Realities in Transition (RiT) est un projet européen qui vise à explorer et soutenir les productions alternatives de réalité étendue (XR) et d’expérimenter de nouvelles narrations et processus créatifs. Il réunit Dark Euphoria (FR), iMAL (BE), KONTEJNER (HR), L.E.V. Festival (ES), V2_ (NL), CHRONIQUES (FR) et Ars Electronica (AT).
Partenaire du dispositif, XRMust vous propose une série d’entretiens d’artistes dédiés à l’art numérique.
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Propos initialement recueillis en anglais par Céline Delatte|Dark Euphoria
Dans le cadre des résidences artistiques #RiT au V2_ Lab for the Unstable Media de Rotterdam, mai 2023
Version anglaise sur le site de Realities in Transition.
Traduites par Mathieu Gayet|XRMust
Dark Euphoria | Interviewer : Céline Delatte – Heureuse de vous rencontrer tous les deux et d’en découvrir davantage sur votre approche spécifique de la XR, qui semble très collective et participative vous concernant… Mais, avant de parler de cela, pourriez-vous chacun nous parler un peu de vous ?
Pedro Gil Farias : Je suis originaire du Portugal et je suis maintenant installé à Rotterdam. J’ai suivi une formation en design industriel. Je me suis ensuite intéressé à l’idée d’expérience participative et de réflexion prospective, de la question de l’espace public et du partage. Pour moi, il y a aussi cette idée d’utiliser des technologies et des approches DIY qui sont accessibles, l’accessibilité de certains outils numériques aide à créer un esprit de groupe.
Hugo Pilate : En fait, nous avons des parcours assez similaires. Je viens également du design industriel et de l’animation d’ateliers. Je travaillais principalement pour des entreprises, qui se réunissaient pour prototyper leurs idées en carton ou en polystyrène, qu’il s’agisse d’un pont, d’un produit ou d’un quartier, afin de mieux comprendre ce que chaque personne pensait ou d’aligner leur vision. Puis, pendant la pandémie, j’ai commencé à remplacer le carton par des outils numériques. Je me suis donc tourné vers des plateformes comme Miro, Minecraft, ou Fortnite Creative, pour voir si ce que je savais des activités collaboratives pouvait se traduire dans ces environnements “bac à sable” connectés.
Pedro G. F. : Vous voulez savoir comment nous nous sommes rencontrés ? Hugo était en Inde et travaillait au Quicksand Design Studio, qui a réalisé un projet sur l’avenir de l’aide humanitaire. J’ai vu Anivash Kumar (cofondateur de Quicksand) faire une présentation à Primer2020. À ce moment-là, je faisais des recherches sur l’intersection de la spéculation et du design participatif et j’ai décidé de contacter Avinash…
Hugo P. : … Il nous a mis en contact car je lui avais dit que je prévoyais de déménager aux Pays-Bas. Nous avons ensuite collaboré sur quelques projets pour le Mozilla Festival ou Extinction Rebellion. Notamment pour créer des espaces de rencontre en ligne qui étaient souvent associés à d’étranges micro-ateliers. C’est ainsi que nous avons commencé à collaborer de plus en plus.
Quel a été votre premier contact avec la XR ?
Pedro G. F. : J’ai commencé à faire de la gravure traditionnelle et, pour moi, la combinaison de l’analogique et du numérique était vraiment intéressante… Aujourd’hui, je fais de la sérigraphie, mais avant, ce n’était pas le cas. Je faisais de la découpe de lino et je me demandais comment je pouvais ajouter une couche numérique à l’impression, ce qui est un cas d’utilisation plus simple pour la XR. C’est à partir de là que j’ai commencé à peaufiner et à expérimenter.
Hugo P. : Mon point de départ a été l’animation d’ateliers de prototypage au National Institute of Design (NID) avec Salil Parekh. Pendant une semaine, nous avons demandé à des étudiants qui ne travaillaient pas vraiment avec des outils numériques de raconter une histoire à travers un espace qu’ils avaient créé. Ils en faisaient le story-board, le construisaient en carton, le filmaient et devaient ensuite le recréer dans un moteur de jeu. Il s’agissait donc davantage de la numérisation des expériences et de la narration numérique. Nous essayions d’étendre ce que nous pouvions faire avec des supports analogiques et numériques. C’était un peu le point de départ.
