Retour sur le volet Innovation du Sunny Side of the Doc 2024, avec Maïté Labat, programmatrice, à l’occasion des 35 ans de l’événement de la Rochelle célébrant toutes les formes de création documentaire. Et l’occasion de parler de la deuxième édition du PiXii Festival, leur événement grand public, qui aura lieu du 17 au 20 octobre.
XRMust (Anna Charrière) – Bonjour Maïté. Nous sommes ravis de te retrouver (cf. Itw 2023) pour une nouvelle édition du Sunny Side of the Doc. Peux-tu nous faire un panorama de la programmation 2024, en mettant l’accent sur les nouveautés de cette édition anniversaire ?
Maïté Labat – Cette année, pour les trente-cinq ans du Sunny Side of the Doc, nous avons voulu questionner toutes les formes du documentaire. Nous avons donc construit une programmation qui reflète cette diversité de formats. Par exemple, nous nous sommes penchés sur les documentaires pour les réseaux sociaux : qu’est-ce que cela veut dire faire des documentaires sur les réseaux sociaux ? C’est l’objet de la table-ronde qui réunit un Max Laulom (YouTubeur) et les producteurs, Paolo Nino Cence et Eric Quintin, qui sortent Le Grand Procès un documentaire sur Instagram, réalisé par Camille Duvelleroy, avec les éditions numériques d’ARTE. Nous explorons aussi les nouveaux territoires de narration tels que la XR, le jeux vidéo, avec des invités comme Darren Emerson (avec LETTERS FROM DRANCY), Deborah Papiernik et Amy Jenkins-Le Guerroué d’Ubisoft. Nous avons également interrogé ce qu’était le podcast documentaire avec Jean-Patrick Labouyrie, fondateur de la plateforme Podmust. Est-ce qu’on peut facilement adapter un podcast vers un documentaire et inversement ? Mais aussi adapter un podcast vers une expérience XR, avec Emma Roberts qui est venue nous parler de son travail en cours, JUMP BLUE. Nous avons également proposé une sélection de contenus disponibles au Studio, qui s’est encore agrandi cette année au cœur du marché, ce qui a créé une véritable dynamique d’affluence avec un réel effet de curiosité chez les producteurs et diffuseurs de formats linéaires.
Le Sunny Side of the Doc, c’est une véritable curation de projets tout au long de l’année. Nous voyageons dans d’autres festivals et marchés. La collaboration avec Diversion est très fructueuse et nous permet aussi de découvrir beaucoup de projets.
XRMust (A.C.) – Peux-tu nous en dire davantage sur ce nouveau programme d’accompagnement « Innovation WIP » ?
M.L. – Nous avons lancé en début d’année un appel à projets. En sont sortis grâce à un jury cinq lauréats, cinq équipes en développement pour les accompagner de manière personnalisée. Ils ont passé quatre jours au Sunny Side en juin, avec des workshops et des rencontres one-to-one pour affiner leurs projets. Nous avons ouvert en grand les portes du marché à ces équipes. L’objectif est de leur proposer un accompagnement sur mesure, avec des audiences qualifiées pour chaque workshop, avec un intérêt réel pour les projets. Nous avons mis l’accent sur la préparation en amont du marché, avec une lecture critique des dossiers présentés et un travail de préparation au pitch. En plus des nombreux one-to-one sur le marché, nous leur avons donné accès au carnet d’adresses du Sunny ! Et surtout, chaque WIP a été mis en avant au Studio, soit par des teasers, soit par des prototypes.
- ANIMALS TALK par GORDON, production : Little Big Story Lab (France), coproduction : A_Bahn (Luxembourg)
- ATLAS CINEMA – THE EYES OF LOUSANOUCH par Marie ARLAIS, Raphaël RIALLAND, production : Etrange Miroir (France)
- CORAL ISLAND par Simon ROUBY, production : Risette (France) coproduction : Miyu Productions (France)
- FOLLOW THE CARNATION par : Catarina de Sousa, Lui Avallos, production : Mundivagante Studio LDA (Portugal), FOI BONITA A FESTA (Portugal)
- UNCANNY REVERIE par : Alexander HACKL, production : Studio M.A.R.S (Autriche)
XRMust (A.C.) – Pourquoi avoir organisé une table-ronde spécifiquement sur les musées dans un marché dédié historiquement aux films linéaires documentaires ?
