Lauréat du Prix du Producteur français d’animation en 2022 par la PROCIREP, Darjeeling continue à explorer la croisée des chemins créatifs entre programmes audiovisuels, jeux vidéo, documentaire ou nouvelles écritures. Un parcours logique autour de thématiques fortes que nous décryptons avec son cofondateur Marc Lustigman.
- Fondée en 2009, Darjeeling est pensée dès sa création comme une entité hybride, un espace dédié aux créateurs à la frontière entre société de production, studio d’animation, et studio de jeux vidéo. En savoir plus
- Côté interactif, Darjeeling a surtout produit 3 jeux vidéo sur différents supports : CALIFORNIUM pour PC, HOMO MACHINA pour mobile et LABYRINTH CITY sur l’intégralité des supports imaginables.
Cover: THE TINIES (de Cosmographik)
Darjeeling, producteur indépendant depuis 2010
Marc Lustigman – J’ai créé Darjeeling voici 13 ans avec mon associé Noam Roubah, qui est aussi producteur. A l’origine, on voulait explorer les nouvelles narrations, en ligne ou sur les apps. Darjeeling a ensuite évolué, avec un équilibre sur nos envies d’innovation, les sujets à porter que nous aimions, et les publics à trouver. C’est dans ce sens que nous nous sommes diversifiés, en allant vers le jeu vidéo pour la partie interactive et des productions pour l’antenne. Après quelques années de recherche dans le transmedia, nous souhaitions élargir les publics – tout en gardant notre liberté, une certaine audace et originalité dans le fond comme dans la forme des projets que l’on porte.
M. L. – Le switch c’est fait lorsqu’en approchant le linéaire, nous nous sommes rendus compte que se développait (principalement sur le web), des nouveaux espaces de création, dont certains étaient portés par les diffuseurs du service public. Des espaces plus libres, moins formatés, tournés vers un public plus jeune, curieux et ouvert à de nouveaux types de formats. La télévision, via ses plateformes web, a su trouver de la place pour une diversité des sujets, des formats et des contenus. On peut aller parler de sujets de société nouveaux, de façon renouvelée. Et Je garde une vraie distinction entre l’antenne et son public vieillissant (+60 ans) et des plateformes comme ARTE.tv ou France.tv qui ont des cases susceptibles d’accueillir de nouveaux programmes. Et c’est un espace qui nous convient bien !
Travailler la diversité des formats
M. L. – Il y a une liberté de formats salvatrice, qui nous rassure sur les formats ou durées qui englobent nos narrations. On peut s’affranchir de la logique de case et proposer par exemple des séries courtes, vers un public jeune par exemple, comme L’AMOUR A SES RÉSEAUX que nous produisons pour ARTE (de Romain Blanc-Tailleur et Cécile Rousset,). A priori, ça n’aurait jamais pu passé en télévision classique… Aujourd’hui on produit une série qui mélange images live et animation, sous une forme de Toy Story régressif, ou des jeux post-apocalyptique avec de l’humour. On veut des identités tranchées, des récits nouveaux, et cet endroit de création nous correspond.
M. L. – C’est en réalité assez rafraîchissant, et stimulant, de ne pas avoir un seul format. On travaille des “objets” tous différents, avec leur propre problématique, leur propre diffusion. Evidemment, il faut parvenir à jongler dans une même journée sur des questions totalement opposées. Et il faut pouvoir organiser des équipes en fonction de cela aussi ! Chez Darjeeling on a mis en place une procédure de recrutement agile, mais le contexte change notamment dans le secteur de l’animation et du jeu vidéo qui sont en flux tendu sur cette question. Recruter des créateurs ou des techniciens de talent est devenu un vrai enjeu. Cela nous questionne, et nous pousse, quelque part, à imaginer d’autres façons de choisir les projets, puis de les produire.
M. L. – On part à chaque fois du sujet, qui va dicter la forme. Et de notre expérience vient une forme d’intuition qui va nous guider sur des formats classiques (52 minutes..) ou plus originaux. Notre travail avec les auteurs se fait dans cette ouverture d’esprit. La convergence d’un point de vue, la relation humaine entre un producteur et ses auteurs, le timing du projet… Tout cela participe à une co-création qui a besoin d’une vraie liberté pour ne pas s’arrêter trop vite à un format ou un diffuseur.
