Présenté en première mondiale le mois dernier au GIFF 2023, dans le cadre de la compétition internationale d’expériences immersives, BLOOM est un voyage profondément spirituel qui invite l’utilisateur à contempler la vie et à reconnaître les formes sous lesquelles elle se manifeste dans le monde qui nous entoure.
Créé par Fabienne Giezendanner, Igor Carteret et Marcel Barelli et réalisé par Fabienne Giezendanner avec Franck van Leeuwenostruita, BLOOM est une expérience VR qui demande à l’utilisateur de s’arrêter et de savourer le monde virtuel qui l’entoure, décrit avec une délicatesse visuelle qui correspond parfaitement au thème écologique qu’il entend présenter et qui permet aux communications invisibles qui se déroulent autour de nous d’apparaître sous nos yeux dans toute leur beauté.
Le rôle des souvenirs, de l’art et de la nature au cœur de BLOOM
FABIENNE GIEZENDANNER – Ayant grandi à Ornans, dans une vallée très boisée du département du Doubs, j’ai éprouvé le besoin d’y retourner très souvent après le décès de mon père. Les souvenirs et les impressions de mon enfance me reviennent, notamment les promenades en forêt et les arbres qui ont été mon premier terrain de jeu. Le peintre Gustave Courbet, originaire de cette région, a également influencé mon enfance ; l’un de mes ancêtres avait appris la peinture avec lui et les murs de notre maison étaient couverts de toiles représentant des paysages dans le style de Courbet. Gustave Courbet a aussi magnifiquement exprimé la force vitale des arbres, avec ses nombreux sous-bois et le célèbre Chêne de Flagey. C’est donc tout naturellement que Gustave Courbet a été le point de départ de notre recherche graphique, et dans BLOOM nous retrouvons également les animaux qu’il a souvent peints : cerfs, faons, renards, truites…

Alors que l’idée d’un projet sur les arbres prenait forme, j’ai rencontré Ernst Zürcher, décrit comme l’homme qui écoute les battements de cœur des arbres. Chercheur atypique, cet ingénieur forestier mêle science et spiritualité pour percer les liens mystérieux entre l’arbre et l’homme. Il est l’auteur du passionnant ouvrage Les Arbres, entre visible et invisible. S’étonner, comprendre, agir (Actes Sud), dont je me suis inspiré pour ce projet – Ernst Zürcher en était d’ailleurs le conseiller scientifique.
Comme il le décrit si bien, les arbres se souviennent des traumatismes (maladies et sécheresses, attaques diverses) et les anticipent, s’entraidant en cas d’agression. Leurs modes de communication sont étonnants :
- Par leurs racines : ils ont développé des milliers de kilomètres de micro-racines, créant une sorte d’internet forestier.
- Par des vibrations acoustiques et électromagnétiques proches de la résonance de Schumann, imperceptibles à nos oreilles.
Comme ils partagent les mêmes fréquences vibratoires avec la flore et la faune qui gravitent autour d’eux au fil des saisons, ils peuvent communiquer avec elles. Une question m’est alors venue à l’esprit : si les arbres peuvent communiquer entre eux et avec la faune et la flore qui les entourent, peuvent-ils communiquer avec nous, les humains, et vice-versa ?
C’est ainsi que m’est venue l’idée de faire dialoguer un public avec les arbres dans une forêt virtuelle.
Toutes ces couches – la mort, l’enfance, Courbet et le dialogue avec le chêne – s’entremêlent et sont perceptibles dans l’expérience. Mais c’est l’histoire de la résilience après la mort et l’ancrage dans un territoire forestier solide qui m’ont guidé.
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Les multiples niveaux d’une histoire qui place la nature et notre lien avec elle au centre.
F. G. – BLOOM a été conçu comme un voyage initiatique : nous partons du chaos pour arriver à la renaissance : BLOOM vers une nouvelle vie ! (slogan BLOOM)
L’histoire de BLOOM nous raconte comment, après une grande sécheresse (malheureusement d’actualité cet été) et un incendie, nous n’avons d’autre choix que de nous réfugier dans une forêt pour survivre. Elle nous raconte aussi comment un chêne nous adopte dans sa communauté et nous transforme progressivement en arbre.
Par coïncidence, un film qui marche bien, LE REGNE ANIMAL, vient de sortir en France : dans ce film, des humains se transforment en animaux et retournent à la vie animale. BLOOM est presque la même histoire, mais il aurait pu s’appeler LE REGNE VEGETAL. Dans les œuvres que je réalise, j’aime placer l’homme au même niveau que les animaux et la nature, jamais au-dessus d’eux, comme c’est le cas dans BLOOM.

