Ouvert depuis le printemps en région parisienne (Montreuil), l’expérience TERMINATOR 2 : NO FATE de Dream Factory tend à familiariser le public français avec le cinéma immersif dans son approche la plus populaire. En adaptant pour l’occasion TERMINATOR 2, l’équipe de Dream Factory a sans doute ouvert une porte pour de nouvelles expériences interactives dans l’Hexagone. Retour sur la genèse du projet avec son cofondateur Grégoire Nedelcovici.
A ce jour, les réservations sont ouvertes jusqu’à février (mais le spectacle devrait continuer jusqu’au printemps 2023) : https://nofatecinemaimmersif.com
Dream Factory, imaginer le cinéma immersif français
Grégoire Nedelcovici – L’aventure Dream Factory a commencé début 2019 lorsque j’ai rencontré Tristan Desplechin lors d’une journée de discussions organisée par l’AFAI (Association Française des Artistes de l’Immersif – lien). On était tous les deux passionnés des grandes propositions étrangères de divertissement telles que SECRET CINEMA à Londres ou SLEEP NO MORE à New York. Nous avions chacun vécu dans ces deux villes, et découvert l’engouement de tels dispositifs pour le grand public. C’était le début d’une belle histoire d’amour créative autour de cette passion commune ! Dès l’été, après avoir été rejoint par Eliza Calmat, nous avons créé notre structure et développé de premiers concepts en étant incubés au Cargo (LINCC – lien) dans le nord de Paris.

G. N. – Très rapidement nous voulions développer des expériences immersives très fortes, dans le monde réel. Ce sont des œuvres collectives et conviviales avant tout, il fallait répondre en premier à ce cahier des charges. Avant cela, nous avons œuvré dans différentes entreprises autour du design d’expérience et la narration, avec finalement des curriculums qui se complétaient assez bien pour aller vers du cinéma immersif nouvelle génération, comme le font les anglais de Punchdrunk ou de Secret Cinema. On était aussi intéressé par des pratiques plus expérimentales, sans forcément aller tout de suite vers les nouvelles technologies.
Installer de grands événements immersifs en France
G. N. – Évidemment l’absence de tels spectacles en France nous a interrogé. Monter une production comme TERMINATOR 2 : NO FATE (en partenariat avec StudioCanal) n’aura pas été sans problèmes à résoudre, et il a fallu “défricher le terrain”, évangéliser pour y arriver. Et en même temps, c’était une vraie opportunité de se lancer dans un marché encore balbutiant ! Dream Factory s’est construit comme une vraie aventure humaine et collective, en connaissance de cause concernant le contexte français. Une expérience immersive, c’est comme un film ou un jeu vidéo : il faut avoir ses propres ingrédients, son personnel, sa formule. L’envisager dans un pays où la culture immersive est en devenir, c’est s’affranchir des références et s’offrir une liberté folle. On a beaucoup exploré créativement mais aussi comme nouveaux entrepreneurs du secteur !

G. N. – Nous voulions aussi associer à l’idée de divertissement des histoires fortes. Il ne fallait pas céder à la facilité, et proposer de vrais concepts. A la frontière des sujets de société et de la narration, on a essayé de trouver un équilibre pour convaincre le public. Et s’approprier TERMINATOR 2 allait dans ce sens, avec cette vision d’un avenir pas si réjouissant – et une œuvre définitivement culte pour les cinéphiles. On a évidemment tourné autour du film d’action, mais il y a aussi des questions sur notre rapport à la technologie, à l’intelligence artificielle, à un futur incertain… qui font écho à aujourd’hui. La pop culture peut servir à ça ! Et le pari de l’associer au spectacle vivant, vu souvent comme plus élitiste, fonctionne : c’est la rencontre du blockbuster et du théâtre.
G. N. – Notre principale problématique n’était pas en soi la production d’un spectacle d’un niveau de TERMINATOR 2 : NO FATE. La complexité d’une telle entreprise, c’est le modèle économique et légal. Le format que nous proposons ne rentre dans aucune case, il a fallu étudier chaque point logistique, du lieu notamment, pour tout installer. L’importance de l’espace physique est fondamentale, et nous nous sommes énormément formés vis-à-vis de ces contraintes réelles. Notre équipe de concepteurs d’expérience (Raphaël Bleines-Ferrari, Thibaud Gomès-Léal et Mathieu Lemeunier) et Eliza à la direction artistique ont dû là-aussi proposer plusieurs solutions en fonction des lieux envisagés, dans une approche plus “game design”.

