Le fondateur et Président d’Iconem, société spécialisée dans la numérisation du patrimoine, Yves Ubelmann nous raconte comment ses équipes travaillent sur des zones dangereuses, leur collaboration avec de grandes entreprises technologiques telles que Microsoft et leur première exposition immersive avec le Louvre.
A l’origine d’Iconem : le Proche-Orient
Il y a une quinzaine d’années, j’ai travaillé en tant qu’architecte avec des archéologues de la DAFA (Délégation archéologique française en Afghanistan) au nord de l’Afghanistan. Sur ces territoires éloignés, je me suis aperçu que les sites datant de centaines ou même milliers d’années, pouvaient disparaitre – partiellement ou en entier – d’une année sur l’autre. Plusieurs causes y contribuent : guerres, pillages, accroissement de la population, construction d’infrastructures ou même changement climatique qui est à l’origine d’épisodes météorologiques particulièrement violents.
En fait, les phénomènes anthropiques sont assez récents. Par exemple, les pillages se développent énormément avec la mondialisation du marché autour du patrimoine. Malheureusement, malgré l’engagement des archéologues locaux, il existe peu de mesures de protection. Surtout, de nombreux sites historiques sont difficiles d’accès et incontrôlables. Notre équipe a vu les conséquences de ces pillages dans le nord de l’Afghanistan, en plein désert. Ce sont des zones peu surveillées.
Je me suis donc intéressé, à titre personnel au début, à la sauvegarde de ces sites. La sauvegarde physique n’était pas à ma portée. C’est un processus qui suppose une forte initiative politique. Mon but a donc été de protéger l’image des endroits historiques, surtout dans les pays en guerre, en utilisant les technologies numériques.
Des technologies de pointe pour protéger le patrimoine mondial
A l’époque, j’ai eu la chance de rencontrer un chercheur en intelligence artificielle (IA), avec qui on travaille toujours en étroit contact, Jean Ponce. Notre petite équipe a été la première à adapter les algorithmes de reconstruction 3D à l’étude archéologique. On les a appliqués très vite au patrimoine des sites afghans que nous connaissions. Aujourd’hui, cette approche est utilisée dans plusieurs champs de l’industrie. Puis, nous avons commencé à travailler avec des drones, ce qui n’était pas du tout encore normalisé, ni commercialisé comme on peut le voir maintenant. En outre, Iconem forme des spécialistes sur place pour qu’ils sachent travailler avec les technologies de photogrammétrie et réagir dans les moments où le patrimoine demande des actions d’urgence, sans attendre des équipes étrangères.
Après, dans les années 2011-2013, la guerre éclate en Syrie, en Irak et en Libye. Iconem a alors été en mesure de proposer son savoir-faire et ses méthodologies aux experts et aux scientifiques dans les régions touchées. Par exemple, en 2015, lorsque Daesh détruit Palmyre. En dix ans, nous avons vu la communauté internationale comprendre l’importance de la conservation du patrimoine historique dans des zones de guerre. Cette question est rentrée dans l’agenda des ONG et des institutions globales, et nous avons été confirmés comme un acteur important dans ce domaine. Iconem a reçu une forme de reconnaissance publique auprès des grandes organisations comme l’UNESCO.
Depuis, c’est notre expertise technique qui nous permet de conserver une longueur d’avance. Nous travaillons également pour de grandes entreprises comme Microsoft. Pour elles, il est fondamental de pouvoir favoriser les usages positifs de leurs technologies. Par exemple, Iconem a fourni à Microsoft pour ses projets ambitieux, tels que Le Mont Saint Michel, Olympia et Open Notre-Dame. Conservation et mémorisation du patrimoine sont bien les objectifs qui ont besoin de nos approches innovantes pour se concrétiser.
Vers les expositions immersives
Actuellement, Iconem développe deux activités différentes. Tout d’abord, c’est le sauvetage d’urgence du patrimoine, qui a toujours été au cœur de notre société. Ce n’est pas la dimension qui permet de financer le développement de la société, mais pour nous il est très important de la conserver.
Parallèlement, une partie de notre équipe travaille sur la production audiovisuelle, notamment des expositions numériques. Dans ce cadre, Iconem collabore régulièrement avec de grandes institutions culturelles, telles que le Louvre, le British Museum, le Grand Palais et l’Institut du monde arabe à Paris, ou le Smithsonian à Washington. Grâce à nos partenaires, nous déployons le contenu numérique qu’on a réussi à scanner dans des espaces muséaux à travers des vidéos projections monumentales.
Nous appliquons toujours cette approche, mais tout a commencé il y a sept ans par une proposition de la part du Louvre et du Grand Palais de faire une exposition sur Palmyre et sur la destruction du patrimoine. Iconem a été parmi les rares experts à être allé en Syrie pour scanner ce site à cette époque compliquée. Notre objectif était d’organiser la rencontre entre un public parisien, qui ne connaissait pas beaucoup ses lieux et qui n’avait pas l’occasion de les visiter, et les trésors menacés de Syrie et d’Irak. Iconem a travaillé sur toute la production des images immersives. En 2016, les expositions numériques n’existaient pas. C’était notre première expérience marquante, et qui a eu un grand succès public. Et c’était donc aussi une découverte pour les visiteurs à Paris, de voir justement une nouvelle forme d’exposition avec de grandes vidéos tout autour.
La concurrence dans le domaine de la numérisation du patrimoine
Il existe désormais plusieurs entreprises de qualité en France, en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis. Mais je ne connais aucune société qui a été active comme Iconem sur les territoires de conflits. Nous nous retrouvons souvent tout seul à agir sur ces zones. Il y a évidemment la logique du financement, difficile, de ce type de mission.
Iconem prépare actuellement des missions en Irak et en Libye. Nous sommes toujours actifs au Yémen. La société travaille en Ukraine, notamment avec le Ministère de la culture ukrainien. On est en train de mettre en place un projet au Soudan. Je pense que cette approche mondiale et surtout cette énergie mise sur les zones les plus fragilisées et malheureusement les moins bien financées fait notre différence.
A venir…
Iconem planifie de renforcer la dimension de sauvetage à travers la création d’une ONG qui pourra travailler avec des outils satellites, ainsi que développer des actions d’urgence dans tous les pays du monde. Ce sont les choses qu’on fait déjà, mais en ce moment la société n’a pas de fonds dédiés, étant obligée d’auto-financer ses missions. Nous voulons mieux accompagner ces actions à travers une structure dédiée, qui pourra mieux interagir avec les institutions nationales et internationales.
En parallèle, notre objectif est d’élargir notre activité dans l’audiovisuel et de s’engager plus fortement dans le domaine d’éducation pour susciter intérêt pour la préservation du patrimoine, surtout parmi les jeunes générations. Notre studio de production travaille aujourd’hui avec des musées, des artistes et des chaînes de télévision, dans le cadre de la création des documentaires. Nos modèles 3D aident à expliquer à un public large des questions importantes : comment sont construits les monuments, comment ils ont été pensés, comment ils ont été réalisés et comment, à partir de certaines ruines qui restent aujourd’hui, on peut reconstruire des états originaux de certains de ces sites.
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