Fondée en 2008, narrative est l’une des sociétés de production dédiées aux nouvelles écritures les plus anciennes en France. Avec un focus sur les expériences 100% sonores depuis quelques années, Laurence Bagot et Cécile Cros-Couder apportent leur expertise en scénographie et création artistique sonore pour différents lieux ou institutions.
narrative, les origines
Laurence Bagot – Avant de fonder narrative, j’ai été journaliste pendant 15 ans en France, aux Etats-Unis ou en Asie pour la presse écrite,comme grand reporter. En 2004, j’ai suivi une année d’étude à l’Université de Harvard où j’ai pu me focaliser sur la narration. Que ce soit dans la création ou le journalisme, c’est l’histoire qui prime avant tout – ou comment raconter le réel. Avec l’émergence d’Internet et des usages numériques, j’ai voulu porter cette idée dans ces environnements émergeants. Et à l’époque il n’y avait pas de smartphones ni de tablettes ! A mon retour en France, j’en ai parlé à Cécile (Cros-Couder) et nous nous sommes lancées dans ce secteur encore embryonnaire des nouvelles écritures.
L. B. – Le fondement de narrative, c’est d’être une société qui crée des histoires. “Producteurs pour les nouveaux médias” est notre baseline depuis 2008, avec comme idée de base d’avoir des auteurs qui s’intéressent au réel. Dès 2009, nous avons produit des documentaires qui étaient principalement diffusés sur les sites de presse ou les antennes web des diffuseurs, qui cherchaient justement des formats enrichis. Nous avons notamment produit une série web documentaire en 24 épisodes pour France Télévisions, intitulée PORTRAITS D’UN NOUVEAU MONDE (lien). C’était le premier projet hors antenne pour France 5, mais surtout notre premier projet comme productrices pour les supports numériques.
Trouver le son (binaural) juste
L. B. – On veut raconter des histoires d’auteurs dans des contextes du réel, et en utilisant les dernières technologies. Chaque histoire répond au support choisi pour la raconter. On travaille chaque projet dans ce sens, en prenant en compte le lieu, l’audience également. Chez narrative, on avance en se réinventant à chaque projet, et cela nous a amené au son. En travaillant dans des lieux historiques, culturels, de patrimoine, il nous a semblé pertinent de nous orienter sur l’expérience sonore pour laisser le spectateur profiter de l’environnement visuel. Et oublier l’écran : l’image, c’est le lieu lui-même en trois dimensions !
L. B. – Lors d’un festival, j’ai découvert le son binaural, et ça m’a fasciné. Je visualisais la réalité du son ! On peut créer des imaginaires forts. A l’époque nous réfléchissions sur un projet pour une abbaye en Charente et envisager un parcours pour les visiteurs. Cela nous a permis avec des auteurs de mettre en œuvre notre intuition de créer un “film sonore déambulatoire” à partir de scènes qui se déclenchent automatiquement sur les pas du visiteur. Il a fallu choisir l’histoire à raconter, et la manière de la mettre en scène ! Des questions de scénario très classiques…
L. B. – Avec des réalisateurs sonores, on a poussé à tout faire dans des conditions réelles, dans les lieux, car nous venons du documentaire. Les ingénieurs du son, eux, auraient préféré tout recréer en studio et post-produire. Filmer sonorement dans le décor réel permet d’abord d’inspirer les comédiens,de trouver des trucs de réalisation et de capter l’empreinte acoustique des endroits, rester au plus près de la réalité. Et on reproduit là-aussi des problématiques de tournage traditionnels, de la logistique aux voies de chemin de fer proche (un enfer pour les ingénieurs du son !). Tout en conservant une partie de post-production pour nettoyer ou enrichir cela, évidemment. Certains lieux sont trop bruyants ; à Vaux-le-Vicomte on a tourné de nuit, en essayant d’éviter le couloir aérien proche ou en éteignant l’électricité qui reste un parasite sonore ! narrative, c’est un mélange de fiction et de captation du réel, on y tient car c’est sur cette osmose subtile que se joue l’illusion pour celui qui écoute : il ne sait plus très bien ce qui est enregistré et ce qui est vrai. Les retours des visiteurs sont époustouflants. (voir ici)
