Pionnier de la fiction immersive en France avec I, PHILIP (2016), Pierre Zandrowicz n’a cessé depuis d’explorer de nouveaux horizons narratifs, tissant des liens avec le spectacle vivant et Bartabas avec EX ANIMA EXPÉRIENCE (2019), ou l’Histoire avec une expérience autour de la grotte Chauvet racontée par Cécile de France : CHAUVET VR : THE DAWN OF ART (2020). Le voici de retour au festival de Venise pour un projet attendu de longue date, la première partie de sa saga de science-fiction : MIRROR.
(Science) Fiction immersive : la genèse de MIRROR
P. Z. – Après I, PHILIP – qui est une œuvre d’anticipation, parfois surréaliste – j’avais envie de poursuite mon exploration de la science-fiction en réalité virtuelle, la pousser dans ces retranchements métaphysiques. Et c’est vertigineux ! On peut partir dans de nombreuses directions, autour de concepts de « hard SF », de mondes parallèles, de planètes inconnues… J’adore SOLARIS de Andreï Tarkovski, adapté d’une œuvre de Stanisław Lem – le Philip K. Dick des pays est-européens. MIRROR, c’est un peu une réponse à ce monument de la science-fiction, que j’ai écrit avec une envie de poésie spatiale. Et en même temps ça me permet de citer des influences venues de ces pays où mes ancêtres sont nés !
P. Z. – Au départ, MIRROR est un film 360 comme I, PHILIP. C’est ce que je savais faire lorsqu’on a commencé le développement du projet. Et en regardant l’évolution de la création immersive, nous nous sommes rapidement rendus compte qu’il allait falloir être beaucoup plus novateur, et embrasser un format dynamique, interactif, 6dof. Développer le film avec un moteur de jeu, en temps réel, c’est révélé être une évidence… et un vrai défi. Avec Arnaud (Colinart, producteur chez Atlas V), on a voulu mettre la barre haute en termes de qualité, notamment sur le photoréalisme de l’image. Se rapprocher le plus possible d’un film de cinéma. C’est cette exigence qui nous a obligé à attendre un certain temps avant de lancer la production de ce premier segment, qui nous a servi de laboratoire pour tester toutes mes idées, installer l’univers, et vraiment démarrer le voyage de notre héroïne. La sélection à Venise vient couronner cela. Pour y avoir déjà été sélectionné, c’est un moment important pour la vie d’un projet, et pour nous vital pour la suite à donner à MIRROR. Aujourd’hui les 3 épisodes sont écrits ; j’ai collaboré au scénario avec Rémi Giordano (co-scénariste de I, PHILIP) et Nicolas Peufaillit (UN PROPHETE, GOAL OF THE DEAD, ØRDESA…).
Temps réel : MIRROR et l’avenir du cinéma VR
P. Z. – Chez Atlas V, MIRROR fait partie des projets les plus ambitieux techniquement, peut-être avec LIGHTS de Julien Mokrani. C’est pour ça qu’on ne pouvait pas tout produire immédiatement, c’est un budget important pour la VR. Le premier épisode de MIRROR a été pensé avec cette problématique industrielle, pour ne pas faire un prototype que nous aurions jeté ensuite. Chaque asset 3D, chaque image, les intentions sont celles que nous allons utiliser pour les 2 prochains épisodes. C’est avec MIRROR aussi que j’ai découvert le temps réel – et je l’ai beaucoup utilisé dans mes derniers films. Pour moi qui vient d’un mode de production plus classique, du live, du tournage physique, j’ai dû beaucoup apprendre sur la construction d’un projet avec les possibilités offertes par le temps réel. Non sans quelques doutes au départ, mais une fois le tournage mocap arrivé à Marseille, avec l’implication de Zita (Hanrot, rôle principal), j’ai compris toute l’efficacité du procédé ! Elle m’a fait complètement confiance lors de ces 3 jours de tournage. J’ai pu multiplié les prises, travaillé au plus près de ce que je voulais, avec des outils quasi futuristes. On a ainsi pu enregistré près de 150 expressions de Zita pour avoir autant de liberté en post-production ! C’est fascinant.
P. Z. – Toutes ces nouvelles possibilités, on les connaît désormais. Grâce à un casque VR, sur le plateau, je pouvais travailler avec Zita au plus près de ce qui avait été imaginé. Je voyais les décors dans lesquels elle progressait, la guidait – Et pour un réalisateur, c’est une vraie émotion de découvrir tout cela dès le tournage ! Elle avait évidemment des accessoires « en dur » pour mieux comprendre la scène, mais aussi des chaussures lestées pour mieux appréhender une autre gravité. La seule différence du temps réel, c’est que je me sens moins investi dans le montage, plus dans l’idée d’immersion du spectateur.
