C’était certainement l’un des projets les plus attendus de cette édition 2023 de Venice Immersive. Le rendez-vous italien présentait en avant-première mondiale la nouvelle expérience du studio québécois Félix & Paul Studios… et leur première en réalité augmentée ! JIM HENSON’S THE STORYTELLER: THE SEVEN RAVENS est un conte fantastique présenté sur le Magic Leap 2 qui ouvre de nombreuses possibilités quant à une littérature réellement interactive. Rencontre avec le chef de l’innovation, cofondateur du studio et co-réalisateur du projet Paul Raphaël à ce sujet.
Préambule : L’aventure SPACE EXPLORERS et L’INFINI
Paul Raphaël – Le projet documentaire SPACE EXPLORERS a commencé il y a 7 ans avec l’idée de suivre le programme de préparation spatiale : les entraînements, les astronautes… Mais tout cela a finalement pris une ampleur inédite qui nous a amené à envoyer une caméra dans l’espace en 2018 pour produire de nouveaux épisodes (au final, 3 caméras sur L’ISS dont une pour les sorties extravéhiculaires). C’était une durée nécessaire pour nouer des liens avec les différentes agences spatiales américaines et internationales. Notre collaboration nous a amené à produire +300 heures de rush, bien au-delà de nos attentes. C’est certainement le plus grand projet audiovisuel lié au programme spatial de la NASA, et couvrir la vie dans l’espace d’une dizaine d’astronautes – qui sont autant des sujets de nos épisodes que des collaborateurs pour les réaliser.
P. R. – La période de la pandémie a été certes complexe pour nous, surtout lorsqu’on envisage de donner corps à une vraie exposition itinérante (et interactive) pour présenter nos contenus 360 à un vrai public. SPACE EXPLORERS: L’INFINI est de retour à Montréal dans sa dernière version, après une tournée nord-américaine qui a réuni +300 000 spectateurs. C’est une exposition qui connaît des mises à jour régulières, et des adaptations selon le lieu envisagé. Son lancement fin 2020 s’est fait autour de plusieurs confinements, mais nous avons eu la chance de visiter plusieurs villes aux Etats-Unis : Houston, San Francisco… L’objectif est évidemment de pouvoir dupliquer l’exposition pour l’envoyer dans d’autres pays, et continuer à acculturer le public à la réalité virtuelle. Nous avons toujours un large pourcentage de personnes qui n’ont jamais fait de VR !
P. R. – Cette première période de production d’un LBE (en lien avec le Centre PHI de Montréal, qui est un partenaire depuis de nombreuses années) nous a énormément appris, et nous allons continuer à développer des propositions d’expositions « large scale » susceptibles d’accueillir nos contenus. C’est une vraie opportunité de pouvoir diversifier nos possibilités de revenus en dehors des plateformes – qui restent des opérateurs privés, des espaces où nous n’avons pas énormément de visibilité. Nous avons aujourd’hui un modèle de distribution indépendant très satisfaisant.
P. R. – La poursuite de toute cette aventure spatiale a évidemment freiné plusieurs autres projets au sein du studio, mais le hasard a voulu aussi que dans le même temps Magic Leap ait opéré un pivot stratégique pour se relancer. Lorsque nous sommes revenus activement sur le développement de THE STORYTELLER, ils étaient donc à nouveau prêts pour nous accompagner.
JIM HENSON’S THE STORYTELLER: THE SEVEN RAVENS, un premier projet AR pour Félix & Paul Studios
P. R. – L’immersif par le numérique, quel que soit le format (VR, AR…), nous intéresse. Il est vrai que notre passé de cinéastes nous a rapidement guidé vers la vidéo 360 et la capacité de l’immersion à capturer le réel. Nous avons donc eu une courbe d’apprentissage pour arriver à des expériences plus interactives, avec du temps d’étude et de recherche pour ajouter des couches d’artificialité, de 3D, d’effets visuels pour raconter de nouvelles histoires. La place de la caméra, le montage, le sound design, la densité de l’histoire… Il nous fallait appréhender au mieux tous ces paramètres pour appréhender la place de la réalité et du virtuel avec des outils AR. Et ensuite arriver sur l’interactivité en elle-même.
P. R. – En 2018, nous avons monté une équipe au sein du studio pour travailler sur la réalité augmentée ou mixte, avec comme premier projet JIM HENSON’S THE STORYTELLER: THE SEVEN RAVENS que je réalise avec mon co-fondateur Félix Lajeunesse. Son développement s’est fait en parallèle de l’exposition L’INFINI, qui elle-même nous a permis d’étudier des idées liées à l’interactivité. Pour l’AR, on part du principe que c’est une proposition proche de la réalité virtuelle avec des « pixels transparents » tout autour. Il nous fallait comprendre les avantages et défauts de ces dispositifs. On passe d’une immersion totale à une altération du réel, de notre propre environnement physique. Sans tout contrôler, comment créer l’immersion ? Comment justifier la présence des personnages, de certains décors ?
