PAPER BEAST fait partie des jeux vidéo indépendants qui ont réussi en quelques mois à avoir une vraie vie en festivals.. Et sur les stores ! La nouvelle création d’Eric Chahi (ANOTHER WORLD, HEART OF DARKNESS, FROM DUST), multi récompensée au festival Les Ailleurs 2021 ou à Raindance 2020, propose un périple poétique mais non dénué d’embuches. Pour les gamers forcenés, et pour les autres aussi.
Du 8-bit à la réalité virtuelle
Eric Chahi – J’ai commencé à travailler dans le secteur du jeu vidéo dans les années 80, avec les machines 8-bits, Amstrad… Et j’ai toujours gardé un rôle d’auteur fort, indépendant, pour développer mes propres créations. Même si j’ai fait une grande pause à un moment, j’ai toujours su que le jeu vidéo était mon domaine de prédilection. En 2016 j’ai créé Pixel Reef, une structure de production où j’ai dirigé en toute liberté une petite équipe de 15 personnes environ pour créer mon premier jeu en réalité virtuelle, PAPER BEAST.
E. C. – Dès les années 90 j’avais pu testé les salles d’arcade à Londres qui passaient des jeux comme DACTYL NIGHTMARE, et ça m’avait interpellé – même si je ne fais pas la même chose. Les images en relief me fascinaient déjà ; à la fin de HEART OF DARKNESS on pouvait revoir certaines séquences en anaglyphe. Il y a eu ensuite le Virtual Boy, d’autres dispositifs intéressants. Si je travaille avec les casques HTC, je conçois que les casques Oculus Quest démocratisent grandement la VR. Le PSVR n’est pas non plus à ignorer, notamment parce qu’il est très confortable !
E. C. – PAPER BEAST a été dès le départ conçu comme une œuvre VR, sous Unity. La réalité virtuelle m’a séduit pour l’immersion dans un espace tangible, mais aussi les possibilités d’interaction des premiers Vive – et aujourd’hui le Valve Index. C’est très différent de développer pour la VR, notamment pour des raisons techniques. Et le potentiel de création des univers virtuels, on l’effleure à peine. Les outils du jeu vidéo – comme Unity, Unreal – ne sont pas encore optimisés pour cet usage.
PAPER BEAST : le temps du développement
E. C. – PAPER BEAST est un amalgame progressif d’idées, avec un point de départ côté thème : créer un jeu sur le vivant, le mouvement. C’est quelque chose qui me fascine. Le passage du temps, le paysage qui se transforme, les feuilles d’un arbre… Je voulais aborder ce type de sensations qui évoluent avec le contexte, sans parler bien évidemment des animaux dans le jeu, leur propre façon de bouger. Et puis un jour j’ai découvert les robots de Boston Dynamics, avec ces quadrupèdes autonomes adaptifs mais dérangeant pour le coup – pas comme dans PAPER BEAST. C’est quelque chose qui m’a inspiré côté gestuel, déplacement. J’ai donc créé un prototype en 2D avec un moteur physique de segments.
E. C. – Entre temps j’ai développé un autre projet interactif pour la Cité du Volcan à la Réunion, un simulateur de volcans. Ensuite seulement une fois l’équipe constituée, j’ai repris le prototype pour en imaginer la vraie forme. On a rapidement choisi le papier comme matière à explorer, de par ses facultés physiques et visuelles. On s’affranchit d’un réalisme qui peut piéger, décevoir. Notre choix de style visuel a eu un impact sur les squelettes des animaux, avec des mouvements très particuliers. Et esthétiquement, c’était très convaincant.
E. C. – Au bout de six mois, j’ai eu une autre idée : créer un monde hybride entre cette volonté de vie, de faune et flore, avec la data. Comme s’il existait dans un datacenter fantasmagorique… J’avais également envie de parler de l’information, des données – un pont entre réel et artificiel. L’univers s’est alors cristallisé, et notre chemin est devenu assez clair. J’avais l’idée, les chapitres, quelques images fortes en tête (la cage au démarrage, avec les rideaux rouges, par exemple). Mais le processus de création n’a pas été une ligne droite évidente.
Lier le joueur à l’univers proposé
E. C. – Je voulais que la narration soit centré sur la relation entre le joueur et les animaux, dans un environnement en évolution totale. Il y a des instants surréalistes dans ce périple au long cours. Le directeur artistique a même dépassé le concept d’animaux en papier, tout en conservant des physionomies simples, minimalistes. C’est sans doute cela qui donne à PAPER BEAST cet aspect poétique, joyeux.
E. C. – Les créatures sont fragiles. On a passé un an pour équilibrer leurs interactions, et trouver la bonne sensibilité. Leur animation est paramétrée, dirigée par des algorithmes qui ont été conçus et réglés pour trouver cette émotion. Les événements physiques du monde font avancer le récit, comme une tempête de papier par exemple. Le propos est avant tout poétique, surréaliste. Et si on peut proposer des tableaux artistiques à chaque séquence, en fond on retrouve la notion de datas, de codes.
VR et interactivité : un futur à découvrir
E. C. – Les moteurs de jeu vidéo sont très utilisés pour leur possibilité visuelle séduisante. Pour ma part je reste un peu frustré côté interactions. Pour les gérer, coder les comportements, il y a des langages informatiques différents selon les plateformes – on peut s’adapter mais c’est dommage de ne pas gérer de manière plus intuitive les interactions. C’est le parent pauvre du développement, alors qu’on pourrait aller beaucoup plus loin – L’évolution visuelle des moteurs est plus importante comparativement. J’ai choisi une approche plus algorithmique pour travailler sur PAPER BEAST, et proposer une forme de liberté au spectateur et d’interactions qui ne sont pas imposées.
E. C. – C’est ce qui se passe dans le monde qui guide le spectateur, sans lui fournir de points de repère trop évidents. C’est à l’opposé de la tendance actuelle dans le jeu vidéo. Mais je voulais ouvrir les imaginaires, laisser le spectateur décider. Il y a certes des instants incontournables, mais la narration se déploie au rythme que vous voulez. On canalise plutôt qu’on impose. Au final les retours des joueurs aguerris ou des débutants ont été similaires, et de façon très positive, sur notre proposition. L’expérience a été marquante pour beaucoup.
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