Quel est votre outil XR préféré ?
Hugo P. : Nous avons créé un site web pour le projet développé dans le cadre de notre résidence à V2_ “whatamess.city” où nous avons documenté toutes nos influences ainsi que les outils que nous avons utilisés.
Pedro G.F. : En ce qui concerne les outils XR en particulier, nous utilisons beaucoup la photogrammétrie et la numérisation 3D en général. Nous avons utilisé Polycam. C’est une application qui peut être téléchargée sur n’importe quel téléphone. Pour les téléphones plus récents, en particulier les iPhones ou les iPads – que nous avons utilisés dans les ateliers – elle utilise son scanner LiDAR. C’était incroyable avec les participants, même hier, quelqu’un demandait : “Mais combien de temps faut-il pour faire le scan ? Quatre heures, six heures ?” En fait, vous faites le balayage et avec le LiDAR, vous obtenez le balayage en 20 à 30 secondes. Pour moi, c’est cette confrontation avec l’accessibilité. Surtout avec la numérisation en 3D. Et cela faisait également partie de notre projet : quel est le cas d’utilisation pour un non-expert, pour un consommateur normal ou pour quelqu’un qui veut simplement se promener dans la ville et scanner des choses ?
Hugo P. : Je pense que l’autre chose qui est vraiment bien à propos de ces outils, c’est que même si une grande partie de la numérisation 3D et de l’AR que nous avons utilisée existe depuis un certain temps, la façon dont elle est maintenant intégrée dans les smartphones et les tablettes que vous pouvez acheter juste pour regarder des vidéos ou jouer aux échecs est vraiment incroyable… Lorsque nous avons organisé ces ateliers, les participants sont sortis avec des questions très pratiques sur la façon de commencer par eux-mêmes, qu’ils s’identifient ou non comme des individus créatifs. Il ne s’agit pas de se dire “Oh, vous avez cet équipement coûteux que je ne pourrais jamais avoir”. Certains ont même télécharger l’application avant la fin de l’atelier. Cela change vraiment votre relation au travail autour de la XR, de réaliser que vous pouvez l’essayer sur votre propre appareil.
Avez-vous des conseils pour trouver des ressources sur la XR ?
Pedro G. F. :, je suis toujours surpris par la quantité de choses qui existent et c’est comme un choix… Vous voyez un tutoriel sur SparkAR, sur la réalité augmentée… et vous mélangez le tout. Ce que j’aime, ce sont les gens qui abordent cette technologie sous un angle différent ou à travers leur propre sujet, en particulier l’espace urbain… Comme Tobias Revell, un designer britannique qui rédige des articles de blog qui n’ont parfois rien à voir avec la 3D ou la réalité augmentée, mais qui essaie toujours de faire un cliché ou un rendu 3D et de l’inclure au début du texte. Je trouve intéressante la façon dont ces outils peuvent intégrer d’autres sujets.
Hugo P. : Pour moi, c’est surtout grâce à des artistes comme Matthew Plummer Fernandez ou Theo Triantafyllidis, j’apprends beaucoup en suivant leur travail. Pour la photogrammétrie, une chose qui nous a mis la puce à l’oreille est une vidéo de Corridor Crew, des YouTubers VFX basés à Los Angeles. Ils avaient réalisé une vidéo jouant avec des moteurs de jeux et des scanners 3D, il est possible que nous ayons été séduits par le placement de produit…
Pedro G. F. : Il y a aussi Oddviz, un collectif d’artistes issus du monde de l’architecture. Ils vont dans les villes, ils scannent beaucoup de choses, puis ils créent des archives de ces objets scannés, mais avec des motifs géométriques, ce qui donne des panneaux étonnants. Pour nous, qui venons du design, ils ont été les premiers à essayer d’aller entre ces deux manières artistiques d’utiliser la XR, tout en restant dans le domaine de la recherche.
