Malgré une pandémie mondiale, le studio créatif français Hiver Prod n’a pas chômé et s’est adapté aux circonstances pour proposer en moins d’un an deux expériences interactives distribuées par Arte : le film interactif ØRÐESA à l’automne 2020 avec Cinétévé Expérience, et récemment le jeu UNMAZE avec Upian. Retour sur une vision très indépendante des nouvelles écritures avec le créateur et cofondateur du studio Nicolas Pelloille-Oudart.
Hiver Prod, un studio à l’assaut de l’interactif
Nicolas Pelloille-Oudart – A l’origine je travaillais dans la production pour le cinéma. Mais j’ai rapidement voulu sortir des cases, me mettre en danger sur de nouveaux formats. Je lorgnais déjà sur des productions de web-documentaires tels qu’Upian en produisait, et en associant ça à ma passion de gamer, l’interactif faisait sens. J’ai donc créé Hiver Prod en 2010 avec Frédéric Jamain pour produire des contenus hybrides au milieu de ces industries – entre le cinéma et le jeu vidéo. J’étais évidemment loin d’être le seul à avoir cette idée ! Mais contrairement à d’autres sociétés de production je me suis entouré de développeurs, de compétences qui n’étaient pas les miennes, pour proposer des histoires différentes. Parmi mes premiers prototypes, c’est ØRÐESA qui a retenu l’attention d’Arte en 2016. D’autres n’ont jamais vu le jour.
N. P.-O. – Chaque projet est un marathon. Il faut avoir le temps de déplier chaque temporalité, du développement à la sortie. Nous avons plusieurs projets en gestation, et je vais passer l’été à préparer chaque dossier pour les envoyer à la rentrée à des éditeurs et des diffuseurs – sans compter les tests en cours sur différents prototypes pour des cibles grand public ou des entreprises.
N. P.-O. – Aujourd’hui c’est clairement le jeu vidéo qui m’attire, car il y a déjà un vrai public. Je veux offrir à mes projets une vraie visibilité, et sortir de cette “croisée des chemins” des nouvelles écritures. Je veux conserver l’aspect hybride de mes productions, ma liberté créative, tout en allant sur un terrain où elles seront accueillies par une audience. C’est un équilibre à trouver !
Auteur interactif, un statut pas si évident
N. P.-O. – Les nouvelles écritures impliquent une position particulière de l’auteur ; il faut à la fois écrire, concevoir le volet artistique mais aussi technique. Il faut maîtriser les deux pour mener à bien une production. J’ai la chance d’avoir avant tout une casquette de producteur qui me permet de bien m’entourer, que ce soit avec d’autres sociétés pour assurer le financement, mais aussi de talents et de techniciens pour travailler très tôt sur le projet. C’est sans doute pour cela qu’un frein existe déjà au démarrage, notamment pour les nouveaux talents qui souhaitent arriver dans notre industrie.
N. P.-O. – Il faut rappeler l’importance des résidences ! Je sors d’une nouvelle participation aux Storygraphes (Toulouse), et c’est un élément vital du parcours d’auteur. Les plus confirmés ont souvent l’impression de pouvoir s’en passer, les débutants ne savent pas comment y accéder. Et pourtant on y apprend énormément. Pour avancer dans les nouveaux médias, j’ai accompagné d’autres projets comme consultants, j’ai fait de la prestation sur des tournages, j’ai réalisé des clips… J’ai dû démontrer mon savoir-faire avant tout, car nous restons dans une industrie où l’absence de projets sur un CV est un handicap. On donne rarement sa chance à un débutant. J’ai par exemple réalisé EMMA en 2018 (avec Cinétévé Expérience), un graphic novel interactif, pour pouvoir présenter ensuite des projets plus ambitieux.
N. P.-O. – Je pars toujours de l’histoire, en envisageant un traitement différent par l’usage des nouvelles technologies. Dès que j’ai les bases, j’appelle un game designer et des postes plutôt techniques pour construire le dispositif, le gameplay. Je m’entoure de scénaristes très vite pour travailler le cœur de l’histoire, et se poser les bonnes questions – tout en allant chercher des aides à l’écriture. Quand c’est “verrouillé”, le côté Direction Artistique est celui traité en dernier, lorsqu’on a posé le concept de A à Z. Je travaille avec mon associé Frédéric Jamain sur la DA, qui gère l’intégralité de nos projets. On fait une validation technique, avec une étude de marché, pour avancer sur la vraie phase de production.
N. P.-O. – Comme pour le jeu vidéo, je m’intéresse de plus en plus à l’étude de marché pour comprendre les usages du secteur. C’est une leçon que je retiens de nos dernières sorties, où ça n’avait pas vraiment été fait. Utiliser un concept lié à la technologie comme dans UNMAZE, c’est rester dans un environnement de recherche et développement assez limité. On a eu la chance d’être soutenu par Arte sur la plupart de nos projets, mais l’industrie des nouvelles écritures évolue. Il nous faut aussi apprendre des dernières productions sorties pour envisager les suivantes avec un vrai retour sur investissement.
UNMAZE, au coeur du labyrinthe
N. P.-O. – L’idée d’UNMAZE vient d’une nouvelle de Jorge Luis Borges, “La demeure d’Astérion”, qui raconte l’histoire du Minotaure – toute l’histoire se déroule de son point de vue, sans évoquer le monstre derrière le narrateur. En réalité, il est très humain dans ce récit, perdu dans un labyrinthe, et en proie à l’ennui. Je voulais reprendre ce point de vue un peu différent, traiter de la nature du Minotaure seul et perdu dans son labyrinthe. Dans cette histoire, c’est le joueur qui va créer le monstre, en fonction du temps passé avec chacun des deux personnages.
