Avec un double parcours de programmatrice en festivals (notamment le GIFF de Genève et I LOVE TRANSMEDIA) et de productrice, Oriane Hurard a traversé les dix dernières années au cœur des nouvelles écritures jusqu’à remporter en 2018 le Best VR Story Award à la Mostra de Venise pour l’ÎLE DES MORTS – réalisé par Benjamin Nuel et issu de la collection Arte Trips.
Plus récemment, elle a annoncé son arrivée au sein d’Atlas V comme productrice. C’est l’occasion de revenir sur ses dernières productions toujours en festivals, LES PASSAGERS et MEET MORTAZA, tout en évoquant les prochaines sélections d’Atlas V aux rendez-vous de cet été.
LES PASSAGERS, un voyage à plusieurs regards
Oriane Hurard – LES PASSAGERS est un projet de longue haleine puisque sa genèse remonte à novembre 2014 lorsque je programmais la section interactive du festival Tous Ecrans à Genève (devenu depuis le GIFF, ndlr). C’est là-bas que se sont rencontrés Yako, Camille Duvelleroy et Nicolas Peufaillit, où ils ont testé pour la première fois des projets en réalité virtuelle – notamment le projet THE DOGHOUSE de Makropol, qui proposait un dîner virtuel (en vidéo via Samsung Gear) où chaque spectateur vivait une expérience différente. L’inspiration est venue de leur passion pour le voyage – avant de partir à Montréal, yako a grandi à Clermont-Ferrand, Camille vit entre Toulouse et Paris… Très tôt est venue l’idée de pouvoir proposer un voyage virtuel en train, ce qui est au final un imaginaire très européen, avec plusieurs points de vue.
O. H. – Le projet a ensuite fortement évolué, que ce soit sur le dispositif en lui-même, même si le concept est resté centré sur l’idée du voyage, de rencontres et de voix intérieures. L’apport d’une coproduction entre la France et le Québec nous a permis de rencontrer Ziad Touma de Couzin Films qui est devenu le coproducteur et le réalisateur de l’expérience. C’est finalement un projet qui m’a suivi de 2015 à 2020, de mon arrivée au sein de la société de production les Produits Frais jusqu’à mon départ en février dernier ! Entre temps j’ai produit deux projets avec Benjamin Nuel (HERITAGE et L’ÎLE DES MORTS), MEET MORTAZA avec Joséphine Derobe – Et au final tous ces projets se sont nourris les uns des autres.
O. H. – Là où LES PASSAGERS a évolué, c’est sur le parti-pris visuel et la technologie. Au départ tout devait être en prise de vue réelle, puis le projet a évolué en animation 3D avec de la motion capture, des scans 3D. Finalement, nous avons conservé certaines images live, pour les séquences de flashbacks des personnages. Nous avons trouvé un équilibre, assumé, entre différentes techniques, pour renforcer les points de vue des personnages – avec un vrai travail autour du “gaze” de chacun. S’y sont ajoutées des couches d’interactivité, différentes selon les personnages (le regard, la voix, par les mains avec du Leap Motion…). En réalité c’est un projet avec des branches narratives différentes selon la réaction du spectateur-rice ; pour chaque chapitre de 10 minutes, on a quasiment le triple en voix-off !
O. H. – La version en ligne des PASSAGERS propose les 4 chapitres, soit près de 40 minutes d’expérience VR – si elle n’est malheureusement pas une expérience multi-joueurs, vous pourrez choisir dans quel ordre découvrir chaque segment. Avoir une version à plusieurs joueurs, au-delà des questions de coût, n’était pas pertinente au regard de l’aspect très intime de l’histoire. A l’origine nous envisagions de proposer cette expérience dans des lieux publics : les gares, les musées, les trains. Et le Covid nous a poussé à revoir toute la stratégie de distribution, avec certains festivals comme NewImages où nous avons pu proposer l’installation LBE des deux premiers chapitres, d’autres en ligne comme SXSW ou Tribeca.
MEET MORTAZA, une autre odyssée introspective
O. H. – C’est très troublant de voir que toutes mes productions comportent des notions de transport, de voyage. Ce sont tous des auteurs différents, avec des histoires autonomes, des propositions différentes, très singulières. A ça j’apporte mon regard, mes échanges, mais c’est plus une coïncidence qu’autre chose. Pour MEET MORTAZA, la rencontre avec Joséphine Derobe s’est faite alors qu’elle avait déjà un pilote et qu’elle recherchait une société de production. Très rapidement nous avons pu partir à la Venice Biennale College Cinema VR (en 2018), ce qui nous a beaucoup aidées. Être en résidence – ici comme à l’Atelier Grand Nord ou aux Storygraphes en France par exemple, que j’ai pu expérimenter sur d’autres projets – ça a permis de construire notre relation auteur-producteur, et nous a permis d’avancer très vite, d’alimenter notre binôme et de rencontrer d’autres équipes au même stade de développement.