M.L. – Cela me paraissait naturel d’inviter de nouveau ces institutions culturelles, qui par ailleurs viennent au Sunny Side depuis de nombreuses années, et en premier lieu parce que les musées ont beaucoup d’histoires à raconter. C’est d’ailleurs une de leur principale mission, après la conservation des œuvres, le partage avec les publics. Cette année, nous avons demandé à plusieurs musées de dévoiler leur programmation future, ce qui permet aux producteurs et diffuseurs de mieux comprendre leurs besoins. L’exercice n’est pas facile, mais nous avons eu des retours très positifs des participants et de l’audience. L’idée était aussi de répondre à un besoin des musées, qui sont à la recherche de contenus très divers, tant linéaires, que XR, ou même en podcast. C’est une véritable richesse pour le marché d’accueillir ces institutions, en recherche de coproductions internationales, qui reste l’ADN du Sunny Side of the Doc.
XRMust (A.C.) – Dans les musées présents, il y avait notamment deux musées scientifiques et d’interprétation qui semblaient avoir une approche à leur public assez interactive.
M.L. – Oui, historiquement les musées liés aux sciences ont toujours été des lieux plus interactifs car la science renvoie à l’idée d’expérimentation. Ils ont invité leurs publics, bien avant l’arrivée massive du numérique, à tester des expériences, à comprendre l’énergie cinétique, la mécanique des fluides … pour du grand public et du public « famille ». Inviter ces musées de sciences c’est une manière de penser les publics, les audiences. Sans audience on ne crée pas car on crée pour être vu. Mais c’est aussi parce que plusieurs projets WIP portaient des sujets scientifiques : pourquoi le corail blanchit ? (CORAL ISLAND, de Simon Rouby), comment décoder le langage des animaux ? (ANIMALS TALK, de Gordon). Nous nous sommes donc aussi adaptés aux besoins des lauréats.
XRMust (A.C.) – Quel bilan pourrais-tu faire de cette édition 2024 ?
M.L. – C’est seulement ma deuxième édition en tant que programmatrice. Ce sera forcément un regard personnel, même si je venais auparavant sur le marché en tant que représentante d’un musée. Cette année, j’ai trouvé que l’ambiance était très sereine. Non pas que ce n’était pas le cas auparavant, mais j’ai senti que les participants avaient besoin de cette bulle d’échanges dans un contexte mondial – et français – difficile, et violent à plein d’égards. Avec un besoin de se retrouver, d’échanger sur le contexte et de projets à venir. C’était une bulle très engagée parce que le monde du documentaire l’est par définition. Dans ce contexte, notamment après les années Covid, se rencontrer en présence est vraiment important avec une programmation qui permet de croiser les regards. La présence active des acteurs des archives est un bon exemple. Ils souhaitent continuer à valoriser leurs fonds, ailleurs que dans les docs linéaires. Ces nouveaux territoires donnent de nouvelles perspectives à toute l’industrie. Les tables-rondes dédiées aux archives font d’ailleurs le plein, tout comme celle dédiée aux podcasts, qui a connu un vrai succès grâce à cette nouvelle collaboration avec Podmust. Cela montre que l’industrie a besoin de continuer à se rencontrer et à construire des ponts.
XRMust (A.C.) – Pour cette édition, encore plus que les précédentes, vous avez souhaité inclure davantage les formats innovants au reste de la programmation. Est-ce que cela a fonctionné ?
