Quel lien peut unir l’art et l’innovation technologique ? Comment réinventer la relation en direct entre le public et la création artistique ? Dark Euphoria occupe une place particulière dans la création immersive, avec un focus sur les installations et le spectacle vivant. Décryptage avec son fondateur Mathieu Rozières et sa directrice de production Marie Point. 2/2
- Très engagé sur l’éco-responsabilité dans le secteur culturel, Dark Euphoria propose des installations issues de matériels recyclés (en circuit court, etc.), comme THE SHAPE OF THINGS TO COME exposée à la Fête des Lumières cette année.
- Producteur de contenus immersifs, Dark Euphoria s’intègre plus dans le secteur du spectacle vivant, aussi bien avec des immersions par écran (comme L’ECUME DES JOURS XR) qu’avec des casques, et des dispositifs correspondant aux lieux de culture existants.
Cover: “Souffles”, Vincent Dupont – à la base du spectacle augmenté “No reality now” © Marc Domage
Entre Technologies et Création Numérique
Mathieu Rozières – Aujourd’hui, nous sommes deux producteurs à Dark Euphoria, avec Marie, et une petite équipe agile de 4 personnes avec nous. Ensemble, nous voulons travailler sur des projets plus structurants, qui sont susceptibles d’accompagner la transition écologique de la culture. Et dans une optique toujours très impactante ! Nous faisons d’ailleurs partie des lauréats du dernier programme France 2030 pour les investissements d’avenir (PIA 4) du gouvernement, sur la thématique des “Expériences augmentées du spectacle vivant”. Nous développons avec le studio Small Creative un dispositif ouvert et très flexible pour créer des scènes augmentées dans les théâtres avec comme première œuvre pilote le spectacle danse et VR No reality now de Vincent Dupont et Charles Ayats. L’idée étant d’accélérer sur les spectacles hybrides, en VR ou non. Ce sera une plateforme ouverte, que nous voulons disséminer partout en France – Nos premiers partenaires sont le Lieu Unique à Nantes, le Théâtre Nouvelle Génération à Lyon et le Centre National de la Danse à Pantin

M. R. – Nous voulons proposer des dispositifs qui peuvent avoir un impact réel sur la filière comme la solution de Scène Augmentée que nous développons pour les théâtres avec le soutien de la Caisse des Dépôts. Le PIA nous donne l’opportunité de faire cela concrètement. Cela renforce nos convictions et nous permettra de développer des solutions pour faciliter la création des projets transdisciplinaires; dans la lignée de ceux déjà accompagnés, comme le bal VR participatif DAZZLE (un projet hybride présenté au dernier Venice Immersive), l’installation interactive dont le public produit l’énergie : Positively Charged de Kasia Molga, l’exposition immersive The Land of No Curtains du collectif Lunatics and Poets…
M. R. – On dit souvent que les nouvelles technologies sont censées renouveler les publics. C’est notre combat chez Dark Euphoria, d’aller chercher un public qui n’a jamais eu l’occasion d’expérimenter de telles œuvres. Notamment le jeune public. Et de les emmener vers le théâtre, mais aussi – pourquoi pas – vers l’opéra ! D’ailleurs le terme de réalité virtuelle est d’abord créé par Antonin Artaud en 1938 dans son livre “Le théâtre et son double”. Il y a une filiation qui persiste ; et je crois que les arts performatifs s’inscrivent depuis toujours dans cette idée d’autre réalité que nous recréons. On y ajoute les technologies pour nous inspirer, alimenter notre raison d’être.

Dark Euphoria et la Question des Publics
Marie Point – Au-delà du spectacle vivant, on défend l’idée d’aller vers le public avant tout. Quel que soit, en fait, le projet. Nous ne sommes pas un studio technologique : on accompagne des auteurs, des artistes (en narration ou même sur des questions de production pure comme l’éco-production…) qui imaginent des formats et où notre mission est d’imaginer la meilleure place du public dans ces dispositifs. Et c’est aussi pour cela que nous pouvons facilement imaginer être en partenariat ou coproduction avec d’autres structures qui sont, elles, plus impliquées technologiquement.
M. A. – On veut vraiment libérer l’usage des nouveaux outils numériques, en dehors des espaces dédiés. C’est pour cela qu’on discute avec les lieux culturels déjà établis : théâtre, etc… On croit fermement à cette émancipation des nouvelles écritures auprès d’un plus grand public. Mais cette démarche doit s’accompagner d’une discussion sur les nouveaux métiers aussi. Qui sait ce qu’est un “régisseur XR temps réel” dans un théâtre en France ? C’est une évolution en cours… Côté projet, on s’interroge beaucoup sur les compétences : beaucoup d’artistes que nous accompagnons sont multi-casquettes. Et autodidactes par nature ! C’est très diversifié en réalité, car il faut appréhender la technique et le créatif. Mais cela peut aussi impliquer des artistes ayant chacun leur domaine de compétence : chorégraphes, etc… C’est à nous de les réunir de la meilleure façon possible.

