L’innovation et la réalité virtuelle dans le spectacle vivant sont un champ d’exploration pour beaucoup. Concernant le collectif lyonnais INVIVO, c’est une démarche constante depuis près de dix ans. Leur dernier spectacle LES AVEUGLES, en tournée (et découvert pour notre part au GIFF de Genève l’an dernier), en est la preuve concrète. Rencontre avec le metteur en scène Julien Dubuc.
- INVIVO a été fondé en 2011 à l’origine autour de 6 membres : Alexia Chandon-Piazza, Julien Dubuc, Chloé Dumas, Grégoire Durrande Pierre-Yves Poudou et Samuel Sérandour (auteur.trice.s, créateur.trice.s lumière, créateur.trice.s son, scénographes, vidéastes…). Plus d’infos
- Le collectif signe 3 créations écrites collectivement : PARFOIS JE RÊVE QUE JE VOIS (2014), un spectacle immersif pour 10 spectateurs au casque audio, BLACKOUT (2015), parcours pour 1 spectateur au casque audio et smartphone, et 24/7 (2018), pour 40 spectateurs et en partie au casque de réalité virtuelle.
- En 2019, sous l’impulsion de Sumaya Al-Attia, Elsa Belenguier et Chloé Dumas, Ils créent pour la première fois un spectacle à destination du jeune public, CETO (à partir de 18 mois).
- Depuis 2020, Julien Dubuc a dirigé au sein du collectif TESSERACT (0.00/0.00) puis LES AVEUGLES, une pièce de théâtre en VR pour 12 spectateurs d’après le célèbre texte de Maurice Maeterlinck, notamment présenté au GIFF de Genève fin 2022.
- A suivre, LA FIN DU PRÉSENT ou l’adaptation de 3 textes de Maurice Maeterlinck sous la forme d’un spectacle hybride et protéiforme.
Cover credit: Nicolas Richard pour INVIVO
INVIVO, un collectif lyonnais
Julien Dubuc – INVIVO est un collectif né à la sortie de nos études à l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon – ou ENSATT. C’est une école qui forme à tous les métiers du spectacle vivant, de la scénographie au son, à la lumière, administration, mise en scène, comédiens… Nous étions 6 ex-étudiants avec une vraie motivation à s’affranchir du 4e mur, poser des questions à la croisée des arts, d’hybridation des créations. L’envie était de créer des œuvres nouvelles, avec de l’immersion et de nouvelles technologies. Nous avions différentes compétences qui faisaient appel aux technologies, et nous avions autant envie de les utiliser que de les questionner. C’est notre grammaire théâtrale, notre signature.
LES AVEUGLES, Une Proposition Théâtrale en VR
J. D. – LES AVEUGLES est notre deuxième pièce utilisant la réalité virtuelle, et la première à le faire intégralement. Avant cela, nous avions mis en scène 3 spectacles très différents, dont 24/7 (en 2018) avec une moitié du public équipé de casque VR. Nous avions à l’époque développé une application spécifique qui permettait de passer du spectacle réel (via les caméras des Samsung Gear) aux séquences virtuelles (vidéos 360),. C’était un autre enjeu de “mélanger” les réalités, avec des séquences enregistrées.
J. D. – Tous ces apprentissages en peu de temps (moins de 4 ans…) nous ont aussi beaucoup appris – avec des ambitions très importantes côté techniques ou logistiques, mais que nous avons réussi à dépasser. Sur LES AVEUGLES nous avons travaillé avec Antoine Vanel (artiste numérique connu sous le nom de Blindsp0t), qui a une patte technique et artistique incroyable. Sur 24/7 nous n’avions pas cette aide, et l’approche en a été beaucoup plus artisanale… D’ailleurs Antoine a repris l’application de 2018 pour la pièce qui tourne toujours ! L’évolution des logiciels est à notre niveau un vrai enjeu, car cette gestion technologique est à prendre en compte sur des spectacles qui tournent plusieurs années en France ou en Europe.
J. D. – La réalité virtuelle, ça a été une découverte vertigineuse pour nous. On est arrivé dans la création immersive à l’heure où la VR ne faisait que démarrer. Le champ des possibles était énorme, et l’est encore ; il y a beaucoup à découvrir côté spectacle vivant. On peut aussi évoquer l’économie de moyens que cela peut inciter à faire, le son et l’image à travailler… La spatialisation a été un énorme plaisir pour nous, surtout au son avec Grégoire Durrande. On peut travailler différemment notre approche des sensations, du monde environnant – même si minimaliste. Chez nous on travaille une forme d’épure visuelle, avec de la photogrammétrie, des images qui s’écroulent ou se reconstruisent avec une certaine étrangeté. Et bien sûr, le texte de Maurice de Maeterlinck s’inscrit parfaitement dans ces intentions. Mais ça n’est pas une finalité lors de nos créations : notre prochaine pièce n’aura pas de VR par exemple.
Inscrire le spectateur dans l’immersion
J. D. – LES AVEUGLES de Maurice de Maeterlinck est un texte fondamental pour moi, qui m’a beaucoup inspiré dans mon envie originelle de faire du théâtre. C’était aussi la base de mon mémoire de fin d’étude sur la place de l’obscurité dans la création numérique. Un vrai électrochoc qui a soudé notre collectif dans nos premières recherches. 24/7 m’avait donné envie de travailler autour de la réalité virtuelle comme support de création, et tout était là pour cette étape suivante qui l’embrasse totalement. Mais je ne voulais pas que la VR soit juste un artifice, et tout a été fait pour que la mise en scène l’intègre au cœur du dispositif.
