Comment envisager une thématique sociale forte (la fin de vie, sujet complexe, si ce n’est tabou) dans une histoire à la première personne ? MAMIE LOU, projet plébiscité par les marchés professionnels ces dernières années (prix SACD au MIFA d’Annecy 2020, Venice Gap-Financing Market 2022), offre une proposition tout à la fois fantastique et informative sur le sujet, à partir de l’histoire personnelle de sa réalisatrice. Retour sur une expérience onirique et pleine d’espoir.
Nb : une loi sur la fin de vie était en discussion en France, à l’heure où MAMIE LOU est présentée en Compétition au festival d’Annecy 2024.
Créatrice VR, de l’écriture à la sculpture 3D
Isabelle Andreani – J’ai un parcours qui a connu plusieurs étapes. Même si cela fait plus de dix ans que je suis impliquée dans la création transmedia, en création ou en production selon les projets, j’ai un double diplôme d’ingénieur et chercheur en Physique fondamentale, obtenu à Grenoble. J’ai fait du développement informatique, j’ai monté une école d’art en ligne… Finalement, tout cela m’a formé sur le plan technique, avant de m’impliquer côté écriture et réalisation. Et même sur ce volet-là, j’ai beaucoup appris sur la création traditionnelle, notamment la sculpture. De quoi envisager sereinement la 3D ensuite ! L’arrivée de la VR m’a immédiatement parlé, et j’ai plongé dans des logiciels comme Tilt Brush… Pour MAMIE LOU, en participant à la résidence artistique CAMP Fr (avec Sutu et Paisley Smith cette année-là), j’ai conçu un premier prototype de l’expérience moi-même.
I. A. – MAMIE LOU est avant tout une histoire personnelle, liée au décès de ma grand-mère et la façon dont elle a été prise en charge par le système de santé (en France). C’est quelque chose qui m’a marqué, au-delà de l’événement et des émotions qui y étaient naturellement liées. J’étais déjà impliqué dans des ateliers sur l’écriture VR (pour Storycode), et je me suis mise à écrire cette histoire, concevoir une première maquette. Après avoir lancé la phase d’écriture, j’ai collaboré avec des artistes plus axés sur le visuel (Romane Poch et Ghislain Pariset), sur l’univers graphique. Puis j’ai rencontré Small Creative à Immersity (des journées de rencontres professionnelles pour l’écosystème XR à Angoulême), ça a accéléré la création. L’accompagnement de Small Creative a été essentiel pour développer le projet.

Construire un univers 3D onirique
I. A. – Dans MAMIE LOU, nous sommes dans un univers englobant qui est incarné par l’Arbre de Vie. De là, nous accédons au monde réel, puis aux souvenirs de Mamie Lou. Il y a 3 couches narratives, avec différents points de vue qui existaient dès le départ. Il fallait organiser la rencontre avec Mamie Lou, en commençant avec une certaine distance jusqu’à rentrer dans son intimité. C’est comme cela que l’histoire peut s’incarner. Mais toute la fluidité de l’histoire vient de notre travail avec Small.
I. A. – Visuellement, le projet tient beaucoup du travail de Romane Poch, que j’ai trouvé via son portfolio sur Instagram… ! Son univers m’a tout de suite charmé, notamment sur les personnages. Ghislain Pariset vient plus du jeu vidéo, avec une pensée tout de suite 3D. Ils étaient parfaitement complémentaires, entre intentions graphiques fortes et mise en scène à plusieurs dimensions. Avec l’équipe de Small, nous avons beaucoup réfléchi aux interactions pour rester à la bonne distance avec le récit, avec des changements de séquence réfléchis pour être le plus confortable possible. Nous avons beaucoup documenté cette approche interactive, notre présence dans le récit, l’impact sur l’histoire.
I. A. – L’animation est clé. En réalité virtuelle, c’est comme entrer dans un dessin animé. C’est très particulier, et particulièrement saisissant de vivre cela. La magie de l’animation, à vivre au premier degré, est une grande force du médium.

Envisager le scénario d’une fiction interactive
I. A. – Le propos devait être positif sur le sujet, sans ignorer la réalité. Mais j’ai très vite différencié mon propre ressenti, sur mon vécu, et ce qui devait être raconté… sans être à charge. J’ai fait beaucoup de recherches pour étayer le propos. Ce n’est pas un documentaire pour autant (le personnage reste largement fictif), mais une expérience narrative qui offre un regard, un ressenti. L’acte de présence, dans ces instants-là, est très important. L’univers des soins palliatifs est bien plus complexe que ce que l’on peut imaginer. Je voudrais aider, de façon positive, à informer sur le sujet. Ce sont dans ces instants dramatiques qu’on apprend finalement beaucoup sur la vie !
I. A. – Le scénario a très peu changé au fil de la production. On a fait des choix qui étaient plutôt liés à l’aspect technique. En VR, la charge cognitive est plus importante côté spectateur. Surtout quand on présente un univers visuel nouveau, la 3D, les dialogues, l’histoire… Il fallait travailler sur l’introduction (le “onboarding”) et la compréhension du récit. On a donc été vers la simplification, la fluidité de la narration. Encore une fois, il fallait éviter l’écueil « documentaire » pour aller vers l’histoire de Mamie Lou – ses enjeux personnels, familiaux. Le médical est en toile de fond, pour éviter la surcharge de vocabulaire technique. Il fallait se centrer, dans l’expérience, sur le vécu des personnages.
I. A. – Cyrille Marchesseau a beaucoup apporté avec la musique, qui porte les intentions émotionnelles à la base de l’écriture. J’ai vécu un moment très fort dans cette collaboration. L’expérience a commencé à exister pour tout le monde quand la musique et le sound design ont été ajoutés, et ont donné vie aux décors et à l’histoire.

MAMIE LOU : vers une distribution… à impact ?
I. A. – MAMIE LOU est un projet à impact, une expérience qui ouvre à la discussion. La mort n’est pas un sujet très visible dans la société et au sein des familles. Vécu psychologique, deuil, acharnement thérapeutique… On ignore souvent toute la partie médicale. Or, c’est essentiel. L’expérience est donc une histoire plutôt positive et joyeuse qui incite à l’échange. Et la médiation est essentielle dans ce sens, surtout si on vise les réseaux de bibliothèques, ou des lieux d’information ouverts au public. Maintenant que la production est terminée, on réfléchit à ces questions de diffusion.
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