Hugo P. : J’ai l’impression que le terme “XR” est presque trop spécifique. Par exemple, les écrans ILM StageCraft utilisés pour le tournage de Mandalorian, le fait que des moteurs de jeu aient été utilisés pour créer les éléments de la toile de fond me semble vraiment fou. Nous devons donc vraiment penser à la technologie XR au-delà du casque et du smartphone. (S’adressant à Pedro 🙂 En te préparant pour la résidence, tu as étudié les travaux XR avant les smartphones, ce qui a été très utile. le point de bascule c’est quand tu as demandé : “Si nous devons utiliser un écran tactile, comment nous assurer que nous ne le considérons pas comme acquis ?” À un moment donné, nous avons même essayé de tout faire sur la tablette : la modélisation 3D, la numérisation, la RA. Nous avons fini par vouloir avoir un peu plus de liberté et nous ne nous sommes donc pas limités à cela, mais je pense que c’était un point important que nous voulions essayer de faire valoir.
Pedro G. F. : C’est encore une fois un retour à la recherche. Le fait de tomber sur un écran, parallèlement à la sérigraphie, l’aspect bricolage… C’est incroyable que les gens puissent commencer à faire de la XR comme ça. Même si je n’utilise pas les filtres de visage de Facebook et Snapchat, le fait que des gens fassent ces choses sans expérience préalable de la 3D et qu’ils créent des filtres personnalisés, c’est presque punk. Sauf que c’est Meta / Facebook. Mais il y a là quelque chose qui relève aussi du DIY.
Hugo P. : Je veux dire que mon jeune frère étudie l’administration des affaires, mais il a appris la 3D plus tôt que je ne l’ai fait en tant qu’aspirant designer industriel, parce que j’attendais que mon professeur me dise comment faire. Il scanne des objets en 3D pendant ses vacances et les intègre dans Unreal une fois rentré à la maison. chez Epic Games, ils ont une vision très claire de ce phénomène, qu’ils appellent le spectre du joueur au créateur. Ils en sont parfaitement conscients. C’est pourquoi toute leur gamme de produits est conçue en fonction de ce spectre. La XR est trop souvent considérée comme une augmentation visuelle avec différents degrés d’opacité, ce qui est très limitant. C’est pourquoi nous aimons le travail de Leon van Oldenborgh, par exemple, qui utilise les arts médiatiques locatifs et le GPS, parce que cela fait également partie des XR.
Il élargit le sens des réalités étendues… Auriez-vous un conseil à donner aux artistes ou aux personnes créatives qui souhaitent se lancer dans le XR ?
Hugo P.: Nous avons surtout commencé par ce projet.
Pedro G. F.: Nous ne nous reconnaissons pas en tant qu’artistes XR…(…) Nous faisions des recherches dans des articles des années 2000 sur la réalité virtuelle et la réalité étendue. Dans le projet SMSLINGSHOT de The Constitute, avant d’utiliser des smartphones, ils fabriquaient une catapulte Nokia XR. Ils écrivaient un message sur un téléphone Nokia et le lançaient dans un affichage public à LED. Pour nous, la phrase qui nous a le plus frappés est l’idée avancée par Eriksson et ses collègues selon laquelle ces innovations sur la XR se concentrent trop sur des appareils introvertis. Vous mettez votre casque VR, vous êtes introverti, même si vous pouvez mettre l’écran pour que d’autres personnes puissent voir ce que vous voyez. Même avec Pokemon Go, ce que vous faites est également vu par les autres. cette combinaison géniale entre le monde réel et le monde numérique: comment les fusionner ? J’étais très sceptique et je le suis toujours. C’est comme si la réalité augmentée et la réalité virtuelle se limitaient à une couche numérique et c’est tout, mais il n’y a pas de connexion de l’une à l’autre.
