Début novembre à Marseille, près de 1300 professionnel·les de la culture et des Industries Culturelles et Créatives (ICC) se sont réuni·es pour le lancement de la Biennale Chroniques, marquée par l’inauguration du Marché des Imaginaires Numériques (MIN), un événement dédié aux mutations engendrées par la création numérique. Alors, ça a donné quoi cette première édition du MIN ?
Les 7 et 8 novembre, la Friche la Belle de mai résonnait moins de l’accent marseillais qu’à l’accoutumée. Et pour cause, des centaines de professionnel·les venu·es des quatre coins du globe s’étaient données rendez-vous pour un nouveau format de rencontres au cœur de Chroniques, l’un des événements incontournables de la création numérique en France. Laboratoire d’expérimentations, le Marché des Imaginaires Numériques (MIN) a été conçu comme un espace hybride, mêlant tables rondes, masterclasses, pitchs et démonstrations d’entreprises des ICC. “Nous avons voulu varier les formats et croiser des thématiques sectorielles, structurelles et locales”, explique Céline Berthoumieux, co-directrice de Chroniques, soulignant l’ambition d’un programme à la fois global et ancré.
Cover : Chroniques, Biennale des Imaginaires Numériques 2024, présentation des projets Realities in Transition
Le Marché des Imaginaires Numériques : Explorer les innovations de rupture
L’objectif d’un tel menu ? Permettre à chacun·e – artistes, producteur·rices, creative technologists ou responsables de projets culturels – de piocher dans des thématiques en phase avec leurs préoccupations du moment. Sans surprise, l’IA générative a occupé une place centrale durant ces deux journées, notamment avec deux tables rondes : “Innovation de rupture : l’IA a-t-elle cassé le game ?” et “IA générative : illusion d’une création autonome ?”. Ces discussions ont réuni des expert·es tels que Tomislav Pokrajčić (ingénieur IA), Hugo Scurto (chercheur et artiste), Coline Teboul (avocate en propriété intellectuelle) et Arta Agani (directrice de la Galerie Nationale du Kosovo), qui ont mis en lumière plusieurs enjeux spécifiques aux secteurs créatifs : l’intégration de l’IA dans les processus artistiques, la nécessité de protéger les droits des créateur·rices, le besoin de structurer des formations adaptées, ou encore la déconstruction des discours médiatiques autour de l’IA. Anne Le Gall, déléguée générale du TMNlab, a également apporté un éclairage sur la constitution des datasets et leur rareté dans certains domaines artistiques du spectacle vivant comme celui de la danse. Une observation qui rappelle l’hétérogénéité des défis posés par l’IA selon les disciplines artistiques et la nécessité d’aborder ces transformations avec nuance et précision.
Plusieurs workshops ont adopté une approche technique pour explorer les outils numériques disponibles sur le marché. L’artiste belge Ethel Lilienfeld, dont l’œuvre remarquable EMI (sur une influence virtuelle) figure dans le parcours d’œuvres à Aix-en-Provence, a partagé sa démarche autour de la découverte de la GenAI et son intégration dans sa pratique. D’autres interventions ont offert des perspectives complémentaires : l’artiste Maxime Touroute a animé un atelier sur la mutualisation de logiciels initialement développés pour des projets artistiques et désormais adoptés par des structures culturelles. Shandor Chury, fondateur d’OVVO Studio, a quant à lui proposé une masterclass dédiée à TouchDesigner, un must have permettant la création en temps réel.
Panorama sur la création internationale
L’une des particularités marquantes du MIN réside sans doute dans sa mixité culturelle. Cela se manifeste d’abord par le caractère cosmopolite des participant·es, venu·es d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Afrique. L’Institut français, à l’origine d’une délégation pour Chroniques, a réuni “24 professionnel·les issu·es de 21 pays : directeur·rices, commissaires d’exposition, programmateur·rices de festivals – tous venus échanger et rencontrer des acteur·rices clés du secteur“, témoigne Hannah Loué, cheffe de projet au pôle création numérique et audiovisuelle. Une dimension internationale, pleinement assumée par Céline Berthoumieux : “Nous souhaitions créer un véritable village-monde, avec au centre un marché vivant, riche et multiculturel.”
