À l’origine, Ride FX devait produire des films pour parcs d’attractions – d’où le nom, pensé pour les “rides” de type Futuroscope. Le Covid frappe l’année de la création, les gros contrats tombent, et le studio doit se réinventer à toute vitesse. La porte qui s’ouvre alors, c’est le cinéma : en quelques années, Ride FX devient l’un des rares studios bretons à cumuler post-production, VFX et animation 3D, en travaillant sur des longs métrages comme Les Fantômes de Jonathan Millet (Semaine de la critique 2024), Yes de Nadav Lapid (Quinzaine des Cinéastes 2025), ou La réparation de Régis Wargnier (2025).
Cover: ECHOES OF BRAVERY – OMAHA VR
Ce détour par le cinéma n’est pas une parenthèse : il ancre le studio dans une culture du scénario, de la mise en scène et de la précision visuelle. Mais Elia Vermander le dit lui-même : son intérêt glisse progressivement vers la scénographie immersive. Ride FX se restructure, recrute, installe un hangar pour tester des dispositifs VR, monte un studio de mocap, et recentre son énergie sur des projets où l’on ne se contente plus d’“illustrer” une histoire : on la fait vivre dans un espace.
Omaha Beach en VR : une mémoire à hauteur de visiteur
Parmi les projets récents, ECHOES OF BRAVERY – OMAHA VR occupe une place clé. Créée pour le musée D-Day Omaha à Vierville-sur-Mer, l’expérience propose une reconstitution en VR360 8K du Débarquement sur Omaha Beach, pensée pour être vécue sur site, au cœur d’un lieu de mémoire. Le spectateur traverse différentes phases de l’opération, au plus près de la flotte alliée et des défenses allemandes, dans un dispositif linéaire d’environ sept minutes, accessible dès 12 ans.


Techniquement, le projet combine photogrammétrie de la plage, acteurs en costumes, reconstitution 3D et archives, avec une exigence de fidélité historique revendiquée par le musée comme par le studio. Mais ce qui intéresse Ride FX va au-delà de la performance graphique. L’équipe travaille avec le musée sur la mise en contexte : objets physiques présentés en amont, médiation autour de la VR, cheminement du visiteur avant et après la projection. L’expérience ne se résume pas au casque ; elle s’inscrit dans un parcours muséal, pensé pour les familles autant que pour les passionnés d’histoire.
Le modèle économique, lui aussi, est révélateur de la stratégie du studio : co-production avec l’institution, partage des coûts et des droits, possibilité pour Ride FX de diffuser ensuite l’œuvre dans d’autres lieux – notamment aux États-Unis, où Omaha Beach reste un symbole fort. On voit se dessiner une logique de catalogue : des expériences ancrées dans un premier site, mais conçues pour circuler.
Pompéi, Escher : varier les récits, tester les formats
Ride FX ne se limite pas à la Seconde Guerre mondiale. À Bruxelles, le studio signe une expérience VR sur Pompéi pour le producteur d’expositions Tempora, intégrée à un parcours plus large présenté à Tour & Taxis. Là encore, la VR n’est qu’un morceau d’un dispositif plus vaste, qui articule scénographie, objets, contenus pédagogiques et récit immersif. Le studio revendique une approche “tout terrain” : film VR in situ, mapping architectural, installations hybrides selon les besoins du projet.

Autre chantier structurant : le partenariat autour de l’œuvre de M.C. Escher. Ride FX travaille avec le détenteur des droits pour développer SEARCHING FOR INFINITY, une expérience LBVR multi-usagers en réalité virtuelle basée sur les univers graphiques de l’artiste. Construite sous Unreal Engine, la plateforme permet à plusieurs participants de partager le même espace virtuel, avec finger tracking synchronisé, choix d’avatars et jeux de perspectives inspirés des célèbres escaliers impossibles. Ici, la technologie sert autant à honorer la complexité géométrique d’Escher qu’à jouer avec la perception des participants.
Ce projet s’appuie sur un outil maison, Myriad, un logiciel développé par Ride FX pour gérer création et exploitation d’expériences LBVR multi-joueurs. Financé en grande partie sur fonds propres, avec un soutien plus récent de la région Bretagne, Myriad doit permettre au studio de produire plus rapidement des expériences partageant un même socle technique, sans brider la diversité des contenus.

Scénographie hybride et coproductions muséales
Un point revient constamment dans le discours d’Elia Vermander : l’immersif, pour lui, n’est pas forcément synonyme de casco-centré. Ride FX parle de “scénographie hybride” pour décrire des projets qui combinent objets, décors, projections, son spatialisé, VR ou non, selon les besoins du récit. Un casque de soldat de la Seconde Guerre mondiale, un arbre tactile dans une installation, une projection sur un relief architectural : tout peut devenir élément de narration, à condition de rester au service de l’histoire.
Sur le plan de la production, le studio multiplie les montages en co-pro avec des musées : chacun apporte une part du financement, Ride FX garde des droits sur les expériences, les institutions bénéficient d’un contenu sur mesure et d’une expertise technique qu’elles n’ont pas en interne. Les accords se déclinent en pourcentages variables, mais reposent sur la même idée : une expérience créée pour un lieu ne doit pas être condamnée à disparaître une fois la saison terminée.

Parallèlement, un label, “Immersive Culture”, doit accueillir les projets initiés directement par le studio, en tant que producteur délégué. L’objectif : développer un portefeuille d’œuvres originales qui pourront ensuite être proposées à des réseaux de lieux culturels ou de sites LBVR. Cette double casquette commande / IP propre crée un espace de respiration : certains projets répondent à des cahiers des charges précis, d’autres expérimentent des formes plus libres. Le projet ODYSSÉE IMMERSIVE – conçue par l’helléniste et musicien Emmanuel Lascoux -, qui transforme le plus ancien récit d’aventure en une expérience sensorielle mêlant narration vivante, voix puissantes et deux millénaires d’art animé, appartient à cette seconde catégorie.
Vers une “industrie” de l’immersif à taille humaine
Ce qui se dessine, au fil des projets, c’est une vision de l’immersif comme pratique à la fois artisanale et industrialisable. Artisanale, parce que chaque expérience se nourrit d’un contexte – un musée, un sujet historique, un corpus artistique, un lieu spécifique. Industrialisable, parce que Ride FX investit dans des outils réutilisables (Myriad, pipeline 3D, infrastructures de test), dans un studio équipé en région, dans une équipe capable de passer du film VR à l’exposition clé en main.
Le studio ne prétend pas rivaliser avec les grands noms internationaux, mais il pose des jalons : une base en Bretagne, loin des pôles parisiens habituels ; un pied encore dans le cinéma, un autre dans la muséographie, un troisième dans le LBVR ; des deals où les musées ne sont plus seulement des “clients”, mais des partenaires de création et de diffusion.

Restent beaucoup de questions : quelle place prendra le LBVR dans les années à venir ? Jusqu’où mutualiser les outils sans uniformiser les expériences ? Comment articuler des IP fortes comme Escher ou Omaha avec des récits plus fragiles, moins évidents commercialement ? Ride FX n’avance pas avec des slogans, mais avec des cas concrets – ECHOES OF BRAVERY, POMPEII, SEARCHING FOR INFINITY – qui donnent matière à réflexion. Pour les programmateurs, musées et lieux de diffusion qui cherchent des partenaires capables de tenir ensemble exigence narrative et contraintes opérationnelles, le studio breton offre déjà un terrain d’exploration solide, à suivre de près.



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