« Petits mais costauds : voilà comment se définit avec humour l’équipe Small Creative, studio historique et plus récemment société de production XR, installée à Paris. Après avoir accompagné de nombreux producteurs VR, et une crise Covid qui a initié en interne de nouvelles envies et une nouvelle stratégie, la société dirigée par Vincent Guttmann, Jean Dellac et Voyelle Acker produit désormais ses propres projets – et développe des solutions de distribution clé-en-main pour le secteur culturel. En 2023, plusieurs expériences sont entrées en exploitation en Europe et au Japon – Et la porte des festivals internationaux s’ouvre à eux.
Vincent Guttmann – Ma carrière débute dans le groupe Duboi en 1998 puis dans le groupe Quad vers 2005, comme responsable de la 2D (compositing et finalisation). Puis chez Digital District après le succès d’INTOUCHABLES, et la supervision sur plusieurs longs métrages. En 2015, j’ai rejoint MacGuff pour monter un studio en interne consacré à des projets publicitaires plus simples, plus légers – et dynamiser une offre dans un studio VFX déjà très occupé par le cinéma à un niveau international. C’est ainsi qu’est né le studio Small. On devait se différencier des offres de l’époque. Et qu’on a intégré la VR – d’abord avec le format 360, puis avec le temps réel. On est devenu prestataire pour la plupart des producteurs importants (Red Corner, Atlas V….). Rapidement, on a atteint une forme de plafond de verre, et nous avons eu l’envie d’explorer plus en profondeur toute la chaîne de valeur de la production XR.
Voyelle Acker – Pour ma part, j’ai accompagné le développement de ces nouvelles écritures en ayant co-dirigé depuis 2011 un département dédié chez France Télévisions. L’idée à l’époque était de pouvoir tester les écritures pour les nouveaux écrans, les nouveaux supports ou les nouveaux publics : projets multimédias pour les tablettes, fiction courte (avec Studio 4 et IRL, les ancêtres de francetv Slash), etc. Et bien sûr la réalité virtuelle, en initiant dès 2012 avec Camera Lucida, Emissive, l’ONF et Dpt. THE ENEMY, le tout premier projet VR free roaming large scale, qui a fait plein de petits aujourd’hui. L’exploration de ces nouveaux supports par le prisme de l’audiovisuel, je l’ai approfondi ensuite avec des studios français ou canadiens – notamment dans l’animation, un secteur que je connais bien puisqu’il a été ma première vie professionnelle.
V. A. – J’ai rencontré Vincent au festival de Tribeca où était présenté le projet de Jan Kounen 7 LIVES, produit par Red Corner et fabriqué par Small, que nous avions initié à France Télévisions. Je découvrais l’existence des prestataires! Nos envies respectives et nos discussions nous ont conjointement fait basculer côté production, car il était évident qu’il fallait construire un projet qui nous ressemble, et rassemble nos trois expériences, avec celle de Jean Dellac, notre talentueux technologue créatif. Objectif : faire monter le studio en compétence et changer le rapport de force avec nos différents partenaires créatifs, producteurs ou financiers. Small Creative, créée en 2020 en plein confinement, est ainsi née d’une volonté de diversification et de développement inhérente au secteur. Aujourd’hui, en 2023, nous livrons nos premiers projets 100% incubés Small, produits et distribués par nos équipes, seuls ou en coproduction avec les meilleurs partenaires.
V. A. – Même si (ou sans doute parce que) Small Creative est née au début de la pandémie, nous avons toujours voulu croire que le modèle location-based (LBVR) serait notre mission, et notre salut. On a immédiatement lancé 4 développements. Une dizaine d’autres s’y sont ajoutés depuis, en plus de prestations haut de gamme pour des projets extérieurs, que nous continuons à proposer.
Le format « Small Stories »
V. A. – Rapidement nous nous sommes concentrés sur le LBVR à destination des institutions culturelles (musées, théâtre, danse, médiathèques, etc…) pour proposer un format d’exploitation unique et agile. Multi-joueurs (jusqu’à 15 utilisateurs selon les projets), nomade et accessible à tous les publics. Évidemment, nous sommes en capacité de le déployer pour d’autres usages, mais les industries culturelles restent notre ADN. On croit réellement à l’usage collectif de la réalité virtuelle à l’extérieur du foyer privé, plutôt dédié à une utilisation solitaire. La solution Small Stories se veut compétitive et abordable financièrement pour les lieux qui souhaitent nous accueillir, et accessible dans la médiation simple qu’elle propose. Nous les accompagnons à chaque étape, de l’acculturation à la mise en place d’un modèle d’exploitation.