Travailler la matière interactive
L. B. – Les archives sont aussi fascinantes. On peut prendre comme exemple ÇA S’EST PASSÉ ICI (lien), de la micro histoire à hauteur de rue pour raconter la Shoah là où se sont passés les vrais événements. Et c’est bouleversant. On a travaillé avec le Grand Palais, le musée d’Orsay sur la base d’archives. De la même façon, pour la nouvelle exposition PICASSO À L’IMAGE, au Musée Picasso à Paris, nous en avons beaucoup utilisé pour organiser leur premier “accrochage numérique”. Nous avons réalisé avec Nova Pista une expérience immersive DANS L’ATELIER DE PICASSO (trailer), une évocation poétique et sensorielle qui nous fait pénétrer dans l’intimité de Picasso à la Villa Californie grâce à une installation entièrement composée avec des archives. Cécile est en cours de production de A LA RECHERCHE DE NOTRE-DAME, une expérience sonore pour partager la recherche sur l’évolution de l’architecture et de l’acoustique de la cathédrale Notre-Dame de Paris à travers les siècles (trailer). Notre-Dame pour en retracer l’histoire. Nous travaillons aussi avec Frédéric Purgal de ArtOfCorner qui fait de la photogrammétrie haute définition sur un projet sur la maison Hauteville House, à Guernesey où Victor Hugo a été longtemps exilé ; Marion Augustin est auteure et Charles Ayats réalisateur de cette expérience VR qui sortira en 2022.
L. B. – Aujourd’hui, narrative ne produit pas que du son, on aime aussi l’image ! Mais le son est une matière formidable à travailler. Premièrement, c’est très créatif et c’est l’histoire qui est mise en avant. On ne peut pas vendre autre chose que la qualité ; un arc narratif, des enjeux, une justesse dans le ton et l’atmosphère… Je ne parle pas seulement de l’intérêt de l’histoire, mais d’une construction narrative qui tient la route. Hors, côté technique, on peut tout faire avec le son avec des moyens plus modestes que pour l’image ! Le bruitage par exemple est une étape fascinante, hyper créative.
Conserver un esprit de production responsable
L. B. – Je veux aussi que les moyens mis en œuvre répondent au résultat souhaité. Il ne faut pas trop en faire, ne pas survendre en production. On peut parler d’éco-production, d’être responsable vis-à-vis de ce que l’on fait. On se rapproche des productions en réalité virtuelle, sur certains projets, tout en se questionnant par rapport aux résultats et à l’audience. Faire de belles images, ça coûte cher. Un bon son aussi ! Mais côté image, c’est une course sans fin et une consommation parfois peu raisonnable… Nous, nous produisons de l’imaginaire avec des moyens parfois réduits.
L. B. – Le son binaural, c’est aussi un énorme avantage en diffusion. Il suffit d’avoir un casque quel qu’il soit pour l’écouter. Nos fichiers sont des mp3 qui se transmettent facilement, y compris pour des partenaires institutionnels qui n’ont pas beaucoup de moyens. Évidemment, la qualité du casque peut jouer mais pour le spectateur, il peut avoir une expérience incroyable de son spatialisé avec ses oreillettes. Il y a peu d’occasions, voire aucune, où une image est nécessaire si l’histoire sonore est bien réalisée. On reste néanmoins sur le constat que pour les productions classiques, le son reste le parent pauvre de la narration. Hors c’est sans doute son moteur premier.
L. B. – Le son, on n’y fait pas forcément attention dans notre culture de l’image. Hors le potentiel est énorme. Du coup pour nous, sur un projet comme HAUTEVILLE HOUSE, on adore collaborer à un projet très visuel – mais on y apporte notre expertise sonore pour renforcer le récit. Une acoustique particulière, du bruitage et une narration très humaine pour appuyer le récit. Et au final, un projet qui peut permettre à beaucoup de monde de découvrir ce lieu magique situé à Guernesey.
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