Lil Nas X, Ariana Grande, Jean-Michel Jarre ou Björk sont autant de stars mondiales qui se sont essayées aux scènes dans les métavers. Autrement appelés Musicverse, ces concerts, pouvant rassembler des milliers de spectateur·rices en ligne, proposent une expérience basée sur l’interaction des participant·es, la personnalisation d’avatars et de mondes virtuels et l’accès à des contenus exclusifs. Que représente aujourd’hui ces Musiverse en termes de marché ? Quelles expérimentations artistiques ont déjà été tentées ? Quelles sont les principales solutions techniques proposées ? A quels enjeux font face les professionnel·les du secteur musical ? Autant d’éclairages qui esquissent un scénario : l’arrivée probable des Musicverse dans le paysage musical…
“Ce soir je joue pour la première fois dans le métavers 🙂” s’exprimait le musicien Vladimir Cauchemar sur sa page facebook en novembre 2022. Le public s’habitue désormais à voir ce type de publication sur les réseaux sociaux. C’est un fait : de plus en plus d’artistes s’essayent à l’expérience métavers… Jean-Michel Jarre est sans doute le plus médiatique de tous. “C’est le premier à avoir essayé un concert dans le métavers. C’était pendant l’épidémie de COVID-19. Il était convaincu de cette nouvelle forme d’expression qui libère des contraintes physiques. C’est un nouveau territoire à explorer. Suite à cette performance, la Mairie de Paris a eu l’idée de commander à VRROOM un live de Jean-Michel Jarre “Welcome to the other side“. C’est une œuvre dans le métavers mais aussi captée par de multiples caméras et diffusée sur les médias traditionnels. Il y a eu 75 millions de spectateur·rices au total. C’est énorme même si ça comprend surtout les diffusions télé et web streaming. En 2022, Jean-Michel Jarre a réitéré l’expérience avec “Oxymore”, un autre concert donné à la Maison de la Radio. Le show était filmé et retransmis dans un monde virtuel spécialement créé à cette occasion. C’est fois c’était uniquement un live diffusé dans VRChat.” explique François Klein, producteur pour Digital Rise et pour VRROOM, et qui accompagne aujourd’hui les productions XR de l’artiste.
Un marché naissant
Dissipons les fantasmes : les Musiverse (contraction de Music et Metaverse) sont encore loin d’avoir structuré une filière professionnelle et de constituer un marché porté à maturité. D’autant plus que des chiffres clés et des études références sur le sujet demeurent encore inaccessibles. François Klein résume la situation à sa façon : “Nous sommes dans une phase de transformation. Pendant le confinement, les Musicverse ont bien fonctionné, parfois même avec un système de ticketing. Depuis on voit l’écosystème de l’industrie se mettre en marche.” Maud Clavier directrice générale de VRROOM confirme le dynamisme évoqué : “On observe que des acteur·rices du gaming comme Roblox ou Fortnite se sont positionné·es sur les concerts. On observe aussi que les plateformes du type VRChat s’orientent vers l’entertainment. De la même façon, toutes les majors comme Warner ou Universal s’intéressent à la question en poussant quelques artistes à produire des shows immersifs.” Les professionnel·les du secteur semblent donc avoir compris l’intérêt d’une pôle position sur ce marché naissant, d’autant que les soutiens financiers sont réels : “Nous assistons à la venue d’importants investissements publics pour construire un écosystème européen des univers virtuels. De la même façon, le PIA France 2030 soutient la création immersive notamment dans le métavers. Ce sont de bons indicateurs de la viabilité et du potentiel de marché.” poursuit François Klein.
Quelques festivals déjà précurseurs
Parallèlement les organisateurs d’événements commencent à imaginer des festivals dans le métavers. BlockByBlockWest, un festival lancé sur Minecraft en 2020, le festival Spotify sur Roblox en 2021 ou Transonic Second Life Festival qui organisait sa 4eme édition en 2023 sont des exemples intéressants à observer d’autant plus qu’ils se déroulent sur des plateformes de gaming déjà existantes. L’appétence des plateformes se remarque également au regard des créations de festivals “ex nihilo” conçus pour le métavers. Le Decentraland Metaverse Music Festival est à ce titre un exemple marquant. En 2022, plus de 200 artistes musicaux représentant tous les genres musicaux étaient programmé·es, y figuraient de grands noms tels que Björk, Ozzy Osbourne ou Souljaboy, ainsi que d’autres membres de la communauté Decentraland. Il est important de souligner que ce festival était accessible gratuitement et sans casque VR. C’est dernière donnée est notable : les Musicverse ne sont pas forcément synonyme d’expérience en réalité virtuelle !
A l’inverse SXSW fait figure de précurseur sur l’usage de la VR. Maud Clavier qui a assuré l’accompagnement auprès de l’équipe du festival SXSW explique : “La première édition Musivers de SXSW avait lieu en 2020 pendant le COVID, au moment où les rassemblements étaient interdits. VRROOM a conçu un monde social via VRChat avec plusieurs salles pour les festivalier·es. Dès l’année suivante, les organisateur·rices ont voulu poursuivre l’expérience avec un festival virtuel et un festival physique.” C’est là sans doute une clé de la pérennité des Musicverse : ne pas cannibaliser les éditions physiques et virtuelles en répartissant mieux les publics du festival. “A mon avis planifier deux temps du festival pour faire vivre autrement la marque et animer judicieusement la communauté. C’est un facteur clé de réussite”. Entendez là que les Musicverse ne suppriment pas l’expérience d’un festival physique mais la complètent. Autre illustration de cette philosophie avec le célébrissime festival Coachella qui organisait en 2023 un événement parallèle dans Fortnite basé sur les principes de jeu d’une chasse aux trésors.