M.L. – Oui, complètement. Nous sommes déjà en train de réfléchir à comment aller plus loin pour l’édition 2025. Par exemple, continuer à fusionner toutes les formes de documentaires et se concentrer sur les thématiques. Quand on dirige un musée d’Histoires naturelles, on est autant intéressé par des pitchs de documentaires de formats linéaires que non-linéaires. Il s’agit aujourd’hui de sortir du médium pour se concentrer sur les histoires à raconter, quel que soit le format.. Nous prenons déjà des notes pendant le marché pour les sujets que nous souhaiterions davantage pousser, ou approfondir. Ça démontre aussi l’émulation du moment.
XRMust (A.C.) – En parlant de sujets à approfondir, qu’as-tu noté dans ton calepin pour la prochaine édition ?
M.L. – Je peux t’ouvrir ma note sur mon smartphone !. Il y a déjà la question des thématiques, une réflexion à avoir avec la nouvelle direction du Sunny side et les autres programmateurs. Mais aussi des questions à creuser : comment encore mieux travailler avec les archives ? Comment les soutenir dans leur volonté de valorisation ? Quels autres types de musées à inviter en 2025 ? Et cela restera secret mais il y aussi quelles seront les pépites à monter, les projets dont on m’a parlé pendant le marché, qui pourraient être prêts en 2025.
XRMust (A.C.) : Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et qui te semble importante à aborder ?
M.L. – C’est une bonne question. Oui, nous aurions pu aborder l’engagement environnemental du marché. Le Sunny side a mené son tout premier bilan carbone l’année dernière, révélant une mince – mais sans aucun doute atténuable – marge de manœuvre ! Comment s’améliorer encore plus l’année prochaine ? Est-ce que les actions déployées ont eu un impact significatif ? A quelle association le Sunny Side of the Doc donnera l’an prochain pour le 1% pour la planète ? Quels moyens de transports ont pris les participants pour venir ? Comment faire mieux, car pour des marchés internationaux, ce sont de vraies questions. Par ailleurs, le numérique prend le pas sur l’aviation civile en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Quand on est programmatrice innovation aujourd’hui, on l’a nécessairement en tête. Nous l’avions bien adressé l’an dernier, avec Coopérative Carbone et le projet Cépir. Cette année nous n’en avons moins parlé, et c’est un manque. C’est important de continuer à aborder ces enjeux tous ensemble. Je pense que c’est un sujet qu’on devrait traiter chaque année. Je prends ma part en m’interrogeant sur le bon format pour aborder ces sujets autour de l’innovation.
XRMust (A.C.) – Est-ce un angle abordé dès la sélection des projets ?
M.L. – C’est systématiquement une question. Récemment quelqu’un m’a parlé de « frugalité numérique ». J’aime bien cette idée de frugalité. Nous avons notamment eu parmi les WIP, Les yeux de Lousanouch, de Marie Arlais et Raphaël Rialland, un projet XR plus artisanal, qui tend vers consommation électrique basse. C’était un bon exemple pour aborder les questions de numérique, d’immersif et d’enjeux environnementaux.
XRMust (A.C.) – Je voulais revenir sur le format du marché, particulièrement dense, avec un marché classique où les professionnels viennent vendre leurs projets. Là où pour la XR, qui est encore en pleine structuration, semble avoir besoin de ces moments, de ces rencontres pour se retrouver et réfléchir. Ne penses-tu pas que les marchés et festivals ont un rôle essentiel au maintien d’une réflexion au long court ? A la création des conditions de réflexion pour la filière ?
M.L. – Oui, absolument. Nous nous connaissons de mieux en mieux entre programmatrices et programmateurs, Andrès Jarach (FipaDoc à Biarritz), Mathieu Gayet (le GIFF de Genève, Immersity à Angoulême), Michèle Ziegler et Ellen Kuo (NewImages à Paris), Mark Atkins (CPH:DOX à Copenhague), Liz Rosenthal et Michel Reilhac (Venise Immersive), Alexandra Gerard (Stereopsia). Cela passe par des relations interpersonnelles et des déplacements sur d’autres marchés, malgré les défis logistiques et écologiques que cela pose de se déplacer. Ce sont des rencontres, la volonté de faire communauté, entre individus. Les acteurs de notre industrie aussi nous donnent l’occasion de nous réunir, notamment les distributeurs (Diversion, Unframed Collection, Astrea) ou les lieux qui programment des projets XR comme Un soir avec les impressionnistes au musée d’Orsay ou le Centre Phi à Montréal.
