Rare projet français en lice au Venice Gap-Financing Market (aux côtés de la coproduction internationale IMPULSE: PLAYING WITH REALITY) cette année, LE SABOTEUR BLANC de Barthelemy Antoine-Loeff et Hugo Arcier est une installation immersive traitant de la disparition des glaces… et des environnements numériques. Un sujet très à la mode qui a la particularité de proposer une interactivité dans le casque, mais aussi en dehors.
Comment a t-il démarré, l’arrivée de collaborateur, producteur et coproducteur etc?
Barthelemy Antoine-Loeff (artiste plasticien numérique) et Pierre-Arthur Goulet (producteur audiovisuel) sont amis depuis une première collaboration en 2003 dans le cadre d’un projet artistique entre Paris et Berlin. Plusieurs collaborations suivront, notamment sur une installation numérique immersive pour la maison Boucheron en 2011 (voir lien).
Pierre-Arthur découvre la XR en 2017 en produisant l’expérience DOCTOR WHO: THE RUNAWAY de Mathias Chelebourg avec Passion Pictures pour la BBC (sélectionnée à Tribeca en 2019, nommée aux Emmy Awards en 2020), tandis que Barthélemy oriente sa carrière de plasticien numérique vers les problématiques du changement climatique et du Grand Nord, avec des expositions en France (Le Cube, Biennale Chronique, Biennale Nemo, Gaieté Lyrique…) et dans le monde (Suisse, Chine, USA…).
L’appel à projet du Biennale College XR en septembre 2022 est l’occasion pour Barthélemy et Pierre-Arthur de plancher sur une proposition qui croisent leurs champs d’intérêt respectifs. Après avoir expérimenté ensemble une récente œuvre VR réalisée par Hugo Arcier, EDEN (coréalisation Cyril Teste, production N°130), et connaissant son travail d’artiste visuel reconnu (Hugo est nommé Chevalier des Arts et des Lettres en 2016), lui proposer de collaborer au projet s’impose comme une évidence. Barthélemy connaissant Hugo depuis plusieurs années – ils ont exposé dans les mêmes expositions d’arts numériques – il l’appelle, lui présente Pierre-Arthur et le projet LE SABOTEUR BLANC : le match est instantané. Barthelemy propose ensuite d‘inviter l’une de ses amies la glaciologue Heidi Sevestre (médaille Shackleton en 2023 pour la protection des régions polaires), à rejoindre le projet. Elle accepte : le concept est posé, l’équipe est constituée.
Le dossier est soumis et retenu pour le Biennale College XR fin 2022, permettant aux deux artistes et leur producteur d’être invités à Venise en janvier 2023 pour une semaine de workshop. L’expérience est enthousiasmante. Animée par Michel Reilhac, épaulé par des tuteurs expérimentés, cette session est l’occasion d’échanger avec des porteurs de projet venus du monde entier. LE SABOTEUR BLANC ne sera pas lauréat, mais la motivation de l’équipe est alors plus forte que jamais pour mener à bien le projet.
L’équipe s’enrichit par la suite de l’artiste sonore Olivier Girouard (artiste québécois travaillant sur le Grand Nord), renforçant une volonté déjà existante de coproduire le projet avec le Canada.
Quelle est l’intention du projet ?
LE SABOTEUR BLANC est une expérience sensible de la disparition d’un environnement extraordinaire, celui de la banquise, et du remplacement de sa réalité physique telle que nous la connaissons par une réalité numérique avec laquelle nous vivons tous désormais. Le projet est le résultat de la collaboration entre deux artistes qui mélangent ici leurs expériences formelles et sensibles dans une œuvre d’art singulière. Les créations 3D d’Hugo Arcier, mêlant représentations de la nature et formalisme digital, se combinent à l’approche poétique et politique des œuvres plastiques de Barthélemy Antoine-Loeff.
LE SABOTEUR BLANC prend place dans un paysage blanc, un monde fait de glace teinté d’une présence digitale. En passant un casque VR sur sa tête, l’utilisateur a le privilège de pénétrer un univers autonome et persistant, peuplé d’icebergs et de phénomènes climatiques. Le monde qu’il découvre est à peu de chose près dans l’état dans lequel le précédent spectateur l’a laissé. Par sa présence et son regard, le monde que l’utilisateur voit subit une dégradation visible de l’intérieur par lui-même, et de l’extérieur par d’autres spectateurs via un transfert de données vers un écran. Au-delà de cette présence humaine contaminante, l’écosystème glaciaire a un pouvoir de régénération digital (qui produit ses effets lorsque le spectateur lui tourne le dos), marqué par un glissement subtil du réel vers le digital et vice-versa.
