Créé en 2015, le Fonds de soutien aux Nouveaux Médias de la Ville de Paris est devenu un acteur discret mais déterminant dans l’écosystème des narrations numériques et immersives. En dix ans, il a accompagné plus de 140 projets, du web interactif à la réalité virtuelle, en passant par les installations immersives et les expériences hybrides. À l’occasion de cet anniversaire, Élodie Péricaud, chargée de mission à la Mission Cinéma et responsable du Fonds Nouveaux Médias de la Ville de Paris, revient sur la genèse du dispositif, ses évolutions, et la manière dont il s’inscrit dans un paysage audiovisuel en mutation.
Cover : Soirée des 10 ans du Fonds Nouveaux Médias @ Maison des Métallos 📸 Alice Girard
Une initiative née dans un moment d’ouverture institutionnelle
« Tout est vraiment arrivé en 2014 », se souvient Élodie Péricaud. « C’était le début du premier mandat d’Anne Hidalgo, un moment où il était possible de faire des propositions et de lancer de nouveaux dispositifs. » Jusqu’alors, la Mission cinéma de la Ville de Paris ne disposait que d’un seul fonds d’aide à la création : celui dédié au court métrage, en place depuis 2006. « Le reste de nos actions concernait plutôt l’éducation à l’image, les dispositifs scolaires comme Mon Premier Festival, ou encore le soutien aux salles et festivals de cinéma. Mais sur la création pure en dehors des autorisations de tournage, nous n’avions rien d’autre. »
C’est alors qu’un constat s’impose : avec l’essor du numérique et des nouveaux formats, un pan entier de la création restait sans accompagnement local. « À l’époque, on voyait émerger le fonds Nouveaux Médias du CNC, les nouvelles pratiques Internet… Il y avait clairement un manque à combler à Paris. Et comme nous avons toujours cherché à être complémentaires, notre ambition était de soutenir les zones de fragilité, là où un coup de pouce pouvait vraiment faire la différence. En l’occurrence, l’objectif a été pour la Ville d’encourager tout d’abord l’émergence de nouvelles formes d’écritures visuelles, quels qu’en soient les supports de diffusion. »

Des débuts centrés sur le transmédia
Le fonds est d’abord conçu pour répondre à l’essor des projets transmédias, ces narrations éclatées sur plusieurs supports : web, vidéo, événementiel, applications… « On parlait beaucoup de pluralité des supports, de projets qui vivaient à la fois en ligne et hors ligne. Des exemples comme FRENCH WAVES (Julian Starke, Zorba, aidé en 2015) représentaient parfaitement cet esprit : une série digitale, un film, une plateforme interactive, une tournée de concerts… une véritable œuvre transmedia. »
Mais rapidement, un nouveau champ créatif s’impose : la réalité virtuelle. « On recevait de plus en plus de projets VR. Les producteurs essayaient de leur inventer des prolongements pour justifier la dimension transmédia, mais ça restait artificiel. Nous avons donc décidé, vers 2019, de laisser tomber l’injonction du transmédia et d’élargir le périmètre : le fonds devenait celui des Nouveaux Médias, au sens large. »
Une ouverture revendiquée : du web à la XR
Alors même que le CNC rationalisait ses aides en recentrant le terme “nouveaux médias” vers le digital et en créant un fonds dédié à la création immersive, la Ville de Paris choisit de ne pas cloisonner. « Nous nous sommes volontairement positionnés sur un nouvel axe : rester ouverts à tous les formats. Parce qu’un projet web, une série pour les réseaux sociaux ou une installation XR peuvent être tout aussi innovants. »
En 2020, le fonds connaît une première évolution budgétaire significative : son enveloppe annuelle passe de 140 000 à 200 000 euros. Puis, en 2022, le plafond d’aide par projet double, atteignant 40 000 euros. « Trois grandes étapes ont marqué ces dix ans : la création du fonds, son élargissement, et sa montée en puissance. »
Soutenir l’amont : écrire, développer, expérimenter
Le cœur du dispositif reste le même : financer l’écriture et le développement des œuvres numériques. « Nous intervenons vraiment en amont, à un stade jeune du projet, pour lui permettre d’exister et d’attirer ensuite d’autres financements. »

