Realities in Transition (RiT) est un projet européen qui vise à explorer et soutenir les productions alternatives de réalité étendue (XR) et d’expérimenter de nouvelles narrations et processus créatifs. Il réunit Dark Euphoria (FR), iMAL (BE), KONTEJNER (HR), L.E.V. Festival (ES), V2_ (NL), CHRONIQUES (FR) et Ars Electronica (AT).
Partenaire du dispositif, XRMust vous propose une série d’entretiens d’artistes dédiés à l’art numérique.
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Propos initialement recueillis en anglais par Céline Delatte|Dark Euphoria
Dans le cadre des résidences artistiques #RiT au V2_ Lab for the Unstable Media de Rotterdam, mai 2023
Version anglaise sur le site de Realities in Transition.
Traduites par Mathieu Gayet|XRMust
Dark Euphoria | Interviewer: Céline Delatte : Dans vos créations artistiques, on décèle aisément différentes “couches” de réalité. Pour commencer cet entretien, je serais curieuse de connaître votre définition de laXR et des réalités étendues…
Eva Iszoro: C’est une manière d’ajouter de nouvelles couches et caractéristiques à la réalité physique/quotidienne. C’est comme ouvrir des portes vers de nouveaux mondes qui font partie d’un même univers plus vaste. C’est un concept global qui consiste à incorporer l’irréel dans le monde réel, de différentes manières. Et, ensuite, à l’intérieur, nous avons la réalité virtuelle, la réalité augmentée, l’IA, et ainsi de suite…

C’est une façon d’étendre la réalité, mais il y a tellement de façons différentes de le faire…
Eva I.: Lorsque l’on parle de réalité virtuelle, certaines personnes pensent systématiquement aux lunettes de réalité virtuelle. Je ne suis pas d’accord. La réalité virtuelle n’est pas réelle. Elle a été créée numériquement. Et elle n’est pas toujours nécessairement immersive. Elle est complexe. Parfois, la frontière entre le réel et l’irréel est confuse. Dans ma dernière œuvre : “Expecting Forward”, j’ai incorporé un bâtiment démoli dans la scène. C’était un vrai bâtiment, mais il a été scanné. Je l’ai acheté et je l’ai mis à l’intérieur.
(…)
Nous essayons d’explorer et de trouver des moyens de rassembler nos sujets. Pour en savoir un peu plus sur la manière dont nous voulons évoluer et sur ce que nous pouvons en faire. Quelles sont les possibilités, mais aussi les défis et les dangers. Car cela peut être très dangereux. La réalité virtuelle peut être utilisée à mauvais ou à bon escient. Comme tout dans la vie en fait.
En effet, cela dépend toujours de l’utilisation… Merci pour ces considérations ! Pourriez-vous désormais nous en dire un peu plus sur vous ?
Eva Iszoro: Je m’appelle Eva. Je suis une artiste visuelle, une créatrice de mode, une architecte et une chercheuse en découpage expérimental et créatif. J’ai ma propre méthode que j’ai décidé de nommer “Accidental Cutting”. Elle est axée sur l’obtention de volumes complètement nouveaux. Des volumes originaux qui n’existaient pas auparavant, grâce à des motifs accidentels et abstraits, des motifs plats. Cette méthode peut donc être utilisée dans la mode, mais aussi dans l’art, par exemple pour de nouvelles sculptures ou de nouveaux designs.

