Discussion croisée avec Gianfranco Iannuzzi, directeur artistique pour Culturespaces (dont l’exposition Cézanne à Paris, Venise à Bordeaux…) et Ana Debenedetti, directrice de la programmation et de la production des expositions traditionnelles à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence et au Musée Jacquemart-André à Paris, ainsi que des expositions immersives, notamment pour le volet historique. Une double caution artistique et scientifique pour nous présenter l’adaptation de leur exposition “Cézanne, Lumières de Provence” à l’Atelier des Lumières.
Cezanne, Lumières de Provence @ L’Atelier des Lumières (Paris)
Venise, la Sérénissime @ Les Bassins des Lumières (Bordeaux) et Carrière des Lumières (Baux-de-Provence)
Photos © Culturespaces x Eric Spiller
Cézanne, un univers vibrant
Gianfranco Iannuzzi (directeur artistique de l’exposition Cézanne) – Proposer une exposition à l’Atelier des Lumières autour des œuvres de Paul Cézanne (1839 – 1906), permet d’offrir une immersion dans cette merveilleuse nature provençale, cet environnement vivant que le peintre a su comprendre et dont il a su capter les vibrations. La technologie numérique est au cœur des expositions immersives et nous permet de pénétrer au plus profond de l’œuvre de Cézanne pour mieux la faire ressentir au public.
Gianfranco Iannuzzi – Aujourd’hui, tout est « immersif » et ce mot est désormais galvaudé ! De mon point de vue, la technologie offre une palette d’outils qui va me permettre de créer une émotion, de se rapprocher au plus près du travail de l’artiste concerné pour proposer un vrai voyage artistique voire provoquer la découverte. Il est fondamental de respecter l’œuvre originale de l’artiste, tout en effectuant un véritable travail d’animation spécifique, avec une préoccupation de base, celle de l’adapter au lieu de l’exposition, dans la cas présent, l’Atelier des Lumières à Paris.

Ana Debenedetti – Qu’il s’agisse d’artistes attirés par des sujets figuratifs, ou plus abstraits comme Kandinsky, le numérique permet de rendre l’art vivant, interactif. On offre ainsi une expérience différente de celle que l’on peut trouver dans un musée puisqu’il s’agit ici de provoquer une émotion, et de renouer avec la fonction première de l’œuvre qui est un support à partir duquel l’imaginaire du spectateur peut se développer.

Gianfranco Iannuzzi – Pour Cézanne, ce sont notamment des natures mortes, et beaucoup d’observations de la nature. Sur la séquence d’ouverture les animations nous permettent de jouer avec des détails de tableaux célèbres dans son œuvre, comme les fameuses pommes. Cézanne peignait avec énergie, parfois directement au doigt. Il a aussi fallu retranscrire ce procédé, afin de rendre compte de l’épaisseur et de la densité de la matière. Je conçois des créations immersives depuis plus de 30 ans ! Chaque exposition nous demande, puisque nous travaillons équipe, près d’un an de travail. Notre approche, loin d’être une simple projection d’œuvres sur des supports, est une création artistique numérique réalisée à partir d’une étude iconographique approfondie, de l’écriture minutieuse d’un scénario, et d’une bande sonore, tout cela dans le plus grand respect possible de l’œuvre initiale d’un artiste, ici Cézanne.
Ana Debenedetti – Cézanne a produit beaucoup de séries (notamment de la montagne Sainte Victoire), cela nous permet de jouer sur certains effets et de montrer ces variations, en jouant sur le rythme et la musique, d’une façon beaucoup plus accessible au grand public que si elles étaient accrochées traditionnellement les unes à côté des autres. Le public a une perception différente de ce travail artistique, de plus nos expositions s’adaptent au lieu de projection. Cézanne a été proposé en 2021 aux Carrières de Lumière, et désormais à l’Atelier. Chaque version vaut le coup d’œil : ce sont des expériences différentes.


Concevoir une exposition immersive de A à Z
Gianfranco Iannuzzi – Avec Culturespaces, nous étudions quels artistes, œuvres, proposer. Le choix des expositions est toujours le fruit d’une concertation. La dernière exposition que j’ai conçue pour les Bassins de Lumières à Bordeaux, “Venise, la Sérénissime” est née de mon envie de proposer un spectacle immersif sur ma ville natale. Venise pour moi, c’est la beauté de l’art et de l’architecture, et c’est tout un jeu de miroir avec l’eau. C’était évidemment logique de le proposer aux Bassins des Lumières !