Et fort logiquement, à public international, programmation internationale. A commencer par des sessions de pitchs, dont celle orchestrée par l’Institut français, qui ont permis de mettre en lumière des structures encore peu visibles depuis la francophonie : le Nikolaj Kunsthal de Copenhague, la Fondation Onassis en Grèce, le B’Sarya en Égypte ou encore le Dnipro Center for Contemporary Culture en Ukraine. La présentation d’œuvres venues d’Afrique a également marqué cette première édition. Parmi elles, la création XR de Ona Stories, dirigée par Princely Glorious (Tanzanie), et celle explorant la prison de Robben Island, signée par Steve Kwena Mokwena (Afrique du Sud). “Ces artistes utilisent les outils de la XR pour créer des espaces, des safe places, où il devient possible de revisiter des questions politiques essentielles comme l’identité ou le décolonialisme”, explique Emmanuel Vergès, modérateur d’une table ronde sur le sujet, dans une vidéo publiée sur LinkedIn. “C’est une approche politique, une manière de produire de nouveaux récits et de promouvoir des postures alternatives.”
Transformer notre vision du patrimoine
Ces espaces virtuels et récits ont également investi les espaces urbains, une partie du programme étant dédiée aux enjeux patrimoniaux à travers de nombreux retours d’expériences. Mathieu Rolland, directeur de projets pour le Groupe Orange, a ainsi présenté Éternelle Notre-Dame, un projet XR ayant eu un certain écho médiatique. Jérémie Bellot, fondateur d’AV Extended, directeur artistique du festival Constellations et à l’origine du projet Château de Beaugency, a partagé sa vision des projections mapping dans l’espace public, illustrant le dialogue entre patrimoine et innovation numérique. En parallèle, la conférence de Ben Miller, enseignant-chercheur à l’Université d’Emory aux États-Unis, a offert une perspective singulière. Au cours d’un atelier de 90 minutes, ce spécialiste de l’IA a questionné notre manière d’écrire et d’observer les espaces publics. Avec une approche critique et analytique, il a démontré comment l’IA générative peut enrichir la conception des villes, réinterpréter le design urbain pour les ouvrir à de nouveaux usages et de nouvelles dimensions narratives.
Des discussions qui font directement écho au parcours d’installations présenté à Aix-en-Provence les 8 et 9 novembre, toujours dans le cadre de Chroniques. Par exemple, Diyauto Orchestra de Simon Lazarus, S8jfou et Clara Rigaud, un mapping au sein de la Chapelle des Andrettes ou Écrin des célèbres 1024 Architecture. Dans cette dernière œuvre, installée place de la Rotonde, la magistrale fontaine d’Aix en Provence était mise en scène par 16 faisceaux laser visibles depuis différents points de vue et a rassemblée plusieurs milliers d’habitant·es sur cette place iconique de la ville.
Découvrir des projets XR alternatifs
Les participant·es du MIN ont également eu la possibilité de découvrir plusieurs œuvres VR/AR présentées dans le cadre de la biennale. Outre le travail de 7 artistes canadien·nes (Baron Lanteigne, Caroline Gagné, François Quévillon, Laurent Lévesque & Olivier Henley, Olivia McGilchrist et Sabrina Ratté), celui de Boris Labbé se distingue tout particulièrement. Ito Meikyū (Grand Prix de Venice Immersive) transporte les participant·es dans un labyrinthe fascinant. Inspirée par l’histoire de l’art et la littérature japonaise, cette expérience VR plonge le public dans des architectures abstraites : des fractales habitées par une faune et une flore foisonnantes, des figures humaines, des motifs et des calligraphies, révélant un univers onirique. À quelques pas de la Friche, au Couvent Levat, Adelin Schweitzer, artiste iconoclaste de la XR, dévoilait Le Test de Sutherland. Présentée à des professionnel·les de la culture, cette œuvre AR en cours de création laisse entrevoir une nouvelle expérience d’un “état altéré de conscience”.
Des idées fraîches, des rencontres stimulantes et des dizaines d’œuvres numériques disséminées dans tous les recoins de la Friche et au-delà… Dans ces conditions, la première édition du Marché des Imaginaires Numériques peut être qualifiée de succès. De là à envisager une nouvelle édition en 2026 ? “On termine ce MIN avec une conviction : que ce soit pour les publics ou les professionnel·les, chacun·e repart ravi·e et inspiré·e. À l’avenir, la formule évoluera sûrement, mais l’envie de renouveler l’expérience est là”, affirme Céline Berthoumieux. En attendant, une chose est sûre, dans la communauté de la création numérique, le MIN a déjà le vent en poupe !
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