Découvert fin 2023 au gré d’une répresentation parisienne, No reality now est un spectacle de danse hybride mêlant performance en direct et casques de réalité virtuelle. Le chorégraphe et danseur Vincent Dupont y adapte Souffles, une de ses précédentes oeuvres, en compagnie du réalisateur et expérience designer Charles Ayats pour une proposition tournée vers le public. Retour sur la genèse de No reality now.
NO REALITY NOW a été joué précédemment :
- 19, 20 et 21 Janvier 2024 / Le Lieu Unique (Nantes) (dans le cadre du Festival Trajectoires)
- Décembre 2023 / Centre national de la danse
- Novembre 2023 / Centre des Arts, Enghien-les-Bains (dans le cadre de Némo – Biennale internationale des arts numérique)
- Novembre 2023 / Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône (dans le cadre du Festival Transdanse)
- Septembre 2023 / La Biennale de Lyon 2023
- Juin 2023 / Centre des Arts, Enghien-les-Bains (Avant-Première)
Le spectacle vivant et les nouvelles technologies
Vincent Dupont – Tout nouvel outil, qu’il soit numérique ou non, à partir du moment où il est suffisamment fiable pour être utilisé sur un plateau peut être saisi par des artistes pour construire leur “objet”. Je pense notamment à l’arrivée des consoles son numériques ainsi qu’aux projecteurs et vidéoprojecteurs, et comment cela a transformé nos habitudes de travail et révélé certaines propositions. Je pense aussi aux capteurs sur les danseurs qui permettent de relier leurs mouvements au son ou à la lumière, comme je l’avais fait en 2007 pour la création d’Incantus.
V. D. – J’ai découvert la réalité virtuelle il y a cinq ans environ, d’abord au travers de jeux vidéo. J’ai été saisi par différentes sensations physiques, de vertige, de rapport au poids et de notions d’apesanteur. De plus, quand nous avons commencé à faire des tests de motion capture avec les danseurs, j’ai découvert que j’étais capable, au travers d’un avatar, de reconnaître l’interprète dans la singularité de son mouvement. La possibilité de regarder ce mouvement depuis différents axes et plus ou moins proche, m’a définitivement convaincu qu’il y avait des choses à faire avec cet outil.
Vincent Dupont / Charles Ayats, une collaboration
Charles Ayats – Notre collaboration a débuté dans le cadre du dispositif CHIMÈRES initié par le Ministère de la Culture, nous avons participé à la 1ère édition en juin 2018 ; cette résidence rassemblait des profils variés : metteuse en scène, romancière, game designer, designer, scénographe, chorégraphe, etc… Des exercices d’idéation en équipe nous ont fait sympathiser.
C. A. – Un des angles de cette résidence était d’imaginer des scénographies immersives multi-spectateurs, ce qui était complexe puisque les dispositifs de réalité virtuelle sont assez capricieux lorsque le nombre de participants augmentent. Toujours est-il qu’un premier concept de déambulation “roomscale” dénommé “Virtuelles réalités” a pris forme et séduit le jury. Nous avons fait ensuite plusieurs résidences d’écriture pour affiner la proposition.
No reality now est une expérience qui allie danse au plateau et réalité virtuelle. Elle nous invite dans un au-delà ― inaccessible, insondable, inintelligible, comme la mort qu’elle s’aventure justement à mettre en scène. Sur la scène, une veillée funèbre est surprise par l’orage. La pluie s’intensifie, la lumière vacille. Et soudain, l’image apparaît. Vous ne rêvez pas : votre casque de réalité virtuelle vous invite à vivre une expérience parallèle… Alors que vous vous visualisez assis·e au même endroit, la copie virtuelle de la scène se distord et prend ses libertés, proposant une double lecture de la pièce. Commence alors, dans ces aller-retours, un dialogue entre ces deux visions, tel un diptyque ou une confrontation, qui élargit leurs propres champs de résonance.
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V. D. – Ce fut une résidence très ouverte qui a permis assez simplement l’échange, les rencontres et le désir de tenter des collaborations. Nous avons eu très tôt l’idée d’une confrontation de la réalité virtuelle avec le spectacle vivant, comme un état des lieux des possibilités actuelles. Le projet a eu la chance d’être soutenu et nous avons continué notre recherche.