Eva I.: J’ai également une marque de mode, “Accidental Cutting”. Et je présente actuellement des collections à la Fashion Week de Londres. J’ai déjà présenté six collections. J’ai commencé pendant la période de COVID-19, à Londres, en septembre 2020. J’ai proposé une collection virtuelle et ils l’ont acceptée, mais je n’étais pas du tout une experte en matière virtuelle.
Aviez-vous déjà essayé la XR avant cela ?
Eva I.: Étant initialement architecte, j’étais habituée à certains logiciels 3D, comme AutoCad / Rhino – et 3D Studio Max. Mais c’était il y a de nombreuses années. Ma méthode de découpage expérimental de modèles, c’était d’abord à la main. Il n’était pas nécessaire de le faire virtuellement. J’étais même contre le fait de le faire avec un ordinateur. Parce que l’un des aspects importants du découpage expérimental est qu’il est très intuitif. Vous pouvez obtenir ces volumes très facilement. Il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes connaissances en matière de découpage pour obtenir des volumes expérimentaux très complexes avec ma méthode.
Eva I.: Normalement, dans le domaine du design, avec la méthode classique – pas toujours bien sûr, mais classiquement – le designer imagine quelque chose, a l’inspiration, et travaille ensuite pour obtenir l’objet ou la création. Cela n’existe pas dans ma méthode. L’esprit ne participe pas au processus de conception dès le départ.

Vous concevez réellement le processus.
Eva I.: Oui, et tout au long du processus, vous obtenez ces volumes inattendus. Et lorsque vous commencez vos recherches, vous ne savez pas ce que vous obtiendrez. Vous cherchez quelque chose, vous trouvez quelque chose. C’est complètement différent. On ne cherche pas un résultat, mais on obtient un résultat. On l’aime ou on ne l’aime pas, on l’utilise ou on ne l’utilise pas… Peu importe ! La méthode est axée sur l’obtention de volumes originaux et inexistants. (…)
Quels outils utilisez-vous pour créer ?
Eva I.: Pendant la pandémie, j’ai commencé à apprendre des logiciels pour créer des volumes avec des motifs plats, comme CLO 3D. Il y a aussi Marvelous Designer, mais il appartient au même propriétaire que CLO 3D et à quelques petites différences, les gens disent que CLO 3D est plus pour les créateurs de mode avec plus d’options de production, et Marvelous Designer est plus pour les créateurs de jeux vidéo, je ne connais pas les différences exactes parce que je n’utilise que CLO.
Eva I.: Je me suis rendue compte qu’il était très facile de travailler en mode virtuel et j’ai adoré dès le début. J’ai commencé en mars 2020 et j’ai postulé à la London Fashion Week autour d’avril. Environ un mois après. J’ai proposé mon défilé virtuel et ils l’ont accepté. (…) Ce logiciel est intuitif. J’ai donc pu faire tous les vêtements virtuels, mais je n’ai pas pu faire toutes les animations, les mouvements. J’ai eu besoin d’aide pour le premier spectacle… Mais ensuite, j’ai décidé que je voulais tout faire moi-même pour avoir une plus grande liberté de création et j’ai dû apprendre d’autres applications pour les cinq spectacles suivants. Je pense qu’à l’heure actuelle, je gère environ 10 moteurs et logiciels différents (CLO 3D, Mixamo, Blender, Unreal Engine, Maya, ZBrush, ZWrap, PhotoShop, Metashape, Rhinoceros). Par exemple, pour faire les cheveux, le meilleur pour moi c’est Maya qui a un plug-in appelé XGen. Au moment où j’ai eu le sentiment qu’il me suffisait d’en apprendre deux de plus pour avoir un contrôle suffisant, plus précisément : Side FX Houdini et Cinema 4D, les applications d’IA m’ont fortement perturbée (Midjourney, DALL-E 2, NightCafe etc.), mais je pense qu’elles sont très intéressantes pour ma pratique également. C’est une histoire sans fin, j’ai l’impression que je ne cesserai jamais d’apprendre.
Eva I.: Le meilleur moyen est d’expérimenter. De trouver sa propre voie.

