La société de production belge Be Revolution Pictures présente en double première mondiale aux festivals de Tribeca et New Images 2021 JAILBIRDS, un film d’animation en réalité virtuelle réalisé par Thomas Villepoux. Cette production belge adaptée d’une nouvelle en bande dessinée issue du magazine culte Fluide Glacial est co-produite en France par le studio français pionnier de la narration XR Digital Rise (MECHANICAL SOULS).
Entretien avec son réalisateur Thomas Villepoux, et le producteur François Klein.
JAILBIRDS, transposer l’univers Fluide Glaciale en réalité virtuel
Thomas Villepoux – JAILBIRDS est un projet qui a mis plusieurs années à éclore. A l’origine il s’agit de l’adaption de “Paulot s’évade”, une nouvelle de Philippe Foerster publiée dans Fluide Glacial (et disponible dans l’intégrale “Certains l’aiment noir”, ndlr). Fluide Glacial, c’est toute mon adolescence et j’en ai un souvenir très vif. Foerster parvenait en 6 pages seulement à tout intégrer ; le concept, la symbolique, plusieurs degrés de lecture (du plus concret au plus symbolique : la liberté, la magie, l’enfermement…). Quand on a imaginé le projet, on a contacté Fluide Glacial avec qui la collaboration s’est faite très naturellement. En 2016 Olivier Sulpice (Bamboo) a racheté le magazine, par passion avant tout, pour le relancer. Son approche vers les nouveaux médias a été très enthousiaste, et il nous a énormément soutenus. Ce qui donne envie de continuer à travailler avec eux ! Beaucoup de leurs histoires sont universelles.
T. V. – Si Digital Rise a initié le projet en France, c’est notre rencontre (à Stereopsia 2016) avec Be Revolution, société de production belge qui a accéléré le projet. La majorité du financement est d’ailleurs belge, notamment avec Creative Wallonia. Ensuite, nous avons reçu le prix du meilleur projet immersif au festival Courant 3D. Nous sommes alors soutenus par le Pôle Magelis en Charente et pour finir, le CNC en production. A Angoulême on a collaboré avec G4F pour le son, et le compositeur Cyrille Marchesseau (PAPER BIRDS, GLOOMY EYES) pour la musique.
Allier le fond et la forme d’un film d’animation 6DOF
Thomas Villepoux – Ce format court me fascine quand c’est aussi réussi. Quand nous commençons à travailler ensemble dans la VR avec François, l’histoire m’est revenue en tête, et m’a semblé être une métaphore parfaite concernant notre travail. Qu’il s’agisse des points de vue choisis, de la physicalité de l’histoire, etc. L’immersion, c’est avant tout de l’émotion en direct, notre cerveau qui réagit. Il fallait imaginer la bonne démarche pour le support.
François Klein – La XR est par essence un art hybride puisqu’on emprunte des codes dramaturgiques issus du cinéma, dans une mise en scène inspirée du théâtre avec des technologies issues du jeu vidéo. Donc on garde une approche très ouverte quant à nos créations. Ce qui est frustrant aujourd’hui c’est la course en avant technologique au détriment des acquis artistiques à explorer. Avec JAILBIRDS, on s’est concentré sur l’histoire avant tout, et l’interactivité, liée au regard, est invisible pour le spectateur.
T. V. – A partir du moment où nous avions le scénario, le plus complexe – et ce qui explique la durée de développement de plus de 5 ans – a été de trouver la forme qu’on voulait lui donner. Au début, on avait même envisagé une adaptation live, avec de la photogrammétrie, des mix visuels qui rendraient hommage à la bande dessinée et son style particulier avec son noir et blanc, son style en aplats très franco-belge. Un mélange d’Astérix pour les personnages et de quelque chose de plus sombre et brut pour les décors. Mais finalement on s’est rendu compte que c’était difficilement transposable en VR : il fallait lui donner plus de volume, donner de la profondeur visuelle à l’ensemble. Évidemment, ensuite, on a travaillé sur l’aspect free-roaming, sur la limitation d’action du spectateur, sur les questions d’échelle et de point de vue. En VR on a tendance à oublier la réalisation. Une des expériences qui m’a marqué ces dernières années est BATTLESCAR où la patte des réalisateurs est magnifique, foisonnante. AGE OF SAIL, un des Google Spotlight, est également à remarquer quand on parle de réalisation. Le film fonctionne aussi bien sur le rapport aux personnages que sur l’environnement
F. K. – Si le scénario a été rapidement assez clair, le développement technologique a été plus long. On a fait 2 prototypes pour tester différents points de vue. Ensuite d’autres productions, notamment pour DVgroup, nous ont pas mal occupés : ALICE THE VIRTUAL REALITY PLAY, THE REAL THING, BEING AN ASTRONAUT… L’avantage de travailler avec Thomas, c’est sa vision claire des choses. Que ce soit visuellement, ou en montage, on savait où on allait. Toutes ces étapes de développement ont été un avantage pour définir le bon moment d’entrer en production.