NO REALITY NOW, une performance en direct
V. D. – Assez vite, dès les premières “motion capture” avec les danseurs, nous nous sommes rendus compte d’une chose qui allait profondément définir le projet No reality now; si nous voulions que cette captation soit jouée en direct, de façon stable il nous faudrait installer en plus des bornes wi-fi, des caméras sur le plateau. Hors nous voulions que l’espace du spectacle vivant reste le même pour engager cette confrontation. Nous avons donc décidé de partir d’un enregistrement des danseurs en 3D et de le synchroniser avec les danseurs sur le plateau. Ce subterfuge nous permet aussi d’avoir une meilleure qualité d’animation des avatars dans les jumelles VR.
Concevoir un spectacle hybride
C. A. – Le monde virtuel créé devait se nourrir du réel pour que cela provoque une dissonance cognitive entre différentes strates de réalité. Il était assez clair que les volumes resteraient à l’identique ; tout du moins pendant la première moitié de spectacle.
C. A. – Ensuite, tout a débuté de façon très instinctive, en brainstormant sur nos envies, par rapport à ce que le spectacle initial Souffles nous inspirait. Les résidences d’écriture nous ont permis de tester des petits prototypes puis de garder ou non certaines idées. Les limitations techniques des casques VR, exploités en multi-utilisateurs, ont assez vite restreint nos desideratas.
C. A. – Il y a toujours cette balance à faire entre envie et limitation technique, temporelle ou financière. Sur l’intention artistique globale, je ne pense pas que ce soit l’ajout du virtuel qui implique une notion de “surcharge”. Un spectacle de danse “classique” peut être plutôt épuré ou plutôt dense.
C. A. – Notre dispositif offre une “double vision” qui laisse le choix au spectateur de butiner l’une ou l’autre. Il semblerait que les publics moins habitués aux spectacles classiques théatre/danse soient plus à l’aise avec cette proposition de navigation entre ces deux mondes.
Une proposition XR à 100 spectateurs
V. D. – Pour l’instant la jauge est de cent spectateurs, modulable à la marge.
C. A. – Implicitement, les intentions de la résidence Chimère étaient de faire croiser les arts numériques avec le spectacle vivant pour faire émerger des formats dont, idéalement, la jauge offrirait des facilités de diffusion.
Une production VR éco-responsable ?
C. A. – Assez rapidement nous avons pensé à cette idée de lorgnette VR (longue poignée + casque VR) comme des jumelles au théâtre, car nous souhaitions une circulation entre les différentes strates de réalité ; laisser la place au spectateur de choisir, à son rythme, là où il pose le regard afin de composer avec sa temporalité personnelle.
C. A. – Nous avons débuté sur des Quest 1, puis 2, mais les changements de lumière du spectacle au plateau perturbaient trop les trackers des casques. Ajouté à cela, le hardware/software fermé de Meta, cela devenait compliqué de gérer toute une flotte. La solution cardboard + téléphone android nous semblait pertinente pour faciliter l’intendance tout en diminuant le coût global. Nous avons d’ailleurs pu acheter une flotte de téléphone d’occasion pour réduire, au moins symboliquement, notre empreinte carbone. La poignée en bois et son accroche ont été faites dans un fablab.
La réalité mixte, un choix encore balbutiant
C. A. – Le projet a débuté fin 2018, autant dire que la réalité mixte était encore plus balbutiante qu’elle ne l’est aujourd’hui en 2023. Des interactions publics/danseurs ont été envisagées pendant la conception mais l’impossibilité d’être en mocap live robuste pendant 45mn nous a contraint de les délaisser.
Prochaine(s) étape(s)
V. D. – La création a eu lieu dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon. Puis nous avons joué lors du festival Transdanse à Chalon-sur-Saône. Et nous venons de proposer plusieurs représentations au Centre des arts d’Enghien-les-Bains puis au Centre national de la danse de Pantin en collaboration avec la Biennale Némo. Les prochaines représentations auront lieu les 19 et 20 janvier 2024 au Lieu Unique de Nantes dans le cadre du Festival Trajectoires. D’autres dates sont prévues sur la saison 2024/2025.
https://www.dark-euphoria.com/projets/no-reality-now
https://vincentdupont.org/portfolios/no-reality-now/
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