Si l’accessibilité, inscrite dans la loi française, est l’affaire de tous, qu’en est-il dans le monde de la XR?
Embrasser les thématiques de l’accessibilité et inclusion conduit à mettre en lumière de très nombreuses problématiques, tant le sujet est vaste. De la réflexion stratégique, définition du concept à la diffusion d’une œuvre XR en passant par le choix technologique, ce sont autant de sujets que nous pouvons envisager par les prismes de l’accessibilité et l’inclusion.
Aujourd’hui, la réalité augmentée ou virtuelle a investi de très nombreux champs de la société. La médecine et plus généralement la santé font partie de ceux-là. Depuis 2020, il a même été créé une chaire Bloc OPératoire Augmenté (BOPA) au sein de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP). Portée par l’AP-HP, l’institut Mines-Telecom et l’Université Paris-Saclay, cette chaire vise à augmenter, transformer les capacités humaines en utilisant des technologies vieilles de plusieurs décennies pour les mettre au service de l’humain. Outre la formation médicale, ces avancées technologiques ont aussi pour vocation de permettre la rééducation des patients et de les rendre plus autonomes.
Une même technologie peut donc être mise au service de créations artistiques ou scientifiques. Un même outil, des savoirs faire communs mais des objectifs différents. Rien à voir ? Et pourtant.
Lors de la dernière édition du Festival NewImages au Forum des Images qui a eu lieu du 24 au 28 avril 2024, nous avons pu découvrir ou redécouvrir des oeuvres mettant en scène des victimes de harcèlement scolaire, racisme, génocide, une personne atteinte d’aphasie suite à un accident vasculaire cérébral. De même, des expériences VR étaient présentées cet été au Club France des Jeux Olympiques et Paralympiques, permettant au public de s’essayer à la course en fauteuil, par exemple. Des circonstances pouvant mettre la personne, qui en est victime, en situation de handicap temporaire ou permanent.
Si la situation de handicap peut être l’objet d’une narration et permettre la sensibilisation, peut-elle être l’objet d’une réflexion pour rendre les mêmes œuvres accessibles ? L’immersif peut-il être un vecteur d’inclusion ?
Rappel sémantique
Rappelons que 80% des situations de handicap sont invisibles. Une personne dite “valide” peut être transitoirement mise en situation de handicap quand elle fait face à un environnement qui ne lui permet pas d’exercer ses capacités ou de répondre à ses besoins.
Faisons une pause sur la notion du handicap qui fait l’objet d’une définition par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2015) : « Le handicap n’est pas simplement un problème de santé. Il s’agit d’un phénomène complexe qui découle de l’interaction entre les caractéristiques corporelles d’une personne et les caractéristiques de la société où elle vit. Pour surmonter les difficultés auxquelles les personnes handicapées sont confrontées, des interventions destinées à lever les obstacles environnementaux et sociaux sont nécessaires. ». L’OMS a donc introduit, au-delà de l’aspect médical, une dimension sociétale. Notons qu’une personne sur six dans le monde est atteinte d’un handicap important. Et parce que les chiffres parlent parfois plus que les mots (ou les maux), il est 15 fois plus difficile pour une personne en situation de handicap que les autres d’accéder à des transports.
De son côté, en droit français, l’article 2 de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances précise que « constitue un handicap (…) toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
L’article 41 de cette même loi stipule que l’accessibilité est due « à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique ».
De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque la notion d’accessibilité ?
Revenons aux sources et donc au dictionnaire. Le Robert définit l’accessibilité comme “la possibilité d’accéder, d’arriver à”. Arriver ou accéder à quelqu’un ou à quelque chose pourrions-nous préciser. Cette notion généraliste, concerne donc tout individu car chacun d’entre nous a-t-il toujours ou non la possibilité d’accéder à ce qu’il souhaite ?
Si les freins ou entraves ne sont pas spécifiés dans cette définition, lorsque le législateur s’empare du sujet, il le traite, dans un premier temps, en faisant un focus sur les personnes en situation de handicap. La loi du 11 février 2005 définit l’obligation d’accessibilité dans la chaîne des déplacements qui s’impose dans le déroulement ordinaire de la vie collective. Cela concerne le bâti (notamment le logement, les établissements recevant du public), la voirie, les espaces publics, les transports, les moyens de communication, l’exercice de la citoyenneté et les services publics (notamment culturels).