L’aide est réservée aux producteurs, et non aux auteurs seuls. « C’est un choix délibéré : notre but est aussi de structurer la filière, d’encourager les sociétés de production à se saisir de ces nouveaux formats. »
La seule exigence : une dimension parisienne du projet. « Cela peut passer par le contenu (un sujet ancré dans la ville), par la localisation des dépenses, ou par des collaborations avec des studios et talents basés à Paris. Un producteur lyonnais ou marseillais peut tout à fait déposer, à condition de construire un lien réel avec le territoire parisien. »
Quand la ville crée des ponts entre création et publics
Officiellement, le fonds n’a pas vocation à accompagner la diffusion des œuvres. Pourtant, Élodie Péricaud confie avoir développé des synergies inattendues, notamment avec le réseau des bibliothèques parisiennes. « Ce n’est pas dans notre ADN, mais c’est dommage d’aider à créer sans chercher un minimum à montrer. On a donc commencé à organiser des playtests dans les bibliothèques : c’est gagnant-gagnant. Les établissements proposent des expériences innovantes à leurs publics, et les producteurs bénéficient de retours très variés, sans coût supplémentaire. »
Ce type de partenariat reste rare, faute de moyens dans les établissements culturels, mais démontre la volonté de la Ville d’expérimenter de nouvelles formes de rencontre entre œuvres et citoyens.
Des formats en constante évolution
Dix ans après, la XR (réalité virtuelle, augmentée, mixte) occupe naturellement une grande place dans les projets soutenus. « On reste majoritairement sur des œuvres VR, souvent 360°, un peu de réalité mixte, mais pas tant que ça », constate Élodie Péricaud. Les formats web, eux, gardent une présence forte : 34 % des projets aidés depuis la création du fonds. « Et depuis 2022, on voit émerger les expositions immersives — des œuvres collectives sans casque, mêlant vidéo mapping, hologrammes ou dispositifs sonores. C’est clairement une nouvelle tendance. »
À l’heure où beaucoup de structures rebaptisent leurs programmes (“fonds XR”, “fonds immersif”, etc.), la Ville de Paris reste fidèle à son appellation : Nouveaux Médias. « C’est volontaire : nous préférons la stabilité et l’ouverture. Certains dossiers web peuvent sembler moins innovants au premier regard, mais ils apportent une vraie diversité. Nous avons pu aider des projets très différents comme LE GRAND PROCES (Bahareh Akrami et Camille Duvelleroy, Galaxie Presse, aidé en 2022), SAMUEL (Émilie Tronche, Les Valseurs, aidé en 2021) ou encore MALAISANT (Louise Condemi, Apaches Films, aidé en 2020), que je trouve fascinant dans sa manière d’utiliser Instagram comme espace narratif. »
Cette approche ouverte permet aussi de ne pas refermer trop tôt le champ des possibles, à une époque où les frontières entre cinéma, web et XR se recomposent sans cesse.

Une filière qui se structure, entre constance et renouvellement
En dix ans, la responsable du fonds a vu le secteur se professionnaliser. « On a aujourd’hui une dizaine d’acteurs très solides, qui reviennent régulièrement. Mais notre enjeu, c’est d’éviter l’entre-soi. On veut attirer de nouveaux entrants, notamment des sociétés de production plus “classiques” qui voudraient explorer ces formats. »
Elle cite notamment le cas de Grunt, média rap qui a déposé un projet numérique soutenu par le fonds (GRUNT TOUR : LE GRAND PARIS DU RAP, Aliosha Cheyko, Benjamin Chevallier, Jean Morel, Simon Maisonobe, aidé en 2020). « Ce genre d’arrivée nous intéresse : ça montre que le numérique attire aussi d’autres univers. »
Le message est clair : la Ville veut continuer à stimuler la diversité du secteur, y compris en soutenant ceux qui n’ont jamais encore tenté l’aventure immersive.
Des résultats tangibles : 43 % d’œuvres produites
Sur 144 projets soutenus depuis 2014, 48 % concernent la réalité virtuelle, 34 % le web, et le reste se répartit entre expositions immersives et formats mixtes. Mais surtout, le taux de concrétisation impressionne : 43 % des projets ont abouti à une production et une diffusion effectives. « C’est remarquable pour une aide au développement. Cela prouve que le dispositif joue bien son rôle d’accélérateur. »
En parallèle, 32 % des projets ont été abandonnés, un chiffre raisonnable au regard du risque expérimental assumé. « Les vraies difficultés se situent au moment de passer en production, c’est-à-dire quand il faut trouver les financements. Mais c’est aussi la nature du développement : tester, tenter, parfois échouer. »

Vers une nouvelle étape après 2026 ?
L’avenir du fonds dépendra en partie du prochain mandat municipal, mais la Mission cinéma prépare déjà des pistes d’évolution. « Nous sommes très satisfaits de notre positionnement et de notre complémentarité avec le CNC. Mais nous avons identifié trois axes de progression » :
- Le premier : mieux communiquer. « Le terme “nouveaux médias” n’est pas toujours clair pour le grand public, ni même pour les producteurs de cinéma. Il faut faire de la pédagogie, expliquer ce qu’on soutient réellement. »
- Le deuxième: affiner la notion de “dimension parisienne”, pour garantir des retombées économiques locales plus précises. « Au départ, on a laissé le marché se structurer librement. Aujourd’hui, on peut resserrer un peu le critère sans fermer la porte. »
- Enfin, continuer à élargir le vivier de candidats. « L’idéal serait de toucher des producteurs venus d’autres horizons, pour nourrir le dialogue entre audiovisuel, art contemporain et numérique. »
Pour elle, le marché se stabilise après une phase d’expérimentation massive. « Tout le monde ne peut pas produire des installations à 100 personnes dans des lieux géants. La VR 360 reste un format robuste, facile à montrer, qui trouve son public. »
En dix ans, le Fonds de soutien aux Nouveaux Médias de la Ville de Paris s’est imposé comme un modèle d’équilibre : ni institution lourde, ni guichet marginal. Ouvert, agile et attentif aux mutations du secteur, il a su accompagner la montée en puissance d’une génération de créateurs et de producteurs hybrides. « Ce que je retiens, c’est qu’on a su garder l’esprit d’origine : la curiosité. Et tant qu’on restera curieux, le fonds aura encore beaucoup à apporter à tout l’écosystème actuel et aux nouveaux entrants. »
Plus d’informations sur le site du Fonds Nouveaux Médias.



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