Travailler le son : l’apport du compositeur sur MIRROR
P. Z. – J’ai eu beaucoup de chance d’être accompagné par Christopher Knight à la musique et au Sound design. Pendant le confinement, suite à nos échanges, il m’a livré quasiment tout la bande son de MIRROR, ce qui a donné une vraie consistance au film. On avait un temps envisagé d’en faire un film interactif, mais en réalité MIRROR est un film contemplatif, parfois un peu lent, mais où l’exploration se donne du temps. Le travail de Christopher a été dans ce sens, et confirme mon intention poétique.
MIRROR : un univers aux influences fortement graphiques
P. Z. – Quand j’ai rencontré l’équipe de Fauns (devenu Albyon après son rachat par Atlas V en 2020, ndlr), ce qui m’a énormément plu a été l’implication de son équipe dans ces univers de science-fiction, d’imaginaires très créatifs. On a épluché des volumes de bande dessinée, de comics, pour y trouver des références. Aujourd’hui la VR ça n’est pas tout à fait du cinéma, c’est un peu du jeu vidéo, il y a un peu d’animation ou de bande dessiné, il fallait avoir cette approche pour en comprendre tout le potentiel. D’autres studios n’ont pas forcément ce volet de direction artistique. On est vite parti dans des discussions passionnantes avec Raphael (Penasa) ou Daniel Balage, leur directeur artistique.
P. Z. – On voulait retranscrire un univers réaliste, mais avec du cachet. On aurait pu s’inspirer du réel sans parvenir à lui donner de corps. J’ai l’habitude plutôt des couleurs froides, de bleu, et Albyon a proposé des décors ou costumes avec des couleurs chaudes, sans tomber dans le steampunk (ce qui a été envisagé). On a tiré vers des influences plutôt ex-URSS, soviétique, une patte un peu vintage, aluminium. Au final le look est un entre-deux rétro, science-fiction qui fonctionne parfaitement.
P. Z. – L’espace c’est un élément narratif intéressant, et pour la VR évident : on ne peut pas (encore) y aller ! On peut imaginer beaucoup de choses, car peu de gens ont des points de comparaison. Ensuite, artistiquement, c’est un environnement très sphérique, relativement simple. On n’a peu de chance de se tromper sur des textures, des reconstitutions du réel. Et puis c’est un beau fantasme d’évasion, l’horizon spatiale. Ce serait dommage d’envisager du réalisme sans aller vers des décors exceptionnels, ou un look graphique particulier. Je réfléchis beaucoup au look du point cloud actuellement.
Diffusion : limites techniques & potentiel de la VR
P. Z. – Pour moi il y a aujourd’hui deux types de projets VR. Ceux compliqués à financer, pour les Rift S et casques filaires, et ceux pour le Quest. Mais MIRROR sur Quest, on n’y est pas encore en termes de qualité. Le casque sans fil c’est formidable, mais il y a une vraie différence de puissance avec ses aînés. Et c’est une évolution que personne ne voyait venir. Même pour MIRROR, on n’imaginait pas être limité à ce niveau-là, notamment avec notre volonté de fournir un film VR en haute définition.
P. Z. – MIRROR, c’est mon projet de cœur depuis longtemps. Mais en lançant sa production, c’est aussi devenu un vrai projet R&D pour Atlas V pour comprendre le cinéma de demain. J’ai compris que le temps réel est le pivot de tout ce qui va arriver dans les industries de l’image : VR, cinéma, virtual production… On ne peut pas se limiter aujourd’hui à des films d’animation – qui sont de pleines réussites par ailleurs, comme GOODBYE MR OCTOPUS présenté également à Venise cette année. Il y a une vraie idée d’aller vers du réalisme pour la VR, malheureusement avec l’obligation de devoir downgrader ton film pour le diffuser. Evidemment sur un écran classique on pourrait le présenter avec son plein potentiel, que ce soit au cinéma ou dans un jeu vidéo. Surtout qu’avec les technologies utilisées, on peut proposer MIRROR sur d’autres supports ! Ou même créer de nouvelles séquences avec le personnage sans avoir besoin de repartir en tournage, si on voulait.
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