L’association des producteur.ices indépendants d’expériences numériques, PXN, organise la prochaine édition de son Forum les 25 et 26 septembre prochain à l’occasion de la Nantes Digital Week. Une opportunité de regarder l’évolution des œuvres numériques, et plus spécifiquement l’accueil qui en est fait dans les lieux culturels. Entretien avec les coprésidents de l’association, Marie Point (Dark Euphoria) et Jérôme Fihey (Le Crabe Fantôme) pour mieux cerner les enjeux d’un tel rendez-vous à l’heure où PXN fête ses 10 ans.
Cover: Forum de la Création Numérique @ Forum Entreprendre dans la Culture 2022
“Faire récit au musée”, à la Nantes Digital Week
Marie Point – PXN va bientôt fêter ses 10 ans, et existe aujourd’hui autour de ses membres, de nos actions et des outils que nous avons développés pour avancer tous ensemble. C’est un réseau qui réunit des typologies d’acteurs de plus en plus différents par rapport à l’époque de sa création. A l’origine, c’était un petit nombre d’acteurs qui venaient plutôt du même secteur, de la filière cinéma/audiovisuel et qui se connaissaient tous. Aujourd’hui, un producteur numérique vient de l’édition, de l’audiovisuel, de la muséographie, du spectacle vivant, etc. Il y a un besoin d’avoir un sentiment d’appartenance, ou en tout cas de valeurs communes importantes au-delà de nos différents types de projets. C’est l’une de nos missions de fédérer l’ensemble des adhérents, avec aussi des partenaires externes qui nous accompagnent.
M. P. – Pour les Forums, l’idée est plutôt de mettre en visibilité ce que nous faisons, nos catalogues, le métier de producteur indépendant – qui est en fait peu connu, notamment auprès de beaucoup d’institutions qui, parfois, vont elles aussi se positionner en tant que producteur ou coproducteur, mais différemment. Et puis, en organisant le Forum dans différentes villes, nous allons à la rencontre des écosystèmes locaux, de lieux potentiellement intéressés pour développer des projets numériques dans chaque territoire, créer des collaborations…
Jérôme Fihey – Après plusieurs éditions parisiennes, le Forum PXN est appelé à voyager sur tout le territoire ; c’est une vraie envie de l’association, et de nos partenaires (notamment le CNC), d’aller à la rencontre des écosystèmes locaux. Nous avons la chance d’intégrer pour 2025 la Nantes Digital Week – un événement déjà bien installé, qui a plusieurs discussions autour de l’immersif, par exemple.
M. P. – Cette édition s’intitule “Faire récit au musée”. Nous proposons une thématique plus précise désormais, pour mieux organiser l’événement et cibler nos échanges. Il y a des événements qui parlent déjà de création numérique au global, ou sont spécialisés (comme SVSN à Avignon pour le spectacle vivant, par exemple), il s’agissait donc de trouver l’angle pour le Forum nantais, de faire sens avec le territoire et les invités conviés.
J. F. – Au-delà de la communication de PXN auprès du premier public intéressé (adhérents…), on voit que cette formule renouvelée du Forum peut permettre de toucher beaucoup plus de professionnels des industries culturelles – et faire avancer des sujets. L’objectif est de réunir plus d’adhérents, de susciter l’intérêt autour de nos propositions. Nous faisons particulièrement attention à la définition de nos valeurs communes au sein de l’association, notre travail sur des projets artistiques, avec les auteurs, etc. C’est dans ce sens que PXN reste un interlocuteur référent pour les musées, les lieux de culture que nous avons conviés à ce Forum 2025. Nous y parlerons d’enjeux de développement durable, d’éthique, de coproduction, comment créer du commun, transmettre le savoir en travaillant avec ces institutions – dans un contexte global où ces choses évidentes sont remises en cause. Et puis c’est un nouveau marché qui a besoin de meilleures définitions des modèles économiques à la croisée de plusieurs industries culturelles.
Définir la relation entre producteurs et lieux de diffusion
M. P. – Il y a différentes approches dans notre relation aux lieux de culture, et autant de modes de collaboration : Jérôme avec le Crabe Fantôme va vraiment créer des projets designés spécifiquement pour les lieux, Lucid Realities et Unframed Collection vont déployer des expériences pensées pour les musées avec des scénographies personnalisées, et nous, à Dark Euphoria, imaginons d’abord l’oeuvre avec les artistes, sans avoir forcément un lieu de diffusion prédéfini à l’avance. Cela démontre que la place des œuvres numériques dans ces contextes existe, avec plusieurs modèles économiques. Et les intérêts des programmateurs, identifiés notamment sur les places de marché (Cannes, Venise…), également !
