L’an dernier le réalisateur et artiste numérique Pierre Zandrowicz (également cofondateur du studio français Atlas V) dévoilait au festival de Tribeca un premier court métrage développé et produit avec l’assistance d’outils génératifs boostés à l’intelligence artificielle : IN SEARCH OF TIME. Une vraie proposition au cœur des métamorphoses des industries culturelles : et si ce n’était que le début ? Entretien.
NDLR: cet entretien a été enregistré voici plusieurs semaines. Avec les évolutions rapides des outils génératifs liés à l’intelligence artificielle, de nombreuses choses ont évolué. Notamment Sora d’OpenAI pour la vidéo.
Découvrir les usages de l’IA en tant qu’artiste
Pierre Zandrowicz – Ma curiosité pour l’intelligence artificielle (IA) et l’art génératif a commencé en septembre 2022 alors que je venais de m’installer aux Etats-Unis. Je me suis retrouvé dans un nouvel environnement, au moment où émergeaient ces nouveau outis ChatGPT d’OpenAI. Une première forme de discussion (brainstorming) par texte relativement limitée à ce moment-là. Et puis est arrivé rapidement Midjourney pour l’image, et j’y ai vu un nouveau champ à explorer qui coïncidait avec des envies de continuer à explorer le médium cinéma et le format “film” à côté de mes projets immersifs. L’émergence des outils IA m’en a donné l’opportunité, de façon très autonome.
P. Z. – Dans un premier temps, j’ai travaillé sur des moodboards, pour développer mes propres inspirations. Je publiais quelques visuels sur Instagram, et par chance la galerie Fellowship travaillant sur des formats numériques (dont des NFTs) a repéré mes créations. Elle m’a proposé une collaboration autour de 100 photos issus de mes travaux sur Midjourney, à vendre en ligne dans une collection “Lo and Behold” sur la Blockchain Ethereum. Pour l’anecdote, la somme issue de cette vente m’a permis de financer le développement d’un scénario de long métrage ! La boucle était bouclée.
P. Z. – Je m’y suis donc consacré pleinement, à commencer par explorer les plateformes existantes comme Runway (dont j’ai intégré en 2023 le programme Créateur officiel). Mais à ce moment-là tout était encore embryonnaire, et je me suis tourné vers les plateformes open-source. Et les possibilités sont devenues impressionnantes, via des outils très peu grand public, mais bien plus libres en termes de possibilité. Je me suis investi dans la photo IA (ou Post-photographie), mais les premières offres liées à la vidéo sont apparues… Dans la foulée, Runway lançait son AI Film Festival (en février 2023). Il semblait logique pour moi d’y participer.
IN SEARCH OF TIME : un court métrage produit avec l’IA
P. Z. – A ce moment-là, Sam Pressman (producteur de cinéma et de contenus immersifs américain, ayant collaboré avec Atlas V sur EVOLVER) m’a présenté Matthew Tierney, un artiste peintre avec qui je me suis tout de suite très bien entendu. A peine à quelques semaines du festival, nous avons travaillé ensemble dans mon grenier pour concevoir un premier film IA autour des outils que j’avais trouvé – et de vidéo personnelles tournée en Grèce et à New york. Le résultat était étrange mais convaincant, comme de vieux souvenirs de familles perdus puis retrouvés. Le résultat soumis à Runway durait 2 minutes 30 secondes, et on pensait avoir livré le meilleur de nous-mêmes dans ce contexte. Mais nous n’avons pas été retenus, face à des films IA déjà plus commerciaux. Et ça a été une vraie leçon d’humilité.
P. Z. – Quelques temps plus tard, le festival de Tribeca nous appelle, intéressé par ce que nous avions fait, notre démarche. Avec Matt, nous leur proposons une version longue du film, dans l’idée de passer les mois suivants à produire en totale autonomie un film de 7 minutes : IN SEARCH OF TIME. C’est une chance extraordinaire d’avoir pu revenir au cinéma en bénéficiant de cette opportunité.
P. Z. – Je ne suis pas défini par rapport aux technologies ou supports avec lesquels je travaille. Mais le cinéma reste par définition ma passion première, et l’expérience la plus aboutie. Si je prends comme exemple cette diffusion du film à Tribeca, nous avons pu mettre en place une vraie installation avec exposition de photos et projection. C’est forcément satisfaisant de voir son œuvre aussi facilement diffusable et partagée collectivement. La VR permet en partie cela, même si c’est un peu plus complexe (notamment technologiquement). Je regroupe par ailleurs les deux médiums sur mon prochain projet VR puisqu’il se fait en collaboration avec un cinéaste.
Au final, l’IA un outil facile ?
P. Z. – L’intelligence artificielle, ça offre de nombreuses possibilités… mais de façon très surprenante ! On gagne du temps certes, parfois, mais c’est un outil capricieux qui nécessite beaucoup d’itérations, de tests, de recherche. Comme si on utilisait un moteur de temps réel qui a besoin d’être reconstruit constamment. Le rendu final peut être une simple image, mais le passage par la technologie nécessite un vrai travail de la part de l’humain (de l’artiste). C’est une autre façon de travailler, avec un peu plus d’indépendance sans doute. IN SEARCH OF TIME est un film réalisé entièrement à deux (y compris le sound design et la voix off), hormis un ingénieur du son pour le mix final.
P. Z. – J’avance avec l’intelligence artificielle de trois façons. Pour la photographie, j’ai développé mon propre dataset de référence. Je génère donc des images à partir de données qui ne viennent donc que de mon propre travail. Pour les films, c’est beaucoup plus complexe pour créer des modèles. Je travaille plutôt sur les workflows, à partir des données open source disponibles en ligne. Comme une galaxie de boîtiers technologiques que je connecte entre elles pour obtenir quelque chose. Ensuite, il faut lancer le rendu – plus traditionnel – avant de voir le résultat final ! C’est une forme d’exploration artistique et visuelle qui se fait de façon très artisanale, mais me passionne. Enfin, de façon plus classique, je continue de travailler sur Runway, Leonardo et d’autres plateformes. Il faut arriver à masquer l’effet IA, qui peut se repérer assez vite avec les moteurs les plus connus.
P. Z. – Mixer les outils, avec l’open source, permet de se détacher de tout ça. Il faut tester, et encore tester, mais autour d’histoires fortes. Sur ce point, c’est notre travail à Matt et moi de conceptualiser et écrire. On vient de finir le scénario de notre deuxième film, la suite indirecte d’IN SEARCH OF TIME. Il y aura sans doute moins d’IA, mais elle nous aidera pour les effets visuels (VFX, post-production). Il reste du chemin pour nous convaincre de faire un film 100% AI qui ne soit pas marketé sur ce critère.
P. Z. – Je continue sur les outils IA avec l’artiste américaine Wu Tsang (qui a précédemment réalisé OF WHALES, une production Atlas V) autour d’une pièce de théâtre qu’elle dirige à Zurich. Je produis les contenus associés avec mes outils IA, des images et des vidéos. J’ai inauguré ce mois-ci ma première exposition autour de mes images à Brooklyn avec FellowshipAI (CEREMONY), une autre bientôt en Italie à Reggio. Et puis des projets de films, toujours…
https://daily.xyz/artist/pierre-zandrowicz
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