V. A. – Cette démarche a fait de Small Creative une société de production à part entière, avec un vrai regard sur toute la chaîne de valeur, de l’initiation à la distribution.Le statut de producteur nous a permis de nous affranchir de la prestation de service et de monter des partenariats ambitieux et durables avec d’autres sociétés. Comme en témoigne la collaboration avec GEDEON Experiences, venu initialement chercher le studio pour la partie technique et créative sur le projet GAUDI – L’ATELIER DU DIVIN, avec qui nous avons finalement monté l’expérience en coproduction et avec qui nous développons une collection de contenus autour du patrimoine.. Construire des réseaux de partenaires à tous les niveaux nous semble primordial, car notre idée est de s’appuyer sur ce standard de diffusion pour développer des collections de projets par genre (patrimoine, théâtre, cinéma, arts numériques…), fidéliser nos partenaires ou en acculturer de nouveaux, et faire grossir le catalogue Small Stories.
V. G. – Il faut vraiment considérer notre solution comme une boîte à outils qui réunit l’ensemble de notre R&D, au service des lieux qui diffusent nos œuvres. A la recherche de modèles d’affaires stables, dont nous avons tous besoin pour avancer… Au fil des années, cela devient vraiment nécessaire ! La XR est un secteur en pleine effervescence, mais qui nécessite encore de la pédagogie, et on pense vraiment que le rôle du producteur – au-delà d’assurer la qualité finale de chaque projet – est de rester très ouverts à la discussion, tout en étant également transparents et fermes avec nos interlocuteurs sur ce qui est possible, et surtout stable en terme de diffusion et de coûts associés. La technologie est aujourd’hui connue, mature, mais ça ne veut pas dire qu’on peut tout faire avec ! Il faut pouvoir vendre un projet qui fonctionne, prendre en compte les lieux de diffusion, leur flux de visiteurs, etc… C’est ce que nous avons fait avec le BIFAN en juillet, en envoyant nos mallettes Small Stories en Corée puis en assurant le SAV à distance. Ils ont tout installé (dans un lieu absolument dingue, d’ailleurs!) après une courte formation en ligne, et grâce à une documentation très complète que nous avons rédigée et qui permet désormais de vendre le format et de l’installer à distance.
Un modèle LBVR collectif et culturel
V. A. – Il ne s’agit pas de faire le maximum d’entrées à tout prix, mais de calibrer le bon flux pour le bon lieu, et d’en assurer les bonnes conditions de diffusion. Nous essayons quand c’est possible de se greffer à des événements culturels d’envergure – à l’instar de GAUDI – L’ATELIER DU DIVIN qui accompagne une grande exposition rétrospective consacrée à l’artiste (“Gaudí and the Sagrada Família”, actuellement au Japon avec le soutien de la NHK). Nous n’avons pas l’ambition de remplacer des médias existants, mais de proposer une valeur ajoutée, un supplément d’âme avec la XR, permettant également d’amener de nouveaux publics là où ils ne venaient pas.
V. A. – Nous avons beaucoup testé, notamment sur nos premiers projets. On pensait par exemple que le principal atout du format résidait dans l’interactivité, avec l’idée de produire des projets très gamifiés. Au fil des tests, nous avons réalisé que cette composante pourrait être excluante pour un certain nombre de publics, et c’est bien l’immersion collective qui a marqué des points. Cela ne veut pas dire que la composante interactive n’existe plus, mais elle se fait plus ou moins discrète selon les genres.