J. F. – Il y a des exemples d’intérêts de plus en plus réguliers de la part de certains lieux, comme les musées d’art ou les musées scientifiques. Mais l’idéal, c’est d’envisager la mise en place de salles dédiées au sein des établissements, des “boîtes noires” en capacité d’accueillir les œuvres numériques quel que soit leur format. Si cela pouvait exister dans différents lieux, on aurait alors un réseau de diffusion élargi – et mieux accompagner des œuvres souvent limitées au circuit promotionnel des festivals.
J. F. – Il faut aussi surligner l’importance des commandes de marché public, avec des demandes directes des lieux. Malheureusement, dans ces cas-là, le droit d’auteur n’est pas pris en compte (il est donc cédé à jamais). Nous en discutons avec eux. Surtout, nous proposons d’accompagner le lancement des marchés publics pour intégrer les critères et protections inhérents aux travaux des auteurs et artistes – et créer une vraie valeur artistique au-delà de la simple prestation pour les lieux. PXN peut être force de proposition sur ce sujet.
La production d’œuvres in situ, une sécurité économique ?
J. F. – Le public ne fait pas forcément la différence entre une exposition créée de toute pièce pour un musée, ou une œuvre en circulation qui n’aurait pas été commandée initialement par l’institution. Mais il n’y a pas de projet plus vertueux que l’autre ; certains ont des modèles d’affaires affirmés (histoire et patrimoine…), d’autres non. Nous soutenons l’ensemble évidemment. Si on doit revenir à un parallèle avec le monde du cinéma, les films produits sont aussi aidés grâce à une taxe sur la billetterie qui alimentent le CNC. Alors pourquoi pas la même chose pour la création numérique, à l’heure où les expositions et expériences immersives trouvent leur public (comme pour Excurio, par exemple) ? Ce serait vertueux, et permettrait de mieux définir les diffuseurs sur l’ensemble du territoire national.
M. P. – L’immersif est l’un des secteurs les plus visibles de la création numérique, et c’est un mot-clé qui offre de la visibilité à tout le monde – que ce soit pour des propositions très artistiques ou plus commerciales. Tout doit exister, et cette pluralité de projets existe au sein de PXN : différences de formats, expériences multi-utilisateurs et participatives… Par ailleurs, certains lieux savent accueillir les deux. Côté musées, c’est vraiment la curation qui est vitale, et doit être défendue pour faire exister la création originale.
J. F. – Le public a envie de venir découvrir nos univers de création numérique, dans le cadre de lieux culturels qui ont une vraie politique en la matière. Le potentiel doit être étendu, et consolidé au regard des bons exemples déjà en place. Nous sommes là pour conseiller, proposer et accompagner. Par exemple, nos projets ont par nature des implications matérielles fortes, qui demandent des réflexions sur les investissements à long terme de chaque lieu. Il y a aussi des questions d’éco-responsabilité évidentes.
J. F. – Et la diversité de la programmation doit être défendue. Le numérique en lui-même est un des axes de développement de la programmation culturelle, notamment pour attirer le jeune public. Il faut considérer la variété des prix d’entrée aussi, avec des événements assez chers parfois, et des propositions culturelles avec un prix bas. C’est en s’intéressant à ça qu’on peut aussi convaincre les financements publics d’aller vers des aides automatiques. Les retombées économiques qui commencent à apparaître nourrissent ces discussions, sans avoir totalement les réponses exactes pour l’instant.
L’influence politique sur la création numérique
J. F. – Les dernières informations relatives à des investisseurs privés s’intéressant à la création immersive (notamment Pierre-Edouard Stérin) sont aussi un sujet pour nous, même si l’idée n’est pas de se lancer dans une chasse aux sorcières. Le Forum sera l’occasion d’en discuter bien entendu. Chez PXN, on est vigilant sur ce point, avec toute la complexité des projets liés au patrimoine par exemple – qui, souvent, sont accompagnés scientifiquement, offrant des garanties sur le fond. Certaines initiatives très modernes peuvent aussi être critiquées. C’est du cas par cas.
M. P. – Encore une fois, c’est la définition des valeurs de PXN qui est à l’étude. Avec peut être une charte éthique pour éviter les œuvres portant des idéologies dissimulées derrière les récits. C’est un sujet actuel.
France 2030, et l’aide à la création immersive
M. P. – Nous sommes particulièrement heureux d’avoir vu certains membres de PXN lauréats de l’appel à projets France 2030 – “Culture immersive et métavers”. C’est la vocation de nos membres, au-delà de la production, de porter la R&D (recherche et développement) et la structuration du secteur. C’est une dynamique qui porte une industrie en devenir, et nous sommes évidemment impatients de voir les nouveaux lieux de diffusion exister. Beaucoup de projets lauréats sont aussi des solutions techniques qui doivent pouvoir exister ensemble, notamment à destination des lieux de diffusion, dans une logique d’interopérabilité. C’est un challenge que nous allons suivre de près !
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