développe des projets solo, des collaborations mais aussi des missions d’ingénierie de temps à autre pour d’autres artistes, des studios.
Antoine Vanel – J’ai plongé dans l’informatique très tôt, avec toujours l’idée de montrer quelque chose au-delà du code. La collaboration avec le spectacle vivant fait sens pour moi, à la fois dans ce moyen d’expression que dans la finalité que cela peut avoir – et la discussion avec le public. Je m’affirme enfin comme artiste numérique, même si je suis totalement autodidacte. Je n’ai suivi aucune formation spécifique, je me suis formé en direct avec la passion du code. J’aime transformer ces outils technologiques en moyen d’expression, car le code ne parle pas directement au public ! Il faut transformer ces outils numériques en moyen d’expression. Quand on produit une œuvre pour le public, on a plusieurs outils en main. Et la question de l’interactivité revient souvent.
Antoine Vanel – Il faut imaginer des moyens adaptés aux spectacles proposés, et à l’écosystème. Quand je travaille pour le collectif Invivo (comme pour 24/7, LES AVEUGLES), j’apprends à travailler dans le monde de l’art, avec la souplesse nécessaire, et moins de rigueur sur le code que dans une start-up. Invivo voulait travailler avec la technologie, et avait beaucoup d’idées. S’il n’y a pas de cohérence entre les artistes et le développeur, cela peut donner des choses qui ne fonctionnent pas – ou ne sont pas adaptées au contexte du théâtre, du spectacle vivant, etc. J’ai appris toutes techniques et sécurités nécessaires pour faire tourner un spectacle. Car l’intérêt, c’est que cela marche !

Aborder toutes les disciplines de la création immersive et numérique
Antoine Vanel – J’adore la pluralité des formats, qu’il s’agisse de la XR ou du dôme, du spectacle vivant à l’application, et tout ce que cela peut offrir. Je travaille souvent dans le même moteur de création 3D (Unity), mais pour des objets artistiques totalement différents. Dôme, VR, AR, MR… C’est l’écriture qui diffère. Et croire qu’on peut adapter (porter) le même projet pour plusieurs formats, ça n’est pas si simple. Il y a des questions narratives, artistiques, qui dépassent le simple reformatage technique.
J’ai fini un projet à la SAT de Montréal pour les salles dôme, FIELDS. Mais c’est un projet avec une ambition très locale, puisqu’on demande à rencontrer des spectateurs avant chaque performance (2-3 jours avant). On leur pose des questions sur les lieux emblématiques de leur vie, autour de chez eux. On enregistre le son et les coordonnées GPS sur place. J’ai créé un algorithme qui va récupérer les datas de Google Street View des lieux repérés. Le résultat : des photos 360, et des points de vue différents, ce qui me permet de recréer un nuage de point. Mon compositeur Alexis recréé la musique en fonction des ambiances. Au final, on rejoue ces visites de manière très subjective en dôme lors de la séance !
GERMINATION, c’est une co-création avec Joris Mathieu, qui dirige le TNG à Lyon, et Nicolas Boudier de la compagnie Haut et Court. J’ai collaboré très tôt avec eux pour développer le projet en choisissant la technologie à utiliser ; des lunettes de sous-titrage du théâtre, ou des Magic Leap. J’ai évidemment choisi les Magic Leap, pour essayer de proposer une pièce de théâtre en réalité augmentée. Nous avons dû créer tout de base, en apprenant à utiliser les Magic Leap qui n’étaient pas prévu pour l’obscurité de la salle, l’éloignement avec la scène.. Mais la pièce existe ! C’est une œuvre qui témoigne des utopies majoritaires face aux enjeux climatiques : le transhumanisme, l’animalisme et le cosmopolitisme. Avec trois personnages enfermés dans une serre qui vont vivre une expérience sous forme de télé-réalité. Chacun y défend son point de vue.

TO BE A MACHINE (VERSION 2.0) est une production irlandaise, basée à Dublin, par la compagnie Dead Centre and Mark O’Connell. La première a eu lieu là-bas, mais cela devrait arriver en France au premier trimestre 2025 à la Comédie de Reims. C’est une pièce de 45 minutes avec de la vidéo 360, pour une dizaine de spectateurs, où on se retrouve dans la peau de Jack Gleeson (qui a joué dans Game of Thrones). Lorsqu’ils achètent leur place pour le spectacle, les spectateurs sont invités à faire un selfie que j’utilise ensuite pour créer des deep fakes qui sont utilisés dans le spectacle. On y parle d’identité, de VR et de l’avenir du théâtre.
spectacle vivant, scènes numériques / “Le spectacle vivant a besoin de la R&D” Alexandra Marin (SAT)

Vers un avenir numérique pour le spectacle vivant ?
Antoine Vanel – Dans les nouvelles technologies qui arrivent, tout va trop vite. Il faut pouvoir suivre l’actualité, mais aussi tester, essayer, confronter ces technologies. Elles apportent souvent des petites nouveautés, mais peu de réelles innovations. Pour ma part, j’essaie d’y trouver une façon de les détourner, de questionner les usages pour lesquels ils sont conçus initialement, d’en faire autre chose . Évidemment, l’intelligence artificielle est un champ d’investigation fascinant. Effrayant, un peu aussi. Je travaille le sujet, je développe des moteurs, et je vois comment la réutiliser. L’IA devrait faire partie de ma prochaine création.

Antoine Vanel – Il y a une grosse envie de numérique dans les projets du spectacle vivant. Beaucoup de lieux ou de compagnies me contactent, mais il y a une pédagogie à créer autour de ce nouvel espace de création. Il faut expliquer les limites de la technologie, que ce qu’on peut faire sur un téléphone ou dans une salle c’est différent. Quand j’ai travaillé sur DATAPRINT (développé dans le cadre du programme Chimères), nous voulions illustrer l’usage de nos datas en donnant un téléphone à manipuler aux spectateurs. J’avais créé une application avec du tracking des spectateurs, de la réalité augmentée. Mais d’autres idées n’ont pas pu se finaliser, sur des usages simples du quotidien mais qui étaient hors de portée. En fonction du temps imparti, de nos petites équipes (je suis souvent seul), et des intentions du théâtre (utiliser la vidéo, etc.) il faut s’adapter aux moyens disponibles pour proposer le meilleur spectacle possible. Et surtout, être assez souple pour avancer en cours de production avec les impératifs du spectacle vivant.
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