Présenté lors du dernier festival de Venice VR Expanded, MEET MORTAZA de Joséphine Derobe poursuit sa route en festivals pour 2021 – notamment en sélection au prochain South By Southwest (SXSW).
Avec MEET MORTAZA Joséphine Derobe signe un film puissant et émouvant sur les pas de Mortaza, réfugié afghan dont la vie (et le parcours) bien réelle a guidé la caméra de la réalisatrice – comme un retour sur les souvenirs d’un homme aujourd’hui intégré en France mais dont l’histoire résonne en chacun de nous.
Elle revient sur le tournage, la forme immersive et poétique de ce documentaire et le choix de la réalité virtuelle pour toucher le spectateur dans sa propre intimité.
MEET MORTAZA est un documentaire en réalité virtuelle et un parcours en réalité augmentée (à venir).
Une série d’interviews est disponible sur TV5 Monde et www.meetmortaza.com
MEET MORTAZA est un projet destiné à un public européen à partir de 13 ans. Mon souhait avec cette expérience est de sensibiliser différemment à la problématique “des migrants” en Europe, d’engager les spectateurs dans leur intimité, par leurs ressentis afin qu’ils se sentent concernés par l’histoire de Mortaza qui fait écho à beaucoup de trajectoires d’exil et de recherches d’asile. L’odyssée de Mortaza est extrêmement positive puisqu’il a construit sa vie en France depuis plus de dix ans et s’occupe d’un centre qui vient en aide aux nouveaux arrivants. Nous faisons l’expérience de son récit à la première personne, immergé dans son souvenir, sans toutefois être sa place.
Joséphine Derobe, réalisatrice
Prendre la route (Turquie)
Dans le récit de ce voyage, le “transport”, qu’il soit physique ou symbolique, est central.
Le participant est propulsé dans le souvenir que Mortaza lui raconte, sa route d’exil forcé qu’il a emprunté entre l’Afghanistan et la France. Le spectateur ne bouge pas par lui-même, la dramaturgie passe par son ressenti face à la modulation de l’espace (visuel et sonore) autour de lui.
Certaines séquences sont dédiées aux nombreux moyens de transport que Mortaza a dû emprunter sur la route entre Kaboul et Paris, d’abord au grand jour puis caché, dans la clandestinité la plus totale.
Sur cette image, nous sommes dans un bus en Turquie. Cette longue séquence retranscrit les centaines de kilomètres parcourues et le temps qui passe. Grâce à un timelapse, les routes changent, le soleil tourne, puis les passagers disparaissent les uns après les autres et la nuit tombe.
A la fin de la séquence, le conducteur s’engouffre dans un tunnel sombre, nous sommes seuls à l’arrière du bus qui roule à grande vitesse sur cette route en descente, sans ouverture extérieure. J’exprime ici la perte de repères que Mortaza a vécu en se retrouvant dans “des paysages aveugles”, son isolement dans des moyens de locomotion de plus en plus confinés tout au long de sa route. Sans chercher à traumatiser le spectateur il fallait faire ressentir la perte de normalité, de contact avec les autres et avec l’extérieur, et même parfois la perte de liberté de son propre corps.
Arpenter le chemin (Italie)
En réalité virtuelle – même documentaire – la gestion de la scénographie est primordiale. Comme pour les moyens de transport, les lieux ont été choisis sur l’itinéraire véritable de Mortaza mais aussi en fonction de notre ressenti par rapport à cet espace : vaste, comprimé, inhospitalier, aveugle, naturel, urbain…
Sur cette photo de tournage, nous sommes réellement à Venise mais dans la zone portuaire, là où les migrants font face à la violence, à l’opposé du regard enchanté des touristes sur l’une des plus belles villes du monde.
Ce qui était important ici était de réfléchir à ce qu’on pouvait rendre visible. Nous filmons en 360° et en relief, donc c’était le labyrinthe de métal et l’absence d’échappatoires que j’ai mis en avant. Le son y est brut, rêche, il reflète la tension du moment où Mortaza ne sait pas s’il va sortir vivant du port de Venise Mestre. Il est acculé entre les machines, les agents de sécurité, les chiens qui aboient, le danger est réel, qui résonne de toute part et pourtant, comme lui on ne voit rien, on entend.