J. D. – On voulait amener une œuvre totale, une expérience de groupe (12 personnes), et pas réaliser un contenu VR. C’est pourquoi on a créé ce cocon, dès l’entrée du spectateur. Tout doit converger pour que l’immersion rencontre l’émotion, tant individuellement que collectivement. Le dispositif en lui-même devait séduire dès qu’on le découvrait, avec cette installation pour 12 spectateurs où apparaissent très clairement les casques, mais avec un jeu de lumière et une mise en scène évidente. L’avant-spectacle est primordial dans notre mise en place, et le dialogue avec le spectateur s’ouvre dès son arrivée dans la salle.
J. D. – On peut dire que cette envie d’affronter des défis techniques, narratifs, pourrait presque faire penser au monde forain. On se promène avec ce “pack” technique qui, en réalité, ne diffère pas beaucoup d’un camion de décors ou costumes pour une pièce traditionnelle. Le dispositif mis en place répond parfaitement à l’idée d’expérience collective. Avec un aperçu matériel sans doute impressionnant pour certains : une spectatrice à Limoges (au Théâtre de l’Union) nous a dit avoir eu l’impression de naviguer entre Matrix et Beckett. On a pris le compliment ! On propose du théâtre classique avec une intention de science-fiction, de la technique visible mais une vraie poésie – voir étrangeté – dans le fond.
J. D. – INVIVO a toujours prôné une immersion passive, pour que l’imaginaire du spectateur se déploie dans le cadre que nous fixons. Sans interactions directes, ou alors très douces . C’est pour cela que j’ai voulu que les spectateurs soient comme à la place des 12 aveugles de l’histoire,qui ne peuvent ni se voir, ni se toucher. La métaphore de notre place dans un groupe, de la prise de décision face à l’inconnu… Nous avons placé volontairement le spectateur dans une position assise, avec peu d’amplitudes de mouvements. Ensuite, chacun peut regarder l’expérience comme il le souhaite.
J. D. – Notre place dans ce secteur de création est clairement hybride : pas totalement immersif par la technologie, pas totalement théâtre dans sa forme. Notre deuxième création était une pièce déambulatoire, en totale liberté. C’est un vrai challenge à chaque fois ! Et la prochaine le sera également avec 200 spectateurs au casque audio guidé dans tout le théâtre.
Programmer du spectacle vivant immersif
J. D. – La force des AVEUGLES vis-à-vis du réseau de lieux artistiques, c’est d’être un texte classique. Dès lors, l’innovation est plus facile à inclure dans leur programmation – même si nous restons tributaires des jauges, avec 12 personnes par heure (60 par jour). On discute avec des salles assez importantes, certains festivals peuvent se le permettre. Mais il faut trouver de nouveaux modèles pour ces dispositifs. On travaille pour être totalement autonome, sans besoin matériel préexistant. On réfléchit énormément à la tournée dans ce sens.
J. D. – Nous restons énormément liés au développement de l’industrie VR. Par exemple, nous ne sommes pas à l’abri d’un changement de décision des fabricants de casque, de l’arrêt de certains modèles… Et tout cela a un impact très direct sur nos productions. Avec LES AVEUGLES, nous avons 1 casque de remplacement mais ça peut devenir compliqué. On réfléchit à notre approche low tech au sein de ces dispositifs, pour ne pas être piégé. Le charme du vintage peut parfois nous inciter à utiliser de vieux casques Samsung, qui marchent toujours aussi bien…
J. D. – L’intérêt avec LES AVEUGLES était de rappeler notre place, entre la nature et la technologie. Il y a un rapport à notre situation actuelle, dans notre incapacité à voir l’effondrement d’un monde. Avec LES AVEUGLES, c’est un peu comme si on visitait les ruines de notre propre existence.
J. D. – La problématique de la langue et de la localisation en diffusion est importante pour nous, car dans notre version, les dialogues ont un débit élevé. L’insertion des sous-titres est une première solution mais pas idéale pour le spectacle. Une diffusion à l’international demanderait un doublage intégral, afin que la question de rythme et d’immersion soit respectée.
LES AVEUGLES – En tournée
- 11 > 25.03.2023
MARTO – Les Gémeaux + Théâtre de Châtillon-Clamart - 01 > 18.12.2022
LIEU UNIQUE + STEREOLUX – Nantes - 05 > 13.11.2022
GIFF – Genève (CH) - 11 > 14.10.2022
Théâtre de l’UNION – CDN de Limoges - 12 + 13.03.2022
LUX – SN de Valence - 17 > 19.12.2021
BIENNALE NÉMO – CENTQUATRE – Paris - 11 + 12.12.2021
BIENNALE NÉMO – Maison de la musique Nanterre - 16 > 28.11.2021
MICROMONDES – TNG – CDN de Lyon (CRÉATION)
Production : INVIVO
Coproduction : Les Gémeaux – Scène nationale de Sceaux, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin, Némo – Biennale des Arts Numériques de la Région Île-de-France – Le CENTQUATRE-PARIS, Lux – Scène nationale de Valence
Soutiens : Centre National du Cinéma et de l’image animée, DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, Région Auvergne-Rhône-Alpes, Ville de Lyon, Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, La maison du numérique
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