L’expérience LE SABOTEUR BLANC n’a ni début ni fin. Pour l’utilisateur, l’expérience VR commence lorsqu’il enfile le casque VR pour entrer dans l’univers autonome et se termine lorsqu’il retire le casque. En tant que monde persistant, le spectateur suivant découvrira ce monde dans un état presque exactement identique à celui dans lequel l’utilisateur précédent l’a laissé… Via une expérience poétique et sensible de la dégradation de la banquise, le projet porte des intentions de sensibilisation à la problématique de la disparition du permafrost qu’entraîne le réchauffement climatique. Un relais médiatique, notamment via les réseaux sociaux, viendra concrétiser ces intentions. Dans cette optique, la participation de la glaciologue Heidi Sevestre est fondamentale car le projet se doit être ancré dans une réalité scientifique. Pour autant, il s’agit d’une œuvre artistique embrassant les réalités numériques d’aujourd’hui dont l’objectif est davantage de questionner la complexité du monde actuel que d’apporter des réponses ou d’indiquer une marche à suivre.
Comment s’est fait le choix technologique sur ce projet ?
L’œuvre se situe dans la champ de l’installation artistique visant à être programmée dans des lieux d’exposition. Elle est présentée comme un diptyque composé d’une expérience VR et d’un grand écran reliés entre eux. D’une part, l’expérience VR est accessible à l’intérieur d’une zone construite, grâce à un casque VR haut de gamme relié à un PC. D’autre part, l’écran est accessible à l’utilisateur avant et après l’expérience de VR, et à tous les visiteurs pendant l’exposition. Dans le casque, l’utilisateur peut expérimenter, de manière sensible, la vision d’un environnement polaire et interagir avec ce paysage par le regard. Le simple fait de le regarder enlève des parties sphériques de la glace, remodèle l’environnement et modifie le paysage.
Sur l’écran, on peut voir, en temps réel, une représentation de la partie enlevée. Il s’agit d’une vue très numérique et synthétique de sphères 3D qui apparaissent et grandissent, en fonction de ce qui a été retiré par l’utilisateur dans le casque. Il y a un transfert de matière de la VR à l’écran, de la réalité virtuelle vers une autre couche purement digitale, et inversement.
Le choix de l’installation comme dispositif de diffusion s’est imposé comme une évidence car il s’inscrit dans la démarche de deux artistes plasticiens ayant l’habitude d’exposer leur travaux dans des expositions. De plus, les dimensions expérimentale et politique du projet apparaissent peu compatibles avec les orientations d’avantage commerciales de dispositifs tels que les LBE ou les plateformes. La question d’un monde accessible en ligne à la manière d’un métavers (via VRChat ou VRoom par exemple) s’est posée, mais a été vite écartée pour des questions de performance technologique, de rendu artistique et de stabilité technique.
Après réflexion, la décision a également été prise de ne pas proposer une expérience multi-user (“visiter le Grand Nord doit être une expérience de la solitude”), ou de permettre à des utilisateurs d’accéder à distance à l’oeuvre, notamment pour des questions d’impact carbone.
Retour sur sa participation à la Biennale College
Le projet fait partie de la sélection 2023 du Biennale College XR de la Mostra de Venise, ce qui nous a permis d’affiner l’écriture et le concept avec des mentors expérimentés du milieu de la XR. Tous ces retours, venant de personnes aux parcours très différents, ont nourri le projet et nous ont permis aussi de confirmer nos intentions et définir comment atteindre ces objectifs de la façon la plus optimale. Par exemple, la décision de présenter le projet sous la forme d’un diptyque et pas seulement d’un projet VR est le résultat de la réflexion menée lors du workshop de janvier 2023.
Dans le cadre du Biennale College, le scope contraint nous a d’abord stimulé puisque nous étions parvenus à être en mesure de produire une œuvre intéressante à nos yeux dans la budget (70k€) et les délais impartis (3,5 mois de production). Mais les nombreuses discussions inspirantes que nous avons eu là-bas entre nous, avec les tuteurs et les créateurs présents, nous ont convaincu qu’il fallait prendre le temps de monter le projet, d’y associer des partenaires et des coproducteurs, afin de lui donner une ampleur et une visibilité maximale.
Dans cette optique, le privilège que nous avons, de par notre participation au Biennale College XR, de voir notre œuvre intégrée au Venice Production Bridge et automatiquement présentée dans le prestigieux cadre de la sélection immersive de la Mostra de Venise lorsqu’elle sera produite constitue un vrai booster.
Enfin, le fait de participer au Venice Production Bridge va nous permettre de présenter un projet mûr, de le consolider grâce aux retours que nous y gagnerons et de l’enrichir par les rencontres que nous aurons l’occasion de faire. Nous espérons que les magnifiques premières images 3D issues des photoscans de Heidi Sevestre produit par Hugo Arcier pour l’occasion vont nous permettre d’embarquer dans l’aventure des partenaires motivés qui s’engageront avec nous dans le financement et la diffusion de l’experience LE SABOTEUR BLANC !
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