Ana Debenedetti – Pour chaque exposition, Cézanne y compris, il s’agit pour nous de respecter les œuvres de l’artiste. Dans le même temps, nous avons la possibilité de les présenter dans des formats inédits, d’attirer l’œil sur certains détails et d’ouvrir le champ des possibles. Sur les quelque 900 tableaux de Cézanne, nous en proposons 600 dans cette l’exposition ! Ce ne serait pas possible dans le cadre d’une exposition classique, et il ne serait pas possible non plus d’impliquer autant le public.

Gianfranco Iannuzzi – Mon travail doit s’adapter au lieu de projection. Chaque espace est une source d’inspiration à investir avec mes créations immersives, Les lieux voués à devenir des lieux d’expositions durables doivent être originaux ! Avec Culturespaces nous avons ainsi développé les Carrières, puis l’Atelier, les Bassins. Il y a de nouveaux lieux à New-York et Séoul… A chaque fois, j’imagine un vrai environnement immersif qui doit coller à la nature d’origine du lieu investit. Et pour faire voyager les expositions d’un lieu à l’autre, il faut les adapter à chaque fois !
Réfléchir au rôle du spectateur-acteur de l’exposition
Gianfranco Iannuzzi – Le public est bien sûr un critère important. Contrairement au cinéma, il n’est pas passif. Nos spectateurs déambulent à leur gré, sont physiquement impliqués. J’ai un passé de sociologue : c’est une idée qui m’intéresse énormément de proposer cette « visite » partagée, il s’agit de vivre ensemble une expérience immersive dans une œuvre et un lieu. Les expositions comme celle-ci, intègrent les silhouettes des gens, des enfants qui jouent, du public, qu’il soit assis ou debout. Les voir s’emparer de l’exposition, c’est l’accomplissement de mon travail.

Ana Debenedetti – On est entré dans l’ère du numérique, et nous l’embrassons pleinement. Ce sont des outils fascinants, qui intéressent de nombreux lieux. Les expositions immersives permettent de créer différentes expériences : le spectateur peut y venir seul ou accompagné, demeurer statique ou déambuler, variant ainsi les plaisirs et les émotions. D’ailleurs de nombreux spectateurs reviennent plusieurs fois voir la même exposition. En faisant abstraction du cadre du tableau, d’un texte explicatif, on implique différemment le spectateur. Il y a un vrai dialogue à créer.

Gianfranco Iannuzzi – Cézanne à l’Atelier des Lumières, c’est comme une finalité logique puisque Cézanne voulait « étonner Paris » ! Cézanne a vécu en Provence la majeure partie de sa vie (on pense notamment à ses chefs-d’œuvre aux carrières de Bibémus), entretenait une relation ambiguë avec Paris. Pourtant il y revenait souvent. À l’Atelier des Lumières, on propose une expérience de l’œuvre de Cézanne plus intime qu’aux Carrières où elle a été présentée l’an dernier : l’espace est certes plus petit, mais cela nous permet des projections d’une grande qualité graphique grâce aux caractéristiques physiques et sonores de ce lieu.
Une création sonore indispensable
Gianfranco Iannuzzi – Dans nos expositions, oui, le son est aussi fondamental. Notre regard est guidé, conduit par le son. J’imagine la bande son dès la première image : elle doit être au centre de la création. L’émotion est préservée, décuplée par l’environnement sonore. Et on crée tout un parcours sonore, musical, avec des références diverses (jazz, classique, électro…) selon l’esprit et la tonalité recherchés pour notre exposition.
A l’Atelier des Lumières du 18 février 2022 au 3 janvier 2023 :
- Programme long : Cézanne, Lumières de Provence
- Programme court : Kandinsky, L’Odyssée de l’Abstrait
- Création contemporaine : RECODING ENTROPIA

Création contemporaine : RECODING ENTROPIA
L’artiste numérique François Vautier présente au Studio de l’Atelier un nouveau format de son film en réalité virtuel RECODING ENTROPIA (voir notre décryptage du projet) qui est passé par de nombreux festivals depuis deux ans. Cette odyssée spatiale et métaphorique se projette désormais sur les trois murs principaux de la salle, invitant le spectateur à s’immerger encore plus intensément dans cet univers très inspiré par 2001. Un rendez-vous à ne pas rater avec un film virtuel présenté hors-les-casques et bénéficie d’une vraie exploitation en salles. Plus qu’un format, la réalité virtuelle démontre par son élasticité – s’adaptant à chaque diffusion – qu’elle est une rencontre technologique avant tout.

Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.