T. V. – En 2016 l’écriture immersive n’était pas encore aussi aboutie qu’aujourd’hui. La question du montage était plus délicate à l’époque, on se méfiait des coupes, des changements de plan. Un projet l’a fait – peut-être trop : THE GREAT C, avec des “cuts” très cinématographiques au final. Ma mise en scène bénéficie de l’expérience de ces dernières années où on a appris à vraiment monter les films VR. On a testé beaucoup de choses sur ce point avec nos prototypes.
Concevoir des personnages 1:1
T. V. – Dans JAILBIRDS les personnages sont très incarnés, proche de toi. On voulait jouer avec la zone de confort du spectateur – autour du rapport physique, de la masse des personnages (en 1:1). Je voulais absolument éviter l’effet “uncanny valley” (l’absence d’empathie pour des personnages trop artificiels, ndlr) en jouant trop sur la réalisme des personnages. Après tout, on est dans un univers de bande dessinée, de conte fantastique ! Notre choix a été d’assumer un style visuel très affirmé, autour de la mocap pour conserver le réalisme des mouvements, des gestes. Visuellement on a adopté un style crayonné grâce à un shader et des textures très BD, dans un mix où les volumes réagissent à la lumière. C’est un choix difficile de jouer la carte du réalisme en VR, à cause d’un effet “vidéo” souvent qui nous sort de l’expérience.
T. V. – Sur le rendu visuel, le studio belge qui a travaillé sur le film a fait un excellent boulot. On a eu un super résultat côté motion capture, et le design ajouté par dessus joue sur cette notion d’animation, de cartoon. Il faut aussi saluer le travail de nos trois comédiens, qu’on souhaitait absolument bilingues franco-anglais ; Thomas Lemarquis (le film Snowpiercer, X-Men : Apocalypse, Blade Runner 2049), Barry Johnson (les jeux vidéos Black Sad, Detroit become human…) et Elliot Delage. On peut remercier Sarah Kinga Smith, productrice américaine (Reverse Engineering Studios) qui nous a beaucoup aidé côté casting sur JAILBIRDS. Il fallait des acteurs capables d’incarner l’étrange, de jouer sur ça. C’est un vrai plaisir pour un réalisateur traditionnel comme moi de retrouver des comédiens aussi talentueux en plateau.
François Klein – Le casting de JAILBIRDS vient d’horizons différents, cinéma et jeu vidéo, ça nous a aussi été utile. Certains étaient déjà habitués à tourner pour le virtuel, d’autres non. L’échange d’expérience a bénéficié à la qualité du jeu.
Covid et JAILBIRDS – Produire à distance
F. K. – Côté production, on a mis 5 ans à réaliser JAILBIRDS – incluant une année Covid. Il fallait qu’on reste dans les critères des aides reçues, notamment concernant les deadlines de livraison ! C’est compliqué de gérer une équipe à distance – hormis la mocap avec les comédiens en direct en studio. On avait mis en place des process très efficaces pour avancer rapidement. Même si le film parle lui-même de confinement, en quelque sorte… Le plus frustrant reste le volet musical, sonore du film où il est difficile de réellement se rendre compte des choses sans être dans le même studio avec le compositeur. Sur le son, notre travail avec G4F a été particulièrement plaisant car ils sont habitués aux ambiances de jeu vidéo – une vraie plus value pour la VR, pour accompagner les émotions, gérer les montées en tension.
F. K. – Il nous reste désormais à boucler le budget pour les 2 épisodes suivants, ce que nous espérons réaliser cet été. On a la chance avec JAILBIRDS de proposer un financement raisonnable. Qui plus est, les scénarios sont déjà là. Premier arrêt, le XR Financing Market de NewImages 2021.
T. V. – On veut aussi décliner JAILBIRDS en plusieurs formats ; ici la 6DOF, puis la 3DOF, mais aussi un court métrage traditionnel basé sur un moteur temps réel. On reste focalisé sur les univers narratifs, peu importe les supports. Digital Rise se veut être le véhicule où déployer nos histoires. Les modèles 3D existent, désormais on sait que nous pouvons les utiliser pour différents publics, différents usages. Le teaser de JAILBIRDS le prouve ; un de ses mouvements de caméra n’existe pas dans le film.
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