Quelles solutions techniques ?
Toutes les plateformes citées jusqu’alors revendiquent des spécificités. Tout d’abord une première catégorie permet de créer des mondes virtuels à partir de jeux en ligne : Roblox, Minecraft, Fortnite, SecondLife… Ces jeux bacs à sables ont un double avantage : d’abord d’ancrer de nouveaux usages auprès de millions de jeunes joueur·euses, et parfois même autour de la musique comme en atteste le succès du jeu de création musical Splash. Deuxième avantage : ces jeux bacs à sable fédèrent déjà des communautés de millions de joueur·euses actif·ves. C’est dans ce cadre que la performance remarquée Astronomical de Travis Scott (sur Fortnite) a cumulé des dizaines de millions de vues. D’autres plateformes ont spécialement été imaginées pour des expériences VR et métavers. C’est le cas des géants VRChat, SandBox VR et Decentraland, des plate-formes de réalité virtuelle 3D décentralisées. Dans cette offre relativement dense, Ristband se positionne désormais sur les expériences entertainment et notamment les Musiverse (Ristband a collaboré avec le SXSW en travaillant en 2022 sur un live de réalité mixte produit par et pour l’artiste Miro Shot).
Ces solutions sont bien souvent la propriété d’entreprises états-uniennes et asiatiques ce qui rend la plateforme française VRROOM d’autant plus intéressante à observer. François Klein explique le positionnement de VRROOM : “On ajoute à notre activité de studio de production une plateforme métavers de diffusion dédiée au spectacle vivant. C’est une solution technique qui propose des outils qui permettent à tou·tes créateur·rices artistes d’inventer leurs univers métavers. Il y avait l’urgence d’avoir une plateforme européenne qui est une alternative aux géants américains. VRROOM respecte notamment la notion RGPD et le droit d’auteur. Les plateformes américaines sont assez flous sur ces sujets.” Une version bêta de VRROOM permet ainsi une multitude d’usages créatifs. Maud Clavier ajoute : “On lance la version pour que des créateur·rices externes – des studios ou des artistes – puissent créer des mondes virtuels et les publient facilement. C’est une solution avec une ligne éditoriale orientée vers l’entertainment.”
Concrètement si VRROOM garde l’opportunité de produire certains live, le panel technique sera assez large pour les professionel·les du secteur musical. “Il pourra y avoir des shows enregistrés puis diffusés dans le métavers, des directs lives dans des mondes virtuels, ou alors des concerts enregistrés pendant un festival physique et retransmis par un dispositif immersif, dit show hybride. Dans certains cas, il peut aussi y avoir des dispositifs holographiques. On a déjà exploré cette solution lors de la performance “Oxymore” de Jean-Michel Jarre. L’idée est d’avoir un éventail de solutions de captation des artistes pour ne pas restreindre la création. En parallèle, des solutions de motion capture utilisant de l’intelligence artificielle sont en train de se démocratiser et devenir accessibles (ndlr les starts-up MoveAi ou Theia Makerless proposent ce service).” commente avec enthousiasme Maud Clavier.
De nombreux enjeux à éclaircir
Reste que l’aspect technique n’est sans doute pas l’enjeu le plus important à venir. En premier lieu les professionel·les du secteur devront trouver une stabilité dans le business model des Musiverse. Et pour l’heure l’idée est de s’inspirer des pratiques existantes dans le secteur musical. Maud Clavier détaille : “On veut que VRROOM se base sur un business model de l’événementiel avec la possibilité de faire des placements de produits et du sponsoring. Notre plateforme est une version freemium avec une monétisation via des VRROOM Coins qui permettront d’acheter des tickets de concerts et du merchandising. Au début, les festivalier·es ne paieront rien pour qu’ils s’habituent au système des coins.” Une solution de ticketing et de monnaie virtuelle qui semble se normaliser dans plusieurs événements. Autre enjeu de taille : la montée en compétences des métiers existants : “Il faut réfléchir à monter des formations en collaboration avec des labels pour sensibiliser, former les équipes et les artistes. Les résidences artistiques sont aussi une piste qu’il faut explorer et qui permettent des échanges entre professionnel·les.”
Enfin autre enjeu, et non le moindre, comment allier la durabilité des Musicverse avec la transition écologique. Si la position de François Klein ouvre le débat – “Pour moi c’est un remède, une solution au secteur événementiel culturel. On veut que le poids total des mondes virtuels soient de quelques dizaines de Mo. C’est l’enjeu stratégique.” – ses propos sur la responsabilité des professionnel·les sont davantage incontestables : “Il faudra que tous les opérateurs de la chaîne de production – producteur·rices, développeur·euses, designer, artistes, diffuseurs – questionnent leur empreinte écologique. Ça commence par la mise en place de solutions d’infrastructures – notamment les serveurs en ligne – plus efficientes sur le plan environnemental.”
Pour aller plus loin
VRROOM launches its first metaverse platform dedicated to live performance
“VR in a live concert can be a powerful collective experience” – Roman Rappak (Ristband, Miro Shot)
“We were bold enough to operate everything as a live immersive show” – Tupac Martir (Vaal x Satore)
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