Hugo P. : C’est aussi pour cela que nous avons choisi d’avoir un appareil, une tablette, qui était ensuite partagée par tous les membres du groupe. Chaque fois que nous avons organisé un atelier, nous avons limité les participants à cinq captures afin de donner au processus un sentiment de préciosité par la rareté. Le groupe de cinq à huit personnes devait délibérer sur ce qu’il fallait numériser. Le fait de n’avoir qu’un seul appareil a également soulevé la question de l’isolement souvent liée aux expériences numériques. L’idée que la PlayStation était destinée à être jouée avec un groupe de personnes côte à côte, puis qu’elle est devenue un jeu solitaire dans ma chambre. Même si aujourd’hui, vous vous connectez probablement depuis votre chambre à d’immenses communautés en ligne. Mais le côté physique, côte à côte, est encore beaucoup plus rare. C’est donc un aspect que nous essayons de rétablir.
Pedro G. F. : Cela dépend de la façon dont les gens apprennent et utilisent les choses. Vous pouvez avoir un projet et vous lancer dans un logiciel que vous ne connaissez pas, mais au moins vous savez plus ou moins ce que vous voulez faire dans une expérience. D’autres personnes apprennent également sans avoir de projet en tête.
Hugo P. : Je pense que le point principal est d’éviter de le faire juste pour le plaisir d’utiliser la XR. Il est essentiel d’avoir une histoire, d’avoir quelque chose à raconter. C’est vraiment fou la quantité de documentation qui est en ligne, surtout avec YouTube, même pour TouchDesigner, sur SparkAR, sur Aero ; il y a une quantité incroyable de ressources pour ceux qui veulent se lancer.
Pedro G. F. : Pour en revenir à l’iPad et à la PolyCam, vous pouvez aller sur Unity et si vous n’avez jamais codé, si vous n’avez jamais utilisé un moteur de jeu, vous pouvez facilement être effrayé. C’est le premier problème que j’ai rencontré avec la découpe Lino et la réalité augmentée. Je suis allé dans Unity et j’ai été frustré. J’ai réussi à en tirer quelque chose, mais c’est peut-être pour cela que je n’y ai plus jamais touché… (…) Avec Aero, c’est tellement naturel la façon dont ils ont réussi à le faire. Dans l’atelier, nous avons réussi à scanner des choses et à faire un prototype en AR en seulement deux heures. Ce qui est fou, c’est que PolyCam et l’Aero existent. Sinon, cela n’aurait pas été possible.
Hugo P. : Et l’AR a pris 10 minutes. C’était en réalité deux heures parce qu’on marchait et on parlait en même temps. Il faut vraiment briser la bulle de la XR. Pour moi, la voie d’accès a été le codage créatif et le développement de logiciels open source, bien plus que toutes sortes de hype VR spécifique ou que le métavers. Nous avons utilisé les hubs Mozilla pour le projet Haul Earth Ledger, c’est ce qui nous a poussés à commencer à expérimenter avec les technologies XR. En tant qu’artistes XR, nous avons beaucoup à gagner en examinant tout le travail accompli pour faire de cet espace ce qu’il est avant qu’il ne soit appelé ainsi.
Pedro G. F. : Pour moi, c’est l’analogique. Si je peux trouver des moyens de combiner la sérigraphie, qui est la technique la plus analogique que l’on puisse obtenir, avec le numérique, c’est parfait.
Hugo P. : L’autre type de codage créatif et d’espace lié aux logiciels libres que nous avons commencé à explorer dans le cadre de ce projet est la modélisation des jeux (game modding). Et comment l’ouverture de votre moteur de jeu permet aux joueurs d’intervenir sur votre création en ajoutant leurs mods à ces jeux. L’éléphant dans la pièce, je pense, c’est que nous ne modifions pas notre matériel, contrairement à d’autres. Nous avons choisi le produit de consommation comme moyen de dire : ” vous pouvez le faire depuis votre canapé “. C’était important et précieux. Mais je pense que le revers de la médaille, c’est que nous ne sommes pas en mesure de pirater notre tablette, par exemple. Si l’on parle d’analogie, il semble que ce soit la réalité.
Realities in Transition un projet co-financé par le programme Europe Créative de la Commission Européenne.
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