Envisager le public associé.. Au niveau mondial
M. L. – Le jeu vidéo indépendant, c’est une niche. Mais une niche qui a finalement beaucoup de potentiel et un vrai public ! On le voit sur nos projets, qui sont de petites tailles par rapport à des sorties AAA. Mais s’ils sont bien faits, ils attirent du public, une communauté… et donc une réalité économique qui nous permet de vivre. Idem pour l’animation, avec une diffusion à l’international possible – et un regard sur la création française dans ce domaine qui nous aide énormément. Notre double approche Jeunesse et Adulte est aussi intéressante. Le secteur de l’animation jeunesse est historiquement riche et puissant… mais aussi pas mal formaté. Nous avions le sentiment, et surtout l’envie, de proposer des récits plus audacieux aux enfants. De croire en leur curiosité et leur intelligence. Quant à l’animation adulte, on sent que le public est désormais mature pour ce genre qui a longtemps été mis de côté en France. Il y a là un nouveau territoire à explorer. On trouve cela stimulant.
M. L. – Notre partie documentaire, antenne ou web, est fascinante à plus d’un titre. Darjeeling est un opérateur historique de web séries documentaires. On a vu l’intérêt pour ce genre de production augmenter lors des 10 dernières années, avec de nouvelles plateformes, de nouveaux créateurs-rices. Aujourd’hui on peut produire une web série documentaire avec le budget d’un documentaire pour l’antenne. On a plus de moyens et on conserve une certaine forme de liberté créatrice, ce qui est essentiel pour nous.
M. L. – La prochaine étape côté web, c’est l’international : ce sont des œuvres encore difficilement exportables, les coproductions assez hétéroclites et de qualité variable avec moins de plateformes web dédiées. On essaie désormais de créer de la discussion entre tous les acteurs de ce secteur, à l’échelle européenne voire internationale. De structurer. Et il faut pouvoir vendre des formats atypiques à différents diffuseurs qui peuvent avoir des objectifs éditoriaux assez différents. Vu que le web à tendance à s’affranchir de toute forme de case, ça peut parfois être compliqué de contenter tout le monde. Mais la web série n’en est qu’à ses débuts. On est convaincu qu’un réseau de diffusion, comme en télé, peut se construire à l’international.
M. L. – Et on voit la différence avec le jeu vidéo. Steam, App store, Switch… Ce sont par nature des plateformes mondiales, qui peuvent proposer des lancements sans géo-blocage etc. Nos derniers titres ont même fait moins de 15% de ventes en France, et ont surtout bénéficié d’une exposition internationale. Avec parfois de jolies surprises quand on regarde la liste des pays où cela se vend ! On s’intègre à un marché existant, avec de vraies possibilités. Et nous voulons toucher le grand public le plus largement possible, qu’il s’agisse de projets intimistes, un peu plus marginaux ou mainstream selon les cas.
A suivre…
M. L. – On produit actuellement une fiction hybride pour ARTE, un documentaire 3×20 sur une collection de crypto arts (NFT, web3…), autour d’une histoire rocambolesque qui reflète bien les problématiques de notre société. Sur ce projet, c’est l’international qui peut nous inciter à réécrire le tout pour proposer un format plus long et envisager une diffusion dans plusieurs pays, pour des plateformes. On produit aussi une série Jeunesse autour de la guerre d’Algérie (6×26 animé pour France Télévisions), ce qui est un formidable challenge pour nous – avec un équilibre qui illustre bien nos envies dans nos projets : proposer une véritable aventure aux enfants tout en délivrant un propos important en toile de fond (en l’occurrence ici leur parler de la colonisation et de la guerre d’Algérie).
M. L. – Côté jeu vidéo, on a un projet en production, et deux en développement, pour les consoles et PC. Le mobile est devenu compliqué à aborder, avec pas mal de contraintes côté constructeurs. On ne peut plus produire comme avant des jeux premium face aux abonnements qui ont été mis en place… On veut continuer à proposer des objets spécifiques, pas se voir intégrer à des formules d’abonnement qui correspondent difficilement à la logique “d’œuvre”. Notre expertise dans ce domaine reflète notre envie de production interactive, avec l’envie de proposer des titres qui ont une vraie sensibilité. Mais le jeu vidéo indépendant a désormais plus de 40 ans d’existence, donc nous ne réinventons rien.
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