Le monde du jeu vidéo indépendant est pétri d’expériences narratives à la portée émotionnelle ambitieuse. Avec sa dernière création THE WRECK, le studio français The Pixel Hunt a voulu traiter de manière frontale les conséquences et la peur du deuil dans un jeu vidéo bouleversant.
On suit Junon, une jeune femme au chevet de sa mère à l’hôpital alors que cette dernière a subi un AVC. La trentenaire apprend alors avec surprise qu’elle a la responsabilité de sa mère sur son traitement médical alors que son pronostic vital est engagé. On comprend alors que la relation entre les deux est conflictuelle depuis son enfance. Fuyant la situation, elle décide de quitter l’hôpital et prend sa voiture, avant de se retrouver dans un accident, qui fera remonter tous ses souvenirs.
On explore alors ces souvenirs avec la voix off de Junon, tout en débloquant ses différents états d’âme en cliquant sur des mots dans le décor. On dévoile ainsi au fur et à mesure les secrets que le récit nous cache habilement, ceux de cette famille profondément dysfonctionnelle. À mi-chemin entre le visual novel et le point & click, THE WRECK est un jeu à lire et à ressentir. Ce premier accident en cache un tout autre, inspiré par l’histoire personnelle du créateur du jeu, Florent Maurin.
La boucle de gameplay proposée par le jeu tend à émuler les différentes épiphanies du personnage de Junon liées à son histoire personnelle et familiale. Les thématiques sont dures et traitées justement sans aucune tonalité larmoyante : si les mécaniques de gameplay sont somme toute minimalistes, elles sont au service d’une portée émotionnelle vertigineuse par son universalité qu’il s’agisse de la famille, du couple, de la résilience face au trauma. En ça, le jeu est un modeste petit frère français à WHAT REMAINS of Edith Finch, qui explorait lui aussi les destins tragiques des différents membres d’une famille aux secrets bien gardés.
Nous avons posé quelques questions à Florent Maurin, président du studio The Pixel Hunt et co-scénariste du jeu.
D’où est venue l’idée de THE WRECK ? Comment votre vie personnelle a-t-elle influencé l’écriture du jeu ?
Il y a plusieurs origines, en fait. Déjà, depuis que je suis devenu parent, la question très angoissante de la possibilité de perdre un enfant me hante. À vrai dire, je crois qu’elle est présente chez toute personne dans ma situation, mais la plupart du temps, on ne préfère pas trop y penser, et plutôt la brosser sous le tapis – ce qui est très compréhensible !
Seulement, il y a quelques années, alors que j’emmenais ma seconde fille à la crèche, j’ai eu un accident de voiture. Heureusement pour nous, nous nous en somme sortis sans dommages corporels, mais l’événement m’a tout de même beaucoup secoué, d’autant que j’ai expérimenté ce que, jusque là, je pensais être un trope de film : j’ai vu des moments de ma vie défiler devant mes yeux, alors que l’accident se déroulait “au ralenti”.
C’est cette expérience, et une réflexion autour de l’impact qu’elle aurait pu avoir sur ma vie, qui est à l’origine de l’histoire de THE WRECK. En outre, cette histoire, je l’ai écrite avec ma sœur Coralie. Et si elle est loin d’être autobiographique, nous l’avons néanmoins nourrie de notre histoire familiale commune, qui a été, pendant notre adolescence, plutôt compliquée.
Comment avez-vous conçu le game design après l’écriture de l’histoire ? Vous commenciez déjà à y penser à l’écriture ou cette structure est venue dans un second temps ?
Une première structure m’est venue tout de suite après mon accident. Dans cette version, tout le jeu se passait dans l’accident au ralenti, avec les objets qui se mettaient à voler autour du personnage principal et fonctionnaient comme des portes vers des souvenirs – sans qu’on quitte jamais cette position “dans la lessiveuse” de la voiture en train d’être détruite. Mais si cette idée était conceptuellement intéressante, dans les faits, elle n’était pas aussi convaincante que prévu – c’est notre premier prototype qui nous a appris ça.
Nous avons donc remis notre ouvrage sur le métier, et nous avons imaginé la structure actuelle, qui fonctionne un peu comme une boucle temporelle, et dans laquelle les souvenirs sont eux aussi des boucles. Cette seconde structure, quoique peut-être un peu plus classique, était nettement plus efficace pour servir notre objectif de design : proposer au joueur de plonger profond dans la psyché de notre personnage principal, Junon.
Vous proposez une version novélisée de THE WRECK, qu’apporte le médium du jeu vidéo à une telle histoire par rapport au roman ou au film par exemple ?
Pour moi, ce sont deux expériences totalement différentes. La version novélisée de THE WRECK (qui s’appelle Dans un Ciel serein), vous ouvre une fenêtre sur un personnage perdu, hébété, qui galère pendant 300 pages pour tenter de se remettre en selle dans sa vie. Le jeu vidéo, au contraire, vous met dans une position de combat : il vous revient, par vos actions, de la pousser dans ses retranchements les plus obscurs. Le gameplay vous propose de la faire aller au bout de ses pensées, de décortiquer ses souvenirs à la recherche d’indices pour tout comprendre de sa vie, et, à la toute fin, de choisir la conclusion qui vous semblera la plus adaptée à son histoire. Au final, l’expérience vidéoludique est bien plus pleine d’espoir que celle de la lecture du roman, parce que dans le jeu, vous incarnez la pulsion vitale de l’héroïne, et que sans vous elle ne s’en sortira pas.
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