O. H. – Pour Joséphine, qui est stéréographe de formation, la réalité virtuelle s’exprime avant tout par des questions de distance et de proximité avec les objets. C’est quelque chose qui est très prégnant et qui, aujourd’hui, est évident sur toutes les expériences en temps réel qu’on fait. Mais sur la vidéo 360, sur un budget de documentaire hyper réduit, un tournage sans possibilité de repérage, le défi était important. Notamment sur des frontières entre plusieurs pays (Turquie, Grèce, Italie…), ou des lieux comme des bus en mouvement. On a choisi de tourner avec une caméra hybride créée par des espagnols, la Kataclak (lien) avec l’aide de Sergio Ochoa à la direction technique et chef opérateur, qui nous permettait de travailler en équipe réduite sur un format documentaire. Finalement, on n’a gardé qu’un seul plan en GoPro, issu du pilote. Si au final le tournage a été enrichissant par bien des aspects, aujourd’hui produire de la vidéo stéréo 360 d’une durée de 13 minutes, avec ce budget, c’est aussi un challenge que je ne suis pas sûre de vouloir reproduire !
Décoder la XR: MEET MORTAZA avec Josephine Derobe
LET GO et EMPEREUR, deux projets à suivre
O. H. – Depuis mon arrivée chez Atlas V début 2021 j’interviens sur des projets déjà lancés, dont MISSING PICTURES dont le 2e chapitre (produit avec Serendipity Films à Taïwan) sera présenté à Tribeca, et qui sera suivi par quatre autres épisodes d’ici à la fin de l’année. Ensuite, j’ai amené avec moi EMPEREUR et LET GO, précédemment initiés aux Produits Frais.
O. H. – La VR permet de mixer les formats. Je développe aujourd’hui LET GO qui possède une base documentaire mais qui peut aussi relever du champ de l’animation. Idem pour EMPEREUR de Marion Burger et Ilan Cohen qui raconte la propre histoire de Marion, celle de son père devenu aphasique après un AVC voici 12 ans. C’est une expérience autour de la parole, du lien père-fille. On travaille sur un projet immersif en animation très minimaliste, en noir et blanc et nous pitcherons le projet au MIFA à Annecy cette année.
O. H. – Quant à LET GO, c’est un projet qui explore les différents rituels funéraires à travers le monde. Dans le premier épisode, le réalisateur Michael Beets a choisi de travailler sur le rituel japonais – pays dont une partie de sa famille est originaire. Là-aussi on part d’une interrogation très personnelle pour aller vers quelque chose de plus universel, autour des souvenirs. Et toujours avec de l’animation, sous Unity et avec Quill, pour un résultat à la limite du documentaire, voire de l’autofiction. De plus en plus les projets immersifs sont hybrides ! Dans les dossiers de demande d’aide “nouveaux médias” on nous demande de cocher fiction, documentaire ou animation. Mais bien souvent, un projet pourrait cocher les trois.
Savoir naviguer dans les coproductions internationales
O. H. – Aujourd’hui sur ce type de projets, les coproductions internationales sont devenues indispensables. En France on a évidemment la chance d’avoir le CNC, des régions mais ce sont des soutiens publics auxquels il faut forcément ajouter une part d’argent privé. Sauf qu’aujourd’hui France Télévisions et Arte ne peuvent pas soutenir l’intégralité de la production française – Ils n’investissent que dans quelques projets par an. C’est là qu’on a besoin de l’international pour boucler nos financements – notamment dès que les budgets dépassent 300 000 – 400 000 euros.
O. H. – Il y a quelques pays avec qui la coproduction semble évidente, comme les pays francophones, le Luxembourg, le Canada. Et puis Taïwan avec l’agence TAICCA qui a lancé une politique très incitative pour les coproductions internationales – et avec qui nous travaillons chez Atlas V sur le prochain chapitre de MISSING PICTURES: TSAI MING-LIANG. D’autres pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Australie notamment peuvent aussi accueillir des projets XR. Au-delà des financements complémentaires, cela permet aussi d’enrichir les projets avec d’autres visions, d’autres talents. EN contrepartie, se pose la question des dépenses locales, ce qui peut vite devenir compliqué si cela n’a pas bien été pensé en amont. On peut certes imaginer les concept arts, character design dans un studio, la modélisation dans un autre, l’animation ailleurs, l’export ailleurs… mais ça reste toujours plus difficile de multiplier les interlocuteurs et les studios sur un même projet.
MISSING PICTURES (épisode 2) et LES PASSAGERS seront à Tribeca Immersive fin juin.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.