V. G. – C’est en accompagnant CALL ME CALAMITY (de Samuel Lepoil, coproduit avec Rémi Large pour Tamanoir Immersive Studio) que l’idée a émergé de se concentrer sur des expériences immersives qui se remarqueraient par leur capacité à impliquer le spectateur sans avoir des interactions trop forcées, voire gadget. Les premiers tests ne correspondaient pas à ces envies d’ailleurs, et ont été suivis d’itérations conséquentes. Ce virage a été essentiel pour nous. C’est la volonté de produire des expériences collectives qui nous intéresse, pas des œuvres pour un spectateur unique. L’expérience d’un groupe, qu’il se connaisse ou pas, ce « vivre ensemble », l’idée d’une situation commune dans un lieu physique (et pas tout seul en ligne) reste le moteur de notre stratégie. La société est en pleine transition numérique, et de nombreux lieux culturels souhaitent s’adapter : il faut donc inciter le public à venir profiter d’expériences en dehors de chez eux, dans des lieux où ils vont, peut-être même sans le vouloir, être confrontés à la culture, d’une autre façon.
Une année 2023 faste (et 2024 ?)
V. A. – L’an dernier nous étions présents à Venise avec deux projets au Gap Financing Market. J’ai le plaisir d’annoncer qu’ils vont bien, et que nous entrons en production sur MAMIE LOU, un court métrage animé VR d’Isabelle Andreani, qui traite avec sensibilité et poésie de la fin de vie chez les personnes âgées. C’est une coproduction avec le Luxembourg (Skill Lab, studio Zeilt) et France Télévisions, pour une sortie au premier trimestre 2024. Nous avons également finalisé, avec l’aide de France Télévisions, la vertical slice d’AMAZING MONSTER (de Raphaël Penasa et Allison Crank, d’après une idée originale de Jonathan Droz), un jeu VR fantastique autour de la pêche au milieu des magnifiques lacs suisses, que nous co-produisons avec le studio helvète WOWL. Nous sommes désormais à la recherche d’un publisher pour lancer la production du jeu entier. Enfin, nous entrons également en production de MOI FAUVE (de Joséphine Derobe, une habituée de Venise, et Claire Allante, notre directrice artistique). Vous pourrez venir voir ce projet, qui est également multi utilisateurs et sera proposé dans le format Small Stories à la Biennale Nemo, au Centquatre à Paris, à la fin de l’année.
V. G. – Un projet plus axé théâtre et danse, ENTREZ DANS LA DANSE (de Julie Desmet Weaver et Eugénie Andrin), à destination des dômes, a fait sa première mondiale au Théâtre Chaillot fin juin, en coproduction avec la société Tchikiboum.. Nous accompagnons également le Musée de la Marine qui va ré-ouvrir à Paris avec des installations immersives monumentales, et nous annoncerons bientôt d’autres collaborations très excitantes. Enfin, nous pouvons intervenir sur des portages, comme celui de BIOLUM (IKO),d’AYAHUASCA (coproduction avec Atlas V et A-Bahn) sur Quest 2, ou de NOTES ON BLINDNESS (Atlas V) pour un format projection dans la salle immersive Oasis à Montréal. Côté compétences, nous restons agnostiques en termes de technologies, en étant disponible pour tous les formats XR/VR/AR/MR…et pouvons intervenir sur des opérations plus techniques. Même chose côté matériel, avec un parc de casques HTC, Quest ou Pico, selon les usages.
Consolider l’expertise des studios immersifs français
V. A. – Depuis un an, nous déployons ainsi notre savoir-faire sur une gamme de projets au format technique similaire, mais sur un large prisme de choix artistiques. Il nous semble essentiel que l’industrie (les salles LBVR, les lieux culturels…) se tourne vers les studios comme le nôtre pour bien anticiper les expériences disponibles et les aléas techniques pour proposer des exploitations plus stables. Dans cette logique d’acculturation, de déploiement et de structuration de l’industrie, nous sommes aussi à l’origine du réseau French Immersive Studios, qui réunit 9 studios très impliqués et le meilleur de la création immersive française. Ce collectif à vocation à grandir, dans le respect de nos savoir faire, de notre exigence de qualité, et de notre volonté indestructible de faire grandir cet écosystème vertueux.
V. G. – Il y a un élan industriel à créer, porté notamment par France 2030, pour stabiliser les studios qui font le travail d’innovation (R&D). C’est ce qu’on veut amener dans les lieux de culture déjà existants. Et le faire avec eux et non pour eux, car ce sont eux qui attirent le public. C’est un travail d’équipe. C’est comme cela qu’on va pérenniser ces nouvelles œuvres immersives de diffusion, et poser (enfin!) les bases saines d’une industrie mature. CQFD !
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