Les nouvelles écritures, ça n’est pas qu’un casque de réalité virtuelle. Avant cela, le transmedia a investi toutes les interfaçes, y compris les réseaux sociaux. Comment naviguer dans la grammaire des feeds, du scroll et des likes ? I AM MIA se déploie sur Instagram et Youtube depuis cet été.
Les fictions racontées sur Instagram sont désormais légion et perdurent depuis maintenant plus de 5 ans. On peut notamment citer l’une des toutes premières, ÉTÉ, un feuilleton BD produite par l’agence Bigger Than Fiction pour ARTE en 2017 et qui chroniquait sur Instagram la vie d’un couple se séparant le temps d’un été. En 2019, c’est le compte WALLED IN qui, à l’occasion des 30 ans de la chute du Mur, racontait en 30 épisodes l’histoire de trois allemands dans un docu-fiction empruntant aux codes du roman graphique. Tout récemment, c’est ARTE (décidément très investi dans les productions dites “sociales”) qui lance MALAISANT, sa dernière web-série diffusée entièrement en stories Instagram.
Ces nouvelles narrations utilisent les formats sociaux à leur plein potentiel et ne cessent d’innover en même temps que les évolutions de la plateforme. L’une des dernières en date est I AM MIA, une web-série qui a débuté sa diffusion au début de l’année sur Instagram. On y suit Mia, une jeune fille surdouée qui reçoit un jour une machine permettant de voyager dans les souvenirs. Pour remonter la trace de son concepteur, elle se lancera dans un voyage initiatique avec une jeune femme charismatique et un solitaire à la dérive. Ensemble, ils voyageront dans leurs propres souvenirs et leurs secrets plus enfouis.
Mia, une jeune fille étrange et solitaire, reçoit une machine pour voyager dans les souvenirs en entrant en contact avec l’eau. Elle, qui a perdu la mémoire, qui n’a aucun souvenir de son passé. Accompagnée de Tania et Paul, deux jeunes adultes à la dérive, elle entamera un voyage à la recherche de son concepteur. Un voyage où ils dévoileront leurs souvenirs les plus enfouis et qui les mènera au delà de ce qu’ils avaient imaginé.
Synopsis
La particularité de I AM MIA réside dans sa stratégie de mise en ligne : un épisode est publié tous les jeudis sur le compte, à la tombée de la nuit. La diffusion se fait dans le désordre pour inciter les utilisateurs à recoller les morceaux du puzzle. Depuis la rentrée, des épisodes de 20 minutes sont publiés sur YouTube afin de suivre l’histoire de la série de manière linéaire. La web-série fait depuis cet été la tournée des festivals à La Rochelle, Los Angeles ou encore Marseille (édition dans laquelle elle a remporté le prix du meilleur montage). Nous sommes allés à la rencontre du créateur et réalisateur de I AM MIA, Pablo Pinasco, afin d’en savoir plus sur le processus d’écriture et de diffusion de cette œuvre d’un nouveau genre.
Vous êtes à l’origine directeur artistique et réalisateur pour la publicité, comment en êtes-vous arrivé aux nouvelles écritures et productions comme I AM MIA ?
Je crois que comme beaucoup de gens qui sont dans la communication, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus personnel. Alors en 2013 on a commencé à tourner une série digitale avec Sebastien Nadaud (photographe) le BEARD CLUB (lien).
Elle a gagné pas mal de prix dans des web fests et elle a été achetée par Blackpills, et grâce à elle j’ai découvert le gout à l’écriture, alors j’ai décidé de me lancer dans la fiction. Après sont arrivés des prix SACD, CNC Talent et autres, et je me suis dit que c’était la bonne voie.
Mon métier de directeur artistique, mes expériences avec la musique à mon adolescence (guitariste raté…), ma méconnaissance du milieu audiovisuel, nos auto-productions, tout cela a fait émerger une manière de travailler particulière à nous, et même si l’histoire est écrite, elle est très perméable aux décors, plans, musiques, acting et contraintes de production.
Disons qu’on a créé un système sans hiérarchie et très transversal, où l’image, la musique, une voix off, peuvent prendre la main pour raconter l’histoire… Je crois que tout ce background me permet de construire des univers très définis, qui me ressemblent, et dans lesquels je me sens bien.
Les scènes sont toutes tirées d’un scénario de 150 pages, publié sur Instagram tous les jeudis à la tombée de la nuit, et vous allez bientôt finaliser la publication de l’intégralité des épisodes de 20 minutes sur YouTube. Comment s’assurer que ces scènes s’autosuffisent pour les utilisateurs tout en formant des épisodes cohérents pour la série dans son ensemble ?
Quand on a adapté la série pour la passer d’un format classique à des scènes individuelles de 1 à 6 minutes, la question s’est posée très vite. Comment rendre chaque scène intéressante individuellement ? On a dû adapter certaines petites choses, mais notre réponse a été de créer des univers immersifs grâce à la musique et l’image : être quelque part, sans trop savoir où on va, mais aimer plonger dans un univers très défini.