Et où trouver les ressources pour travailler avec ces logiciels ?
Eva I.: Tout ce que j’ai appris se trouve sur YouTube ou dans des cours en ligne. J’ai aussi quelques consultants. Par exemple, si je trouve un YouTuber qui explique très bien, je le contacte directement quand j’ai un problème spécifique. Par exemple, en Espagne, j’ai un très bon consultant. Si j’ai un problème avec Blender, je contacte toujours Oliver de Blendtuts, et pour Maya / XGen, ZBrush et ZWrap, je demande de l’aide à Jorge de la chaîne UOD Youtube.
Quand j’étais jeune, quand je voulais apprendre un logiciel, je devais aller dans une académie spécifique ou acheter un livre. Aujourd’hui, avec internet, c’est vraiment incroyable.
Quels conseils donneriez-vous aux créateurs qui voudraient se lancer dans l’aventure XR ?
En ce qui me concerne, je n’avais pas prévu d’apprendre cela. C’est arrivé accidentellement, juste à cause de la pandémie. Je savais auparavant qu’il existait un logiciel de mode virtuelle, mais je n’ai jamais eu le temps de m’y mettre, et puis, lorsque je devais rester à la maison, c’était enfin le moment de le faire.
Mon conseil est de se passionner pour quelque chose. Je pense que certaines choses sont arrivées en cours de route. Mon premier objectif était de créer des vêtements virtuels. Pas nécessairement de faire de l’art. Lorsque j’ai commencé à explorer la virtualité, la chose que j’ai trouvée la plus intéressante est que l’on peut faire des choses qui ne sont pas possibles dans notre monde physique. Dans la VR, nous n’avons pas de gravité ni d’autres limites matérielles ou physiques… Les possibilités sont incroyables. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher l’inconnu, l’inexistant. Avec ma méthode de patronage, j’obtiens des volumes qui n’existaient pas dans l’histoire de la mode. Personne ne peut dire que j’ai copié quelque chose, vous savez, et pour moi, avec la VR, c’est pareil. (…) Mon conseil est donc d’être passionné. Parfois, on ne peut pas programmer. C’est juste en passant, en chemin et au coin de la rue. (…) J’insiste sur les choses expérimentales. Parfois, ce n’est pas rationnel. J’aime les erreurs.

Un autre conseil est de travailler beaucoup. Si vous faites beaucoup de choses, vous pourrez en apprendre davantage. Expérimentez pour atteindre l’inconnu. Ne réfléchissez pas trop, contentez-vous de faire, de faire, de faire et d’apprendre en faisant.
Selon vous, quelle est l’orientation de la XR et quelle est celle que vous souhaiteriez lui voir prendre ?
Je pense que la XR est notre monde complémentaire. Par exemple, en architecture, lorsque vous devez présenter un concours, on vous demande de créer une maquette réelle. Dans certains pays, il fallait même envoyer ce modèle réel au jury. Mais aujourd’hui, il est possible d’envoyer une version virtuelle et les membres du jury n’ont qu’à mettre le casque et voir le bâtiment, et même un politicien peut voir la proposition beaucoup plus facilement et plus en détails… Ainsi, la mise en œuvre irréelle devient nécessaire dans notre monde réel actuel. (…) C’est le cas en médecine, en architecture et, bien sûr, en art. Le XR est utile dans de nombreux domaines. Et quel est l’avenir de cette technologie ? Je pense que nous sommes actuellement dans une période orthopédique, car nous disposons de tous ces gros dispositifs inconfortables. (…) Au début de l’informatique, les écrans ressemblaient à de très grosses boîtes. Il y a 20 ou 30 ans, ils pesaient 50 kg. Je pense que dans la VR, nous sommes à ce moment-là. Et cela va aller plus vite. Nous aurons des appareils transparents, ou une puce, ou peut-être une technologie basée sur les hologrammes. J’aimerais que les hologrammes se développent, qu’on développe des mondes communs. Ce serait probablement très dangereux, mais j’imagine des installations, des expositions, des défilés de mode où l’on fait asseoir les gens dans le parc et où l’on ne peut plus distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Je pense que c’est la voie à suivre, et je pense que la VR sera dans tous les cas moins orthopédique qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est ainsi que va la technologie. À tout moment, une nouvelle technologie peut apparaître et tout chambouler, comme c’est le cas actuellement avec les applications de l’IA. En général, dans mon cas, l’objectif principal est de rechercher l’inexistant et d’explorer des choses que nous ne pouvons pas faire dans le monde physique.
Excitant !

Realities in Transition un projet co-financé par le programme Europe Créative de la Commission Européenne.

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