TERMINATOR 2 : NO FATE, la version immersive de TERMINATOR 2
G. N. – TERMINATOR 2 : NO FATE, c’est une relecture du film et non pas une simple adaptation. On se reconnaît plus dans cette notion de théâtre, avec des comédiens, du dialogue, des actions. Les références internationales comme SLEEP NO MORE sont plus de l’ordre du ballet expérimental. Avec TERMINATOR 2 : NO FATE, l’intention était vraiment d’incarner chaque séquence avec nos comédiens, nos décors, le public. C’est en cela plus narratif, dans un monde alternatif “à la TERMINATOR 2”. Et pour autant, chaque spectateur peut déambuler librement, s’impliquer à différents niveaux. Sur ce point, les références sont plutôt de l’ordre du jeu vidéo – comme GTA ou les mondes ouverts. Et c’est en cela qu’on change la consommation de ce type de divertissement, à la croisée des autres industries créatives.

G. N. – On a une mission d’éducation auprès du public, qui n’est pas toujours informé. Il faut appréhender les différentes approches des spectateurs, ceux qui sont prêts à sauter dans notre univers, et ceux qui ont besoin d’un temps supplémentaire. C’est là où l’introduction, le onboarding, de l’expérience est fondamentale. Et ce sont les comédiens qui dosent les choses ! Il a fallu dès l’écriture anticiper cela, pour laisser des espaces de liberté créative au fil du scénario. Improviser, rebondir en direct, etc.
G. N. – Que doit-on garder du film ? Que peut-on modifier ? Il y avait évidemment de grosses scènes d’action impossible à dupliquer dans un lieu fermé, comme la poursuite entre le camion et la moto qu’a magistralement réalisé James Cameron. On s’est donc focalisé sur l’histoire, les émotions à retrouver, et cela nous a donné les critères pour construire notre version de TERMINATOR 2.
Définir le modèle d’exploitation des spectacles immersifs
G. N. – La vraie contrainte aujourd’hui pour le cinéma immersif, c’est l’absence de lieu adapté. Il y a une double dynamique existante en France : soit le circuit des expositions, en réalité prévu plusieurs années à l’avance, soit les lieux culturels avec une programmation accueillant des événements sur quelques jours ou semaines. Dans les deux cas, c’est très difficile de débarquer avec nos équipes pour tout révolutionner, sur une grosse période. Notre pari a été de trouver un lieu abandonné, voué à la réhabilitation et susceptible de nous accueillir sur plusieurs mois. C’est le cas à Montreuil (93), même si cela nous a obligés à tout installer, même l’électricité ou obtenir des autorisations administratives spécifiques. Finalement, nous avons les contraintes d’un lieu pérenne, sans les avantages (comme les subventions d’un lieu culturel classique en cas de bail classique).

G. N. – Et sur ce point, nous avons noté l’enthousiasme des élus locaux, des mairies, pour dynamiser leur commune. Mais c’est au niveau législatif qu’il faudrait intervenir pour envisager les cas spécifiques de spectacles artistiques hors les murs, et des soutiens spécifiques. Sans compter la dynamique immobilière qui peut handicaper notre business model… Il faut pouvoir discuter avec les promoteurs pour que notre arrivée se fasse sans briser notre potentiel. Sur ce point nous avons eu la chance de rencontrer Alios Développement, un promoteur immobilier qui a bien compris la situation et nous a accueilli à Montreuil. Tout cela est ensuite une question de volonté politique, et le bon exemple est la signature par la mairie de Paris en 2022 de la charte pour le développement de projets d’urbanisme temporaire et transitoire (lien). On peut aussi envisager d’autres modèles plus mobiles (courte durée,…) pour se rapprocher des établissements culturels.
G. N. – Notre enjeu suivant, c’est la circulation de nos spectacles et le prix moyen du ticket. Là-aussi le format de nos spectacles ne nous permet pas d’obtenir de subvention pour nous aider. De plus, notre public est pour l’instant essentiellement parisien – sans qu’un lieu à Paris même existe dans des loyers accessibles. On regarde inversement vers les villes françaises pour nous développer, mais aussi vers un réseau de villes européennes. On aimerait faire vivre le projet au niveau national. Et évidemment développer de nouvelles expériences à côté de TERMINATOR 2 : NO FATE, des choses plus liées au numérique. Sans oublier que TERMINATOR 2 : NO FATE évolue de soirée en soirée, et nous améliorons le spectacle à chaque représentation – comme toute œuvre de théâtre.
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