Cette législation ayant montré ses limites et parce que le champ des personnes concernées a été élargi aux personnes âgées, malades ou accidentées, aux femmes en fin de grossesse mais aussi aux familles avec poussette, aux voyageurs chargés de bagage, …, le Gouvernement a ouvert une grande concertation sur le sujet en 2013. Conférences nationales sur le handicap (CNH) et comités interministériels sur le handicap (CIH) se sont multipliés. Tout cela a permis d’aboutir à une nouvelle loi du 10 juillet 2014 réactivant les obligations légales et donnant un nouvel échéancier.
Afin de compléter le contexte, donnons aussi un éclairage sur la notion même de handicap tel que défini dans le droit français. L’article L114 du Code de l’action sociale et des familles définit le handicap comme “toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant.”. Le caractère environnemental est donc essentiel dans cette définition. Les articles L114-1 et 114-2 évoquent le droit des personnes en situation de handicap à la solidarité, à ses droits fondamentaux comme tout citoyen,
L’accessibilité est entendue comme l’obligation légale qui permet à toute personne de pouvoir accéder à un lieu, une prestation, un équipement, sans discrimination.
Edito⎜Le festival Palais augmenté, pour quel(s) public(s) ?
Mettons maintenant la notion d’accessibilité en perspective avec celle d’inclusion.
Pour rendre accessible, encore faut-il reconnaître les spécificités des populations, des publics, leurs besoins, leur diversité. Il convient alors de prendre le temps d’analyser son public dans toutes ses composantes et ses particularités. Ne le faisons-nous pas déjà ? Sans doute pas assez si l’on en croit le besoin de légiférer ou le nombre, toujours très important, de critères du référentiel général d’amélioration de l’accessibilité.
Selon Antoine Pritz, sociologue, “l’inclusion désigne la capacité de participation d’un individu dans une sphère sociale, un lieu, un collectif. En ce sens, une société inclusive, une institution inclusive ou une pratique inclusive mettent des choses en place pour ne pas laisser des individus exclus.” (Le Monde, L’inclusion, une porte ouverte sur les entraves et les hiérarchies sociales, Marion Dupont, 20 septembre 2023).
Accessibilité et inclusion sont le revers d’une même médaille. Quand l’accessibilité se rapporte sans doute plus au champ des problématiques soulevées, des solutions apportées et donc des outils mis en œuvre ; l’inclusion se rapporte, plus globalement, à un projet de société.
Existe-t-il des dérogations possibles à l’accessibilité ?
Toute règle connaît des exceptions. L’adage populaire ne dit-il pas que c’est l’exception qui confirme la règle ?
Convoquons ici les philosophes. Dans ses Pensées, Pascal nous met en garde contre le recours à l’exception. Son raisonnement est assez simple. Le débat que l’exception fait naître ne serait-il pas plutôt de savoir si elle infirmerait ou non la règle en tant que règle universelle, s’appliquant partout et toujours. En admettant une dérogation, n’accepterions-nous pas que la règle ne vaille pas pour toutes et tous ici et maintenant ? Une fois l’universalité abandonnée, chacun peut trouver une raison légitime pour justifier que, là où il ne croit pas ou ne veut pas qu’elle s’applique, elle ne s’applique pas dans les faits. Admettre l’exception, ne serait-ce pas permettre à chacun de trouver une excuse pour déroger à … la règle ?
La filière XR peut-elle se positionner comme un acteur majeur pour une société inclusive ?
Au fur et à mesure de nos articles, nous interrogerons les expériences XR elles-mêmes afin d’observer si elles sont ou non accessibles. Si elles le sont, peut-être le sont-elles d’un certain point de vue mais pas d’un autre. Si une expérience n’est pas accessible à toutes et tous, quel public est exclu et pour quelle(s) raison(s) ?
Face à la variété des technologies immersives mises à disposition, le choix réalisé entre VR, AR, XR ont un impact sur la nature de l’expérience, demandons-nous si cela a aussi un impact sur l’accessibilité d’une création ?
Nous nous interrogerons sur les critères de curation des œuvres XR par les institutions exposantes. L’accessibilité est-elle un critère de sélection d’une création ?
D’ailleurs, l’accessibilité est-elle un critère considéré au moment de la réflexion stratégique ; travaillé lors de la conception-réalisation d’une expérience XR afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre ?
Une expérience immersive doit-elle nécessairement être accessible ?
Autant de thématiques (et plus encore) que nous aurons l’occasion de dérouler dans différents articles sur XRMust.
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