Dans cette pièce, j’utilise des graphiques et des sons pour révéler le dialogue invisible entre les arbres dans une situation de stress dû à la canicule. Il en ressort un message écologique sur l’importance de préserver les forêts et de renouer avec elles, et d’encourager les gens à les redécouvrir et à les respecter, car elles sont essentielles à la survie de notre planète.
Plus intimement, les lieux de BLOOM sont ceux de mon enfance : le pont sur lequel se déroule une partie de l’expérience est celui où j’allais à l’école ; la forêt où se trouve le chêne et où l’on rencontre le cerf se situe dans le Ravin du Puits noir, qui existe pour de vrai, autrement dit le salon des peintres parce que Courbet l’a souvent peint. Le ruisseau qui le traverse s’appelle la Brême, qui était un de mes ruisseaux préférés quand j’étais enfant, mon grand-père y pêchait la truite.
Toutes ces couches – la mort, l’enfance, Courbet et le dialogue avec le chêne – s’entremêlent et sont perceptibles dans l’expérience, bien que je n’aie pas voulu les montrer explicitement. Mais c’est l’histoire de la résilience après la mort et l’ancrage dans un territoire forestier fort qui m’ont guidé.
Montrer ce qui est invisible pour les yeux et imperceptible pour les oreilles
F. G. – J’aime montrer et raconter l’invisible.
To express the invisibility of the dialogue with the oak, I created a highly sensory language in which the spectator interacts with coloured lights and sounds. At the start of the project, I had even planned an olfactory scenario, which I didn’t keep because it was too complex to put in place.
Pour exprimer l’invisibilité du dialogue avec le chêne, j’ai créé un langage très sensoriel dans lequel le spectateur interagit avec des lumières et des sons. Au début du projet, j’avais même prévu un scénario olfactif, que je n’ai pas conservé car il était trop complexe à mettre en place.
Graphiquement, avec Igor Carteret et Franck Van Leeuwen, nous avons imaginé un rendu graphique granuleux. Il se trouve que le tableau de Gustave Courbet, vu de près, est truffé de petits points, nous avons donc trouvé une autre façon d’exprimer l’énergie de la nature à travers ces petits points. Benjamin Foudral, conservateur du Musée Courbet, nous a envoyé des images haute définition du tableau et nous en avons extrait des échantillons que nous avons utilisés pour créer les textures. Mais je n’ai pas cherché à faire une œuvre semblable à celle de Courbet. Son travail a surtout été une source d’inspiration, un point de départ.

Si le principe de l’œuvre est de montrer l’invisible, il s’agissait aussi de faire entendre l’inaudible !
Les fréquences de Schumann sont à la base de la création du son. Les arbres communiquent entre eux et avec la terre et la lune par le biais de basses fréquences appelées fréquences de Schumann, qui pulsent à 7,8 Hz. En tant que telle, elle est inaudible (l’oreille ne perçoit pas les sons inférieurs à 20Hz), mais c’est sur cette fréquence et ses harmoniques – ou sous-harmoniques – que Jean-Christophe Cheneval, le compositeur, a calibré les différents oscillateurs des instruments électroniques, utilisés notamment pour la conception sonore de BLOOM.
Pour les instruments acoustiques utilisés dans BLOOM – nyckelharpa, violon, orgue, voix et quelques instruments virtuels – Jean-Christophe a opté pour un diapason de LA à 432 Hz, la fréquence la plus proche de celle de Schumann. C’est également la fréquence de résonance de l’eau, un élément très présent dans la pièce.
L’Effet Proteus et le franchissement des frontières entre les réalités.
F. G. – La première expérience immersive qui m’a marqué était Notes on Blindness, où l’on incarne un adulte devenant aveugle. S’incarner est très important pour moi car je trouve que les émotions sont décuplées. Dans mes créations, telles que DREAMIN’ ZONE et BLOOM, nous interagissons non seulement avec l’environnement à travers le personnage que nous jouons, mais nous nous transformons également au cours de l’expérience. Notre avatar évolue et l’histoire s’imprime sur notre chair.
J’ai récemment découvert le travail d’Anatole Lécuyer, chercheur à l’Inria à Rennes, sur l’Effet Proteus. Il explique comment un spectateur adapte son attitude et son comportement en fonction de l’avatar qu’il incarne : par exemple, s’ils jouent Léonard de Vinci, leur créativité sera décuplée, tandis que s’ils sont Einstein, ils seront meilleurs en mathématiques. Ce phénomène peut durer quelques minutes, quelques heures ou même plus longtemps après avoir quitté l’expérience.