XRMust (A.C.) : Comment passer à l’étape du dessus, plus structurante et qui ne passe plus seulement par cet interpersonnel ?
M.L. : Les associations professionnelles peuvent jouer un rôle important, comme PXN ou French Immersive Studio (France), l’agence Hub Brussels (Belgique) et bien sûr d’autres à l’international. J’ai tendance néanmoins à penser que c’est aussi le rôle des pouvoirs publics de soutenir cette structuration. Ils y travaillent beaucoup au ministère de la Culture avec un fort dynamisme du service du numérique et bien sûr du CNC et de France 2030 qui a lancé l’appel à projets structurant “Culture immersive et métavers”. L’Europe joue aussi un rôle essentiel. Mais il y a aussi des initiatives privées ou partenariales avec le service public intéressantes, comme Correspondances Digitales qui font un joli travail de revue de presse et de mise en relation des acteurs avec le programme Numix Lab ou les RICCI à Épinal. C’est une bonne occasion de prendre de la hauteur. Dans cette dynamique d’horizontalité, j’ai travaillé avec le ministère de la Culture en fin d’année dernière pour faire un état de l’art de l’immersif culturel. J’ai interrogé une vingtaine d’acteurs français et internationaux en essayant de donner la parole à tout type de technologies immersives et de porteurs de projets, pour être suffisamment représentatif. Et surtout interroger chaque partie : producteur privé, institution culturelle publique qui a reçu l’œuvre et parfois l’a coproduite. Tout cela de concert avec les équipes du ministère de la Culture pour tendre à une forme d’exhaustivité et de neutralité.
XRMust (A.C.) : Depuis un an, le PiXii Festival destiné au grand public a pris son envol du Sunny Side of the Doc peux-tu nous en dire plus ?
M.L. : Oui, jusqu’en 2022 inclus, Pixii était le volet innovant du Sunny Side, qui s’était étendu en ville. Formidable initiative pour faire découvrir les projets au grand public mais cela avait aussi créé un peu de confusion. Le grand public voulait voir des projets mais pensait que le Sunny Side était dédié aux professionnels. Inversement les professionnels n’avaient pas le temps de se rendre en ville pour voir les expériences. J’ai donc accompagné le Sunny Side pour créer deux événements. C’est-à-dire recréer un volet innovant au cœur du marché pour les professionnels, et déplacer le festival Pixii, destiné au grand public uniquement, à l’automne. C’est un pari audacieux car cela va à contre-courant de ce que font les autres événements qui mélangent marché et événement grand public. C’est un véritable pari notamment budgétaire. Pixii a été conçu pour être gratuit dans un premier temps, mais c’est important de participer à la structuration de la filière, aussi nous réfléchissons au développement d’une partie payante sur certaines œuvres comme « NOIRE » (récompensée notamment au 77e Festival de Cannes).
Nous cherchons encore l’équilibre entre gratuité et expériences payantes pour rester accessibles à tous les publics. Je refuse que la XR soit des expériences destinées à des classes sociales qui auraient les moyens, et qu’elle ne soit pas accessible à d’autres. Pixii est un véritable laboratoire, et le Sunny Side devient une forme d’antichambre pour la programmation du PiXii qui vient d’être dévoilée sur le site et les réseaux sociaux. Nous sélectionnons des projets au Sunny Side qui, nous l’espérons, dialoguent bien avec un certain nombre d’institutions culturelles. Nous co-construisons la programmation avec des lieux culturels de La Rochelle et de Rochefort. C’est encore un work in progress, mais le public a répondu présent en 2023 et on l’attend encore plus nombreux en 2024 : c’est ça qui compte !
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