On a beaucoup travaillé sur l’ambiance sonore et la musique, qui est pour moi l’outil d’immersion par excellence, et on s’est aperçu que ça marchait particulièrement bien avec un téléphone mobile et un casque. Chaque scène est une petite oasis, c’est comme aller dans un espace qui nous repose, qui nous laisse le temps de contempler. Je pense que dans toutes les scènes on trouve un peu cela et qu’on a envie d’y revenir.
Et mises bout à bout, les scènes se mélangent avec douceur et l’histoire commune prend du sens. Les histoires des personnages prennent une autre dimension sur les épisodes de 20 minutes sur YouTube.
Dans I AM MIA, une scène peut-être uniquement audio, mais aussi uniquement écrite, comme un script, ou même illustrée comme un roman graphique animé. D’où a germé cette idée d’explorer ces différentes formes de narration au sein d’un même récit ?
L’idée est venue d’une contrainte. On n’avait pas les moyens de tout tourner en “live action”, alors on a eu l’idée de faire d’autres formats qui étaient moins chers ou plus faciles à réaliser : les podcasts et les illustrations.
Et comme la mise en ligne se faisait scène par scène, on s’est dit que ça allait fonctionner.
Vous avez produit la web-série en parallèle à sa mise en ligne sur Instagram, ce processus en flux tendu a-t-il fait évoluer la série au fur et à mesure de sa production ?
Oui, les premières scènes ont été une manière de tester si le concept fonctionnait. Quand on a vu que les regarder individuellement avait un sens, on a continué à produire et tourner dans le désordre. Et quelque part une manière de faire I AM MIA a commencé à naître, un espace cadré, défini, mais plein de liberté, un univers I AM MIA.
Et au fur et à mesure on savait vers quoi il fallait aller, on se disait “faisons le à la I AM MIA”. Par exemple pour l’épisode 6, on va tourner certaines scènes dans un studio, dans le noir, avec juste un élément du décor et presque pas de lumières, un peu comme DOGVILLE de Lars von Trier.
Ce type de mise en scène est possible grâce à la liberté prise dans les scènes précédentes. En gros, ce flux tendu permet de savoir vers quoi vous voulez aller. Et ça devenait plus clair après chaque nouveau tournage.
Les web séries sont généralement par nature non immersives (car regardées sur un ordinateur ou téléphone), comment avez-vous pensé I AM MIA pour que le spectateur soit totalement immergé dans votre univers malgré ces limitations ?
Personnellement je crois que l’expérience la plus proche d’une salle de cinéma est un téléphone mobile avec un casque audio. J’ai même testé les scènes sans image, juste avec la musique, les voix et le bruitage dans mon casque en marchant dans la rue et je me suis dit que ça marchait bien… J’ai vu I AM MIA au cinéma pendant la projection au Festival de la Fiction TV de La Rochelle où on avait été sélectionné et évidemment au ciné, dans le noir, l’immersion est totale, mais le téléphone accompagné d’un casque n’a pas à rougir.
Je pense que la grosse différence entre le cinéma et l’ordinateur passe par la disponibilité du public. Au cinéma vous avez le public pour vous pendant une séance, mais en ligne, l’immersion et le drame sont plus difficiles à installer… C’est pour ça que les moyens de transport sont un bon lieu : vous savez que pendant quelques minutes, votre public sera là, disponible pour voyager autrement.
Les web-séries exploitent de plus des réseaux sociaux comme Instagram ou TikTok pour raconter leurs histoires. Quelles sont pour vous les grandes forces de ces formats sociaux dans les nouvelles narrations d’aujourd’hui ?
Je ne sais pas trop. On n’a pas fait ça « pour » Instagram. Aucun diffuseur ne voulait de ce projet d’une manière classique, donc on a décidé de le faire pour les réseaux sociaux, là où on pouvait trouver un public. Les gens scrollent, traînent sans trop de conviction et parfois ils s’arrêtent … On s’est dit que faire un petit break pour regarder quelque chose de différent c’était un beau défi à leur proposer. On a un public qui va de 20 à 40 ans, artistes professionnels ou amateurs, un public qui est sur Instagram, mais qui cherche autre chose.
Et finalement dans le digital, il y a moins de moyens, mais une liberté totale, le deal n’est pas si mauvais… Mais dans la durée c’est difficile, je pense qu’il faudrait trouver un modèle économique pour des projets comme le nôtre, nous ne voulons pas travailler d’une manière classique et nous n’avons pas non plus besoin de grands moyens. Mais il est certain que continuer à se lancer dans des projets comme celui-là est très compliqué.
Nous pensons que le digital ne doit pas seulement être un tremplin pour aller vers la télévision ou le cinéma : nous voudrions pouvoir rester ici, faire des projets innovants, mais juste avoir un peu plus de moyens pour pouvoir continuer.
https://www.instagram.com/iammia.story/
Crédits
Série 6 x 20 minutes- Drame Fantastique
Ecrit par Pablo Pinasco
Produit par Close Your Eyes
Fond d’aide CNC Talent
Soutien à la Web Création de la Région Sud
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