M. A. – C’est aussi dans cette démarche que nous collaborons avec les opérateurs du programme CHIMÈRES du Ministère de la Culture, un programme de résidences artistiques de recherche et de production (lien) porté notamment par le lieu unique (LU), Scène nationale de Nantes et le Théâtre Nouvelle Génération (TNG), Centre dramatique national de Lyon. Ceci nous a permis d’approcher le monde du théâtre avec ces nouvelles questions, mais aussi d’amener les créateurs XR avec des projets concrets à y développer. Il faut aussi considérer que le spectacle vivant a beaucoup moins de moyens que l’audiovisuel, et que le développement d’expériences ambitieuses doit se faire avec des budgets et des critères de faisabilité différents. Et avec des exploitations économiques très éloignées. Il y a encore beaucoup de discussions à avoir sur ces points : on accompagne clairement la mutation d’un secteur culturel.
Asseoir la Légitimité d’une Industrie Créative Auprès des Politiques
M. R. – Par ailleurs, dans mon exploration des ICC, j’ai toujours voulu créer des réseaux, initier des discussions, conserver une vision politique sur notre domaine. J’ai eu des fonctions à Primi puis à la French Tech, ce qui m’a donné l’occasion de créer un événement (Le Grand Bain) autour des industries technologiques et de l’impact, avec l’intention de rapprocher les créateurs, les penseurs, le grand public et les dirigeants politiques. L’avenir de la technologie, ça reste la culture !
M. R. – Développer des expériences immersives LBE ou des installations, comme nous le faisons, c’est choisir la voie la moins simple dans le secteur. Mais ça fait partie de notre ADN d’aller vers de l’expérientiel et du collectif. Et habiter à Marseille n’est pas un hasard dans cette équation, car c’est une ville très vivante, très investie par les arts du spectacle. On peut aussi s’y tromper sans totalement disparaître ! Peu de pression foncière, des écosystèmes portés vers la coopération … Dans cet élan, Dark Euphoria a toujours avancer sans grand schéma, sur des territoires de narration ou des développements technologiques pas à pas. On apprend, et surtout on partage. Pour moi, on produit différemment ici, à notre rythme.

M. A. – Nous travaillons à la fois sur les installations d’art numérique, et avec des artistes, qui interrogent autant le fond que la forme (les processus de fabrication). Mais aussi avec notre deuxième volet spectacle vivant / XR sur des performances scéniques ou expositions utilisant le numérique – ce qui nous permet plus de collaborations, des échanges dans des univers qui commencent à se mélanger. C’est passionnant de pouvoir interagir avec plusieurs industries culturelles, au carrefour de ces énergies créatives. Un de nos projets est exposé dans un musée à Amsterdam, avec un volet très participatif pour les visiteurs. On expose à la Fête des Lumières. On monte un spectacle avec de la XR qui va tourner dans des scènes nationales et des centres chorégraphiques en France. C’est très varié.
M. A. – Dark Euphoria m’a ouvert de nouvelles possibilités, sur un constat simple : les mondes des arts numériques et du spectacle vivant ne se parlaient pas – ou peu. On veut donc contribuer à créer un pont entre ces deux univers, participer à un échange tout en réunissant le meilleur des deux, du financement aux possibilités de diffusion. Par ailleurs, c’est une structure qui réunit des artistes et des projets là-aussi très différents. C’était un gros point de continuer à m’impliquer sur des objets créatifs très éclectiques.

M. R. – Nous nous positionnons volontairement comme un acteur des ICC qui doit être un passeur culturel. Nous organisons des rencontres, des conférences, des discussions sur le lien entre numérique et spectacle vivant. Nous allons proposer à nouveau des échanges au prochain festival d’Avignon sur cette thématique, mais aussi monter de nouvelles résidences au niveau européen. La finalité, pour nous, c’est d’incarner prochainement tout cela dans un lieu physique. A Marseille ou ailleurs, toujours avec une vocation trans-disciplinaire.
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