P. R. – C’est pour ça que le livre était un portail idéal pour THE STORYTELLER. C’est une porte vers l’imaginaire (“suspension of disbelief”) que tout le monde connaît et utilise intuitivement. Avec THE STORYTELLER, nous avons conçu l’ensemble sans interface ni bouton. C’est totalement inclusif dans notre approche, permettant de toucher le maximum de public. Le livre donne vie à l’expérience, et pas l’inverse. Et avec une vraie physicalité, quand on a l’œuvre dans les mains ! C’est une démarche totalement différente par rapport à la VR et ses contrôleurs. Même la taille du livre a été calculée pour correspondre au casque utilisé, le Magic Leap 2, et son field of view. Le contraste des scènes, la luminosité de la projection sont autant de critères que nous avons travaillés.
P. R. – Il a fallu utiliser cette technologie AR en la poussant au mieux dans ce qu’elle pouvait représenter pour nous, mais sans la “casser” ou créer quelque chose de difficilement utilisable. JIM HENSON’S THE STORYTELLER: THE SEVEN RAVENS est au maximum de ce qu’il était possible de faire dans l’état de la technologie.
P. R. – Avec Félix, nous sommes de grands fans de l’œuvre de Jim Henson. Nous étions en fait en discussion sur un autre projet, qui ne s’est jamais réalisé, avec ses héritiers lorsque l’idée d’un projet en AR a commencé à émerger. Nous leur en avons parlé, car il nous fallait une histoire courte similaire à un conte de fées. Quelque chose qui toucherait le maximum de gens, là-aussi ! THE STORYTELLER avait connu une première version sous forme de série télévisée en 1988, donnant vie à 9 histoires en fiction et stop motion. Un autre projet est actuellement en développement avec Neil Gaiman – qui est devenu le narrateur de notre version en réalité augmentée !
P. R. – THE STORYTELLER: THE SEVEN RAVENS a donc été développé fidèlement par rapport à l’œuvre de Jim Henson, mais aussi en interrogeant les scénaristes en train d’écrire la nouvelle adaptation. On voulait lui rendre hommage, même sans marionnettes. Les personnages sont numériques, mais nous avons travaillé à leur donner un peu la même image – un peu plus humaine.
P. R. – Il fallait éviter l’aspect “film animé miniature”. Chaque page a été travaillée comme une sculpture interactive. Il y a des éléments de l’histoire qui avancent, mais on peut aussi prendre le train pour vraiment tout regarder. Ensuite seulement la main tourne la page… Encore une fois, on est parti du livre pour poser toute l’histoire. Les premières pages sont dessinées à la main, avec peu de profondeur. Et puis, progressivement, le récit prend de la profondeur, on a travaillé séquence après séquence pour trouver des astuces sur l’échelle et la dimension des scènes.
P. R. – Nous avons ensuite rencontré Magic Leap avec une version du projet sous forme de storyboard très fidèle à la version finale. Peu de choses ont changé. C’est fascinant de constater que l’expérience qui existe ressemble vraiment à ce que nous avions en tête !
Le livre comme plateforme de diffusion AR
P. R. – JIM HENSON’S THE STORYTELLER: THE SEVEN RAVENS est la première expérience en réalité augmentée produite par Félix & Paul Studios, et doit mener à la création d’une plateforme AR pour proposer des contenus similaires. On peut imaginer une galerie d’histoires, à partir d’un même support. Tout y est possible, et on recherche des partenaires pour développer ça.
P. R. – On travaille régulièrement avec des marques ou des personnalités. Mais Félix & Paul Studios, ce sont aussi des contenus originaux comme MIYUBI précédemment. SPACE EXPLORERS est un projet initié en interne, et nous travaillons à de prochains épisodes qui pourraient s’orienter vers la fiction. On réfléchit toujours à cette question de contenus originaux, mais toujours dans l’idée d’attirer du public. C’est pour cela que le travail sur des marques identifiées peut souvent faciliter les choses.
P. R. – Aujourd’hui le studio repose sur 3 piliers : des expériences cinématographiques VR sur les stores, la réalité augmentée en AR ou MR, et enfin les expositions immersives (LBE). Il y a un marché global avec plusieurs branches, nous les explorons toutes. L’arrivée d’Apple (et son casque premium) plus un marché technologique très dynamique supportent tous les écosystèmes liés à l’immersif – et l’arrivée certaine de nouveaux investisseurs pour que la dynamique continue dans la production de contenus, mais aussi l’idée de plateformes mieux implantées. C’est un bon moment pour nous.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.