Lorsque vous portez un casque, la zone émotionnelle frontale de votre cerveau fonctionne, mais également la zone de survie, qui se trouve plus en arrière dans le cerveau. Pour moi, qui viens de l’animation, c’est nouveau. Ainsi, en tant qu’artiste, j’ai profité de cela en créant des voyages oniriques dans lesquels j’aide le spectateur à évoluer, principalement à la suite du chaos ou de la prise de risques, comme la petite fille dans DREAMIN’ ZONE qui désobéit et s’aventure dans la Zone Démilitarisée pour retrouver son père.
J’aime vraiment travailler sur les franchissements de frontières. L’une qui m’intéresse est celle entre la vie et la mort. Dans DREAMIN’ ZONE, nous franchissons les frontières entre l’enfance et l’âge adulte, entre l’obéissance et la désobéissance, du Sud vers la Corée du Nord. Dans BLOOM, c’est le passage de l’humain au végétal, de la mort à la vie, de la réalité au rêve. Car dans mon récit, franchir les frontières est un moyen de changer notre état et de nous faire grandir dans le sens de prendre conscience.
Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés n’est pas de couper notre public de la réalité, mais d’étendre les émotions des utilisateurs du virtuel au réel, de les encourager à regarder le monde qui les entoure avec un regard neuf.
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Distribuer BLOOM
F. G. – Une version autonome est actuellement disponible pour les casques Oculus 2 et 3. Terminée en novembre 2023, l’œuvre commence tout juste son parcours en festival, avec une 1ère sélection dans le cadre de la compétition internationale au GIFF 2023. Elle est distribuée par Diversion Cinéma.
Une autre version est en cours de développement (avec l’aide notamment de PICTANOVO), mais cette fois l’histoire sera collaborative et adaptée pour la plateforme française VRROOM. C’est l’une des premières fois que nous aurons une narration immersive et une fiction collaborative en ligne. L’histoire reste la même – le voyage des utilisateurs du chaos à la vie – mais elle se déroulera sous forme de performance en direct. Le décor de la dernière étape deviendra la salle sociale, où nous pourrons organiser des événements tels que des concerts et des conférences.

Sur l’avenir des technologies immersives : apporter les émotions “virtuelles” dans le monde réel
F. G. – Les technologies immersives permettent de décupler les émotions, de révéler l’invisible et de regarder (dans mon cas) la réalité de manière poétique, une fois le casque retiré.
J’espère que les dispositifs deviendront plus légers dans un avenir proche et que les interactions deviendront de plus en plus naturelles et précises, et que la réalité virtuelle gagnera en popularité.
Dans DREAMIN’ ZONE, avec une utilisation limitée de l’IA, nous avons créé de petits personnages timides qui s’arrêtaient de bouger si l’utilisateur se déplaçait trop rapidement. Aujourd’hui, j’aimerais aller plus loin avec l’IA en créant une fiction avec des personnages programmés pour s’adapter très précisément au comportement de l’utilisateur, créant ainsi un véritable effet miroir avec eux, et même une prise de conscience.
Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés n’est pas de couper notre public de la réalité, mais d’étendre les émotions des utilisateurs du virtuel au réel, de les encourager à regarder le monde qui les entoure avec un regard neuf, et si possible, de les inciter à prendre des mesures concrètes pour faire face à une crise, comme la crise climatique. Il y a un peu de ce rêve dans BLOOM.

BLOOM est une œuvre réalisée par Fabienne Giezendanner et Franck Van Leeuwen. Vous pouvez trouver plus d’informations sur la page Unifrance dédiée au projet. Restez à l’écoute pour les mises à jour sur la version multi-utilisateur !



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