Si vous ne connaissez pas encore le studio luxembourgeois Skill Lab, mémorisez-le. Outre l’avant-première mondiale de leur expérience OTO’S PLANET au festival d’Annecy en Compétition, Gwenael François et Julien Becker ont participé à la production de MAMIE LOU (Isabelle Andreani, produit par Small Creative) et sont en plein développement de TACHYCHRONIE – notamment présenté au dernier GIFF 2023. On en oublierait presque qu’ERRANCES est actuellement présenté en festivals ou à La Maison d’Ailleurs en Suisse, au sein de l’exposition “Une autre vie ?”.
Skill Lab est donc pleinement occupé en ce printemps 2024, et a raison. OTO’S PLANET est un formidable court métrage de science-fiction, plein de dérision et d’humour, qui est un vrai bac-à-sable créatif pour le spectateur. On peut à volonté naviguer dans l’expérience, faire tourner la petite planète où vit le héros pour suivre l’action, sans pour autant perdre une miette d’une histoire forte en rebondissement. Un vrai coup de cœur qui vous fera penser au Petit Prince 20 ans plus tard, avec une immersion savamment réfléchie.
Décryptage de cette aventure qui fait du bien, et qui surprend, avec son réalisateur Gwenael François et le producteur Julien Becker. OTO’S PLANET est une production Skill Lab, coproduite par Dpt. pour le Canada et Small Creative pour la France.
Skill Lab, qui êtes-vous ?
Gwenael François – Skill Lab existe depuis 12 ans. Avec Julien (Becker), nous sommes un duo de producteurs-réalisateurs dédiés à la fiction avant tout. Nous avons réalisé quelques publicités ou films institutionnels, mais désormais nous nous focalisons sur la fiction pour le cinéma et la XR, avec chacun ses propres projets comme auteurs. Personnellement je m’intéresse au champ des nouvelles écritures et de l’immersif, depuis les prémices de la VR il y a dix ans. Passé la découverte, et ayant vu beaucoup de projets, nous avons beaucoup réfléchi au film VR en images réelles. La qualité était souvent déceptive, les caméras ne permettant pas de concurrencer réellement le cinéma et nous n’avons pas franchi le pas de la réalisation.
G. F. – Le déclic a eu lieu au Pavillon VR du Luxembourg City Film Festival en 2018 quand nous avons vu ARDEN’S WAKE. Un film d’animation en 6DOF d’une beauté affolante, avec une vraie histoire romantique : nous sommes partis dans cette direction pour arriver aujourd’hui à OTO’S PLANET. Il y a une dimension véritablement à la Pixar dans ce que la VR peut proposer à l’animation, en 3D et au premier point de vue. GLOOMY EYES est aussi une excellente référence de cette dimension cinématographique dans laquelle nous nous sommes reconnus. Nous aimerions évidemment à terme pouvoir proposer des films avec des images réelles, la capture volumétrique… et approcher un certain degré de réalisme dans les expériences immersives. Mais les casques eux-mêmes doivent évoluer aussi pour cela.
G. F. – Notre premier projet diffusé, ERRANCES, peut être perçu comme une forme de clip musical en VR. J’y propose une expérience visuelle et sonore, avec une vraie approche artistique. C’était une forme de test grandeur nature de ce que l’on pouvait proposer chez Skill Lab. Alors qu’OTO’S PLANET était en développement, j’ai voulu réaliser un autre projet de moindre ampleur, plus vite, avec Samuel Reinard (nom de scène Ryvage) qui aimait mes clips précédents. Son univers type année 80 me plaisait énormément, et nous avons travaillé ensemble à la conception de l’univers, des idées de parallèles à établir entre image et son et même de la conception du titre musical qui devait parfaitement coller à l’univers visuel que nous développions . L’expérience a été réalisée grâce à une aide “carte blanche” du Luxembourg Film Fund, et est sorti fin 2023 (à partir du FIVARS 2023).
OTO’S PLANET, un modèle de production entre trois pays
G. F. – OTO’S PLANET a été initié entre le Luxembourg et la France (avec Small Creative), mais pour des raisons de financement nous nous sommes reportés sur le Canada. Nous avions rencontré Dpt. à l’Atelier Grand Nord XR, et la relation avec Nicolas S. Roy existait déjà. Quand la production a avancé, nous avons pu enregistrer la musique en France avec Chapelier Fou, et ainsi poursuivre notre travail avec Small Creative. Nous avons produit au Luxembourg le projet avec comme prestataire technique ZEILT Studios, dont nous sommes proches. Et c’est l’inverse pour MAMIE LOU, que nous co-produisons avec Small Creative, producteur principal, et réalisé par Isabelle Andréani en France. La fabrication a été en partie réalisée par nos partenaires luxembourgeois de ZEILT. Chez Dpt., au Québec, nous avons la chance d’avoir des talents incroyables qui travaillent sur la création de certains éléments des décors mais surtout sur l’intégration dans Unity, la conception des interactions et l’expérience utilisateur. C’est une immense chance de travailler avec Chapelier Fou qui a composé la bande originale du projet. C’était passionnant d’être au contact direct d’un artiste aussi créatif que lui et je lui suis très reconnaissant d’avoir accepté ce petit challenge.
