NOIRE (COLORED) est une expérience qui traite du racisme et de la ségrégation aux Etats-Unis dans les années 1950 – Avec une universalité peu commune, renforcée par le choix de la réalité mixte. Entre décors réels, narration multimédia et sujet toujours (malheureusement) d’actualité, retour sur une œuvre qui a traversé 2023 du Centre Pompidou (France) aux festivals XR, jusqu’à une présentation à Milan, Montréal et le Luxembourg en ce début de 2024.
Prochaines dates :
Novaya, une volonté de création immersive
Pierre-Alain Giraud – Mon arrivée dans la création immersive rejoint mes premiers métiers dans le cinéma, l’animation et le documentaire – souvent entre la France et l’Islande. J’ai également créé pour le théâtre, notamment aux côtés d’Arthur Nauzyciel ou Stéphane Foenkinos, en réalisant des films projetés sur scène. Cette année j’ai notamment réalisé un clip pour Björk avec Gabríela Friðriksdóttir, “Victimhood”, dont les visuels ont été ensuite adaptés à la scène pour sa tournée “cornucopia”.
P.-A. G. – Nous avons créé Novaya, société de production immersive, après la réalisation d’une première œuvre, SOLASTALGIA, que j’ai co-réalisée avec Antoine Viviani (et avec Emanuela Righi à la production) et qui a eu la chance d’aller à Sundance en 2020. Cette expérience utilisait la première génération d’HoloLens, ce qui n’a pas été des plus faciles. Mais la graine était plantée, et on a voulu poursuivre dans cette voie. Pour SOLASTALGIA (produit par la société de production audiovisuelle Providences) l’histoire imposait la réalité mixte, avec un décor réel et une interaction très physique autour de l’apparition de fantômes. La solution technologique était alors limitée, le résultat visuel peu satisfaisant, mais on commençait à voir le potentiel narratif de ces technologies.
P.-A. G. – Novaya s’est ensuite constitué autour de ces problématiques, mais il fallait absolument réussir à faire mieux visuellement. Avec l’arrivée de Pierre-Luc et Mathieu Denuit pour travailler sur la plateforme logicielle MR, nous avons pu lancer d’autres projets comme NOIRE. Aujourd’hui, on a beaucoup plus de liberté technique et artistique, on travaille sur Unity avec la deuxième génération d’HoloLens. Grâce à une technologie de streaming en Wifi que nous avons développée, on contourne les limites de calcul des casques, et on arrive à montrer visuellement ce qu’on veut, sur plusieurs HoloLens en simultanée. Ça change vraiment tout.
Adapter NOIRE pour la réalité mixte
P.-A. G. – NOIRE est notre premier projet MR issu de cette phase de consolidation, créé à partir du livre de Tania de Montaigne sorti en 2015. Stéphane Foenkinos avait fait une première adaptation théâtrale, dans laquelle il m’avait demandé de réaliser des vidéos projetées sur scène. Je travaillais en même temps sur SOLASTALGIA et sur la pièce de théâtre, et créer NOIRE en installation immersive est devenu rapidement une évidence. La réalité mixte permet de faire revenir dans notre présent les fantômes du passé, il y a un vrai potentiel documentaire.
P.-A. G. – Le Centre Pompidou est arrivé très tôt sur le projet, dès la phase de développement – à commencer par le département de communication et numérique avec Agnès Benayer à l’époque, puis Paul Mourey et Antoine Immarigeon qui ont suivi le projet. Le challenge venait de la nature hybride du projet, entre le numérique, l’exposition et le théâtre, donc il fallait réunir des départements du Centre Pompidou qui ne travaillent pas forcément souvent ensemble. Communication et numérique, Spectacles Vivants mais aussi Production avec la construction des décors (Laurence Fontaine, architecte-scénographe et son équipe), la menuiserie, l’électricité, le département vidéo… et ils suivent encore aujourd’hui la distribution à nos côtés ! NOIRE a été en résidence au Centre Pompidou de février à avril 2023 pour se construire concrètement. Le projet tourne aujourd’hui en France (Valence, Toulon en 2023 sur un modèle d’environ 150 personnes / jour, et d’autres dates en 2024) et en Europe (MEET de Milan, Pavillon VR du Luxembourg City Film Festival), un deuxième décor est construit pour le centre PHI, et un troisième pour le théâtre National de Taïwan
P.-A. G. – Produire une œuvre en réalité mixte, c’est une démarche assez différente de la création cinématographique, avec quelques processus similaires. Il y a d’abord le tournage dans un studio 4D Views qui permet de filmer nos acteurs en 3 dimensions. Nous sommes partis tourner à l’IP Lab Studio de Taïwan (NOIRE est co-produit par la société Taïwanaise Flash Forward Entertainment). Les personnages que vous voyez dans l’expérience sont vraiment des acteurs filmés, un par un, avec 48 caméras tout autour d’eux. Ensuite on reçoit les vidéos de chaque personnage en 3 dimensions, et on fait un premier travail de montage qui se rapproche de celui du cinéma. Sur ordinateur, on construit des séquences narratives en mettant des images et des sons bout à bout. Mais ensuite on regarde notre montage dans l’espace, et commence un travail de mise en scène “holographique” qui se rapproche plus du théâtre. Il faut pouvoir se projeter dans plusieurs dimensions.