N. P.-O. – Une fois le concept trouvé, j’ai réfléchi à une technologie cohérente pour créer le jeu, et c’est le capteur de lumière des téléphones qui a retenu mon attention. C’était une fonctionnalité pertinente pour alterner le point de vue des personnages, avec le regard d’Ariane. C’était un vrai challenge technique, car cela n’a jamais été fait avant, mais on a fait de nombreux tests et on a fini par trouver une solution technique. Puis j’ai eu la chance d’intégrer une résidence d’écriture : L’Écriture à l’Image (lien) en région Grand-Est. Ceci m’a donné l’occasion de présenter le projet aux diffuseurs lors d’un événement, où j’ai rencontré Marianne Levy-Leblond d’Arte. En ayant déjà la confirmation qu’Upian était également intéressé.
N. P.-O. – Upian a donc géré la production en soi, et j’étais vraiment plus sur l’écriture avec Thomas Cadène et sur la partie gamedesign. On a eu une vraie phase de test autour du gameplay et de la narration. Il a fallu nous entourer de game designers, de développeurs. Frédéric Jamain pour Hiver a assuré la direction artistique avec un des responsables d’Upian, et c’est Florent Fortin, qui était présent dès les prémices du projet, qui a créé l’intégralité des illustrations pour le jeu. Un travail titanesque ! Puis des animateurs et des Tech artists sont venus animer tout cela. On a avancé ensemble, Hiver et Upian, pour proposer les premiers niveaux. Et très honnêtement, ce premier niveau gratuit (le reste est payant) est bien moins intéressant que la suite ! Ce qui reste une vraie frustration pour toute l’équipe.
ØRÐESA, UNMAZE.. La niche du genre ?
N. P.-O. – On a beaucoup appris sur la nature de nos précédentes productions, notamment le genre. Sur UNMAZE on a réuni des premiers testeurs (focus group) pour leur présenter les visuels du projet, les pages des stores. Là aussi, on doit s’entourer d’experts en la matière. On réfléchit à la nature du public, savoir si on se réfère à une audience presque cinématographique ou non, par ex. Les réussites récentes nous démontrent là-aussi qu’il y a bien plus de succès dans le jeu vidéo.
N. P.-O. – ØRÐESA a été compliqué, par nature, à tourner. Il fallait tout maîtriser avant de filmer la moindre image : il n’y avait aucune marge de manœuvre – en ayant fait le choix de ne pas “casser” l’immersion cinématographique (contrairement à un BANDERSNATCH) en ne mettant pas d’interface utilisateur. Mais est-ce un choix d’auteur ou de spectateur ? La prise de vue réelle nous plaisait, mais ça n’était pas un critère essentiel a priori. Les spectateurs veulent de l’interactif, du gaming. Le film interactif reste intéressant s’il conserve une diffusion web (WEI OR DIE…), ou la présence d’un diffuseur fort comme Netflix, et d’un casting très identifié.
N. P.-O. – Sur UNMAZE, on a eu des retours excellents sur la direction artistique, l’univers. Mais côté narration, quelques écueils ont fait surface, en rapport à sa nature de jeu vidéo indépendant un peu en marge du secteur. Mais j’assume ! Notamment sur l’aspect pas toujours plaisant des personnages, qu’il fallait suivre jusqu’au bout de l’histoire pour pleinement les comprendre. Dans le jeu vidéo, on est fusionnel avec les héros – il a fallu travailler autour de ça pour que ça ne bloque pas le joueur. Le gameplay était simple, et ça a été un vrai atout : la notion de choix permettait une avancée rapide, sans surcharger le récit.
VR or not : éviter l’effet Whaou
N. P.-O. – Il faut faire attention aux premières années de la réalité virtuelle, qui se cherche toujours côté modèle de financement. Le jeu vidéo doit être une vraie inspiration pour nos projets innovants. En discutant avec les producteurs interactifs français (lien), tout le monde est intéressé. Les budgets, le public, tout y est. Regardons les succès de titres comme LABYRINTHE CITY de Darjeeling prod, qui est disponible sur Steam et Switch.
N. P.-O. – On manque encore, la plupart du temps, de reconnaissance publique. Mais le fait d’avoir produit plusieurs titres pour Arte notamment, c’est avoir eu des retombées presse, critique et ainsi pouvoir financer les prochains projets. D’autres plateformes, internationales, sont désormais accessibles. UNMAZE, c’est déjà une sortie mondiale, en 5 langues. Le seul marché franco-français est trop restreint, pour la VR et les autres – même les diffuseurs français se dirigent vers des productions internationales. Ce qui est fascinant, c’est de pouvoir proposer des projets universels, susceptibles de plaire à tous les publics.
N. P.-O. – Les aides du CNC côté jeu vidéo sont très intéressantes, notamment pour aider les phases de développement, de prototypage. A voir comment la commission dédiée aux expériences numériques va intégrer cela aussi – tout en envisageant les fameuses études de marché, bien plus prises en compte côté jeu vidéo. Pour de futurs jeux mobiles, je cherche encore le bon modèle économique – ou des projets plus axés sur Switch, Steam et Twitch.. Des données existent, plus ou moins précisément selon la nature du projet et le support. On cherche également à se positionner sur des expériences en ligne, avec des système de “ticket” ou les utilisateurs payent à la séance…
N. P.-O. – Pour la suite, je crois beaucoup en la place des réseaux sociaux – même si personnellement je n’y suis pas à l’aise. Les expériences en ligne, les jeux mobiles, Steam… Je reviens toujours à ces formats pas si nouveaux, où je vois un potentiel intéressant pour Hiver et dans lesquels on a déjà œuvré.
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