Julien Becker – C’est vrai que 6 ans pour produire ce qui ressemble à un court métrage interactif, cela peut paraître long. Mais nous n’avions jamais mis un pied dans l’industrie, et il a fallu appréhender l’écosystème, rencontrer les partenaires, envisager les financements, passer une pandémie mondiale, monter les pipelines de production entre plusieurs pays… Au final, c’est assez logique que nous ayons pris un peu de temps. Et le projet existe bel et bien !
Une planète, un héros, un crash
G. F. – Nous avons la joie de présenter OTO’S PLANET pour la première mondiale à Annecy en Sélection Officielle – et nous en sommes particulièrement heureux. L’idée d’origine était de proposer un environnement facile à appréhender ; la planète du héros nous est très rapidement venue en tête. C’est un contexte parfait pour tisser une histoire interactive autonome – pour une durée de 28 minutes. Le principal intérêt du projet est de pouvoir proposer une interface au spectateur, qui peut faire avancer l’histoire en interagissant avec Oto, et choisir son angle de vue en faisant tourner la planète à sa guise…
J. B. – Les premières versions du projet ont émergé en 2019, avec une tonalité plus jeune public. A l’Atelier Grand Nord XR, on a compris qu’il fallait aller vers quelque chose de plus adulte, moins manichéen. Progressivement, on est arrivé à quelque chose de plus mature. Et c’est plus riche ! On élargit un peu plus la diversité des projets XR, souvent très sérieux, en offrant de l’humour et de la légèreté avec nos histoires. Le résultat final vient des idées de Gwenaël et de son scénario.
G. F. – L’écriture du projet a été finalement assez linéaire. Il s’agit de proposer un document de synthèse avec le maximum d’intentions pour les équipes, entre Zeilt ici (pour les assets 3D) et Dpt. au Canada (environnement, code…). Ensuite seulement, nous sommes arrivés sur un document annoté avec les interactions, qu’on appelle “UX-Flow” entre nous, fait sous Miro, dans le cadre de l’architecture globale de l’expérience.
G. F. – OTO’S PLANET est une expérience très ludique, initiée pour la VR, qui a également un regard sur nos sociétés d’aujourd’hui. La question du mur pour séparer des communautés a pris son importance ces dernières années, et ce n’est pas une question qui appelle des réponses évidentes. On s’amuse de ça pour mieux éclairer l’absurdité de ces situations.
G. F. – Je ne peux pas citer de références directes qui m’ont inspiré pour OTO’S PLANET. Et d’ailleurs on voulait éviter de finir avec quelque chose de trop cartoon. Je souhaitais offrir un spectacle d’animation vraiment tourné vers une cible plus adulte, dans la veine (toutes proportions gardées) des longs métrages actuels comme “Spider-Man : Across the Spider Verse” où on peut s’amuser tout en ayant une vraie innovation graphique et visuelle.
Concevoir des interactions intuitives
G. F. – Côté interactions, on s’est intéressé aux expériences immersives avec un vrai fond narratif – comme THE LINE par exemple, où le spectateur intervient par moment mais peut se laisser guider par l’histoire. Sur OTO’S PLANET, la rotation de la scène (la planète) et le fait de pouvoir la déplacer dans l’environnement offre au public la possibilité de choisir son point de vue, d’être proche ou non de ce qu’il se passe.
J. B. – Au fur et à mesure, on s’est rendu compte qu’il fallait “recadrer” certaines séquences pour que le spectateur ne rate pas un détail-clé. On offre un maximum de liberté, mais avec des points de passage obligatoires.
G. F. – Dans ce sens, OTO’S PLANET est une histoire principale qui peut s’apprécier d’une multitude de points de vue. Ce n’est pas un récit à branches, mais on peut y revenir pour apprécier certains détails, etc. Et c’est déjà assez difficile à coder et produire dans un schéma classique pour la VR. C’est un apprentissage pour nous, de rester sur des interactions simples – et déjà de les réussir. Notre prochain objectif est de produire une version en réalité mixte, qui s’affranchit de l’environnement global, qu’on aimerait pouvoir proposer à côté de la VR. C’est une autre étape technologiquement importante qui va demander encore un peut de travail et qu’on espère proposer dans les mois qui viennent.
En attendant, j’espère que les spectateurs d’Annecy apprécieront cette fable interactive, qu’ils en ressortiront avec un sourire aux lèvres et qu’ils prendront autant de plaisir à vivre cette histoire que nous en avons pris en la réalisant.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.