P.-A. G. – Idem pour le son, où nous avons travaillé comme pour SOLASTALGIA avec Valgeir Sigurðsson (fondateur des studios Greenhouse en Islande et proche collaborateur de Björk) à la musique et Nicolas Becker (oscarisé en 2021 pour SOUND OF METAL) au sound design. Vue que le studio de tournage n’offret pas de grandes possibilités côté enregistrement sonore – il a fallu tout recréer ensuite, bruiter, spatialiser, etc. Presque dans une démarche théâtrale, avec des enceintes positionnées dans l’espace. D’ailleurs, nous avons fini de mixer le son sur place, pour s’adapter à l’acoustique du lieu, à Pompidou.
P.-A. G. – Avec NOIRE, on a dû développer des technologies qui pouvaient suivre nos besoins artistiques. Maintenant on a quelque chose de stable qui va nous permettre de produire de nouveaux projets. Sur des œuvres narratives, il y a une vraie attente du public, et on espère pouvoir aider d’autres créateurs à travailler avec ces outils.
Envisager la physicalité de la création immersive
P.-A. G. – La première phase de création de NOIRE, ce sont des croquis. Vue que nous avons un vrai décor, auquel on ajoute des objets et des personnages virtuels… il fallait s’imaginer comment les deux mondes pouvaient s’imbriquer. … Un vrai casse-tête mental pour anticiper le placement des hologrammes, l’attitude des spectateurs dans les scènes, etc. On est arrivé au tournage après avoir travaillé plusieurs jours avec les comédiens.Il fallait répéter toutes les scènes très précisément, à la seconde près, parce qu’on ne peut filmer qu’un acteur à la fois. Quand vous voyez Claudette devant le juge ou dans le bus, qui refuse de se lever, elle devait jouer tout ça toute seule, avec des indications de regard et de timing très précisesPuis on recomposait les séquences en post production.,, La mise en espace des images a ensuite beaucoup évoluée par rapport à ce qu’on s’était imaginés : n’é : il fallait se confronter au décor physique, à la présence du public. Nous avons donc fait des tests avec des groupes de spectateurs, au 104 à Paris (Novaya est incubé au 104factory) puis au Centre Pompidou, ce qui nous a permis d’améliorer le rythme de la narration, le positionnement des personnages virtuels, d’affiner les liens entre les séquences virtuelles et lles spectateurs.. Pendant les tests,, plusieurs personnes étaient perdues, ne savaient pas où regarder et avaient la sensation de “rater” des choses importantes dans la narration. C’est à ce moment-là qu’on a eu l’idée de rajouter des flux de particules en suspension pour guider les spectateurs, pour diriger plus naturellement leur regard vers l’action principale.
P.-A. G. – Dans ce type de processus de création, on doit beaucoup improviser et se laisser surprendre.. Il y a aussi un écran et une projection 2D dans l’installation, où l’on montre la narratrice, Tania, et des archives. La place de cet écran n’a vraiment pas été facile à trouver. r Ce n’est qu’à la toute fin qu’on a réussi à donner une place juste aux images d’époque, en se laissant surprendre à voir l’hologramme de Claudette danser devant l’écran. Notre décor est volontairement minimaliste, pour qu’il puisse se transformer en plusieurs lieux différents, que l’on signifie par quelques objets, quelques détails visuels, et aussi par le son. . Le son et la musique de Valgeir sont des liens puissants pour unifier l’expérience, sans jamais prendre le dessus totalement. l’utilisation de la pluie, du vent, peut faire beaucoup plus pour le spectateur qu’une forte présence visuelle. Faire parler l’invisible, les ombres, susciter l’émotion avec un minimum visuel, c’est ce qui nous intéressait vraiment.
P.-A. G. – Le vrai objectif de NOIRE, c’était de produire une expérience collective qui soit marquante dans sa forme, sans faire oublier le propos. Finalement, on vit l’histoire ensemble, dans une vraie dynamique physique et une forme de conscience collective qui fait de chaque session un moment unique et différent. Quand on observe le ballet des spectateurs dans l’expérience, on voit le respect et la liberté que chacun s’octroie envers l’autre. On a l’impression de voir physiquement les gens “faire société” comme ils peuvent, face à l’histoire de Claudette.
La suite pour Novaya ?
P.-A. G. – Nous produisons actuellement JEUX, un projet que nous espérons ouvrir pour les Jeux olympiques de Paris 2024. C’est un projet documentaire autour de la place du sport dans l’art, où nous proposons de regarder chaque sportif comme une œuvre d’art en soi, pour renouer le dialogue entre l’art et le sport.
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