J’ai eu la chance d’avoir des producteurs qui ont compris l’importance de filmer des lieux que Mortaza avait vraiment traversé, malgré nos contraintes financières et logistiques inhérentes au format documentaire.
Rencontrer l’Occident (Italie)
Sur cette image, il y a de grandes lignes de fuite mais sans ouverture vers l’extérieur. Tout y est claustrophobique. Dans ce tunnel de gare, on retrouve une forme de normalité, un environnement urbain fréquenté par des passants. Cependant nous l’avons traité de manière non naturaliste avec des VFX en post-production pour rendre les passants “fantomatiques”. Le son y était désagréable, bruyant et on l’a renforcé pour accroître ce malaise. Mortaza ne connaît pas la langue italienne, il vient d’échapper à la police portuaire, il est totalement perdu dans le tunnel qui peut pourtant lui permettre de prendre un train vers la France et il doit faire face au regard des gens. L’arrivée de Mortaza en Europe a été un choc presque plus violent que sa route périlleuse en Orient. Une déconvenue d’autant plus cruelle qu’il avait mis tout son espoir d’une vie meilleure en Europe.
Je renvoie à ceux qui sont intéressés par le livre écrit par Mortaza “Je savais qu’en Europe on ne tire pas sur les gens” (éditions Vendémiaire).
Entre rêves et réalités (Grèce)
Cette séquence du bateau se situe au milieu de l’expérience. Dans la mise en scène, j’ai privilégié l’aspect symbolique, le caractère universel de cette étape du voyage.
Le parcours de Mortaza est une odyssée moderne. Il quitte ici l’Orient pour l’Europe, avec l’idée que le pire est derrière lui. Et en réalité c’est l’inverse ! Même si le décor est sublime, l’environnement paisible, contemplatif, minimaliste… L’arrivée en Grèce, première terre européenne, s’avère très vite inhospitalière.
La séquence de la barque entre la côte Turque et le rivage Grec utilise un passage en animation qui comporte des voix, ce sont des chants paisibles, en plusieurs langues d’hommes et de femmes, des sirènes qui accompagnent la barque. C’est un rappel des migrants qui n’ont pas eu la chance de survivre à la traversée. Je ne souhaitais pas rejouer le traumatisme de ces moments-là, j’ai donc privilégié la retenue. C’est un temps de flottement, d’onirisme assumé.
Montagnes animées (Afghanistan)
Ce dessin en ouverture de film représente le “paysage impossible”. Menacé de mort par les autorités religieuses, Mortaza a fui son pays en pleine nuit, à l’âge de vingt-cinq ans, sans savoir s’il y retournera un jour.
Il vit depuis dix ans en France pourtant il rêve régulièrement de ces montagnes, celles de Salang qu’il admirait lorsqu’il travaillait entre Kaboul et Mazar-e-Charif.
L’animation s’est imposée d’elle-même par la structure du récit – au-delà des problématiques de tournage. Avoir recours à des scènes oniriques permet de renforcer l’aspect universel, l’imaginaire personnel de Mortaza que capte le spectateur. En utilisant le dessin, il y a quelque chose de fort qui se créé… et avec la sobriété d’un noir et blanc qui ne dissimule pas l’émotion, la nostalgie derrière ce souvenir. C’est une proposition qui nous permet de travailler la sensibilité du récit dès le départ – en contraste à des séquences plus réalistes, plus dures.
Comme avec la séquence de la barque, on y retrouve l’expression du temps suspendu, en illustrant un territoire intérieur. Les deux séquences se répondent par leur valeur symbolique. Pour la montagne c’est le retour impossible dans son propre pays. Pour la mer, la frontière mouvante entre l’orient qu’il fuit et l’occident qui représente l’espoir d’un avenir encore incertain.
Plus d’informations sur MEET MORTAZA : meetmortaza.com
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