Entre jeu vidéo et oeuvre narrative, la réalité virtuelle en tant que médium a-t-elle trouvé sa forme définitive ? Sans doute pas, si on regarde la multiplicité des expériences disponibles – et parfois plusieurs formats pour une seule proposition : film 360, propositions interactives ou installations physiques. Le studio français Atlas V innove encore avec son dernier titre, présenté en avant-première mondiale à la 81e Mostra de Venise : MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM, un long métrage animé et interactif co-produit avec Bandai Namco Filmworks (Japon).
Rencontre avec Arnaud Colinart, producteur aguerri dans les nouvelles écritures et la XR depuis près de 15 ans, cofondateur du studio Atlas V et passionné de films d’animation japonais. MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM sera disponible en exclusivité sur Meta Quest 2 et 3 dès le 3 octobre à 10:00AM PST (promotion de 11% pour les wishlists et précommandes).
Des productions indépendantes aux franchises : trouver un modèle vertueux
L’industrie XR avance avec la certitude de proposer un nouveau format d’expériences pour le public, à la croisée de nombreuses disciplines artistiques. En ligne, les stores de Meta ou Steam proposent une multitude de jeux vidéo avec de vrais succès. Mais les contenus purement narratifs restent dépendants du bon vouloir des diffuseurs et des intentions des plateformes en ligne, sans toucher l’ensemble du public connecté en réalité virtuelle malgré la qualité des titres. C’est le constat d’Arnaud Colinart et l’équipe de producteurs d’Atlas V en 2021, “nous sortions d’une phase particulièrement intense de production autour d’oeuvres indépendants : GLOOMY EYES, BATTLESCAR, MIRROR, SPHERES, MADRID NOIR… Tout en étant fiers des contenus produits, nous avions identifié des problématiques de financement et d’audience – et un impact sur le développement de notre catalogue. Nous voulons produire de la fiction, des œuvres de genre. Cela demande souvent des budgets conséquents, sans correspondre à une réalité du marché en ligne où le public est attiré par des expériences pleinement interactives comme le jeu vidéo.”
La stratégie du studio consiste alors à interroger ses partenaires (à l’époque les producteurs Colum Slevin et Yelena Rachitsky chez Meta) pour définir les critères correspondants à leur recherche. La volonté d’amener des licences et des marques se fait jour, dans une logique évidente de proposer à un public déjà équipé de casques des univers mondialement connus. A cette époque, plusieurs marques ont déjà tenté l’aventure de la réalité virtuelle, notamment ILMxLAB avec VADER IMMORTAL ou STAR WARS: TALES FROM THE GALAXY’S EDGE. Et plus tard d’autres tentatives verront le jour chez Disney avec le court métrage issu de la Reine des Neiges, MYTH: A FROZEN TALE. Pour Atlas V, différentes discussions avec des ayant-droits au niveau international amènent deux premiers projets : WALLACE & GROMIT IN THE GRAND GETAWAY avec Aardman au Royaume-Uni (voir nos interviews 1 / 2), et donc MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM avec Bandai Namco Filmworks. Et deux démarrages de production en simultanée début 2022 !
Ce qui peut sembler être avant tout une opportunité commerciale est en réalité le résultat d’une discussion de fond. Pour le studio, comme pour les ayant-droits, il est essentiel de trouver la bonne collaboration – qui n’est pas qu’un accord économique. Il y a le respect évident de l’œuvre d’origine, des personnages et des univers. Mais surtout, une synergie entre producteurs pour allouer les bons moyens au bon endroit. “Dans nos discussions avec des studios créatifs comme Aardman ou Bandai, il y a toujours une vraie recherche de qualité. Très concrètement cela veut dire définir ce qui sera la responsabilité de nos équipes de créations et des leurs. Il faut répondre à leur standard de qualité, créativement et en termes de processus de production”, précise Arnaud Colinart.
MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM, un film animé avant tout
C’est avec l’aide du producteur anglais Andrew Frain (Kai-tama Entertainment Ltd, producteur exécutif sur le premier long-métrage GHOST IN THE SHELL de 1995) qu’Atlas V rencontre Bandai Namco Filmworks. L’objectif est de produire un vrai segment de la franchise Gundam, dans la continuité totale des films, séries ou jeux vidéo déjà existants. “On devait se démarquer des formats traditionnels préexistants, tout en restant sur un contenu narratif et en incorporant la mythologie Gundam. C’est en partant de ce principe qu’est venue l’idée de produire un animé de 90 minutes en réalité virtuelle” précise Arnaud Colinart. Chez Meta, c’est le producteur Ryan Genji Thomas (ancien de Dreamworks) qui confirme l’intérêt de la plateforme pour des expériences immersives en animation. Si, au final, SILVER PHANTOM comporte une vingtaine de minutes interactives, c’est aussi pour répondre aux besoins du médium et s’adresser à tous les publics.
La suite est une coproduction internationale intense, avec son jeu de fuseaux horaires et de discussions croisées – entre rendez-vous en ligne, horaires différés mais aussi déplacements pour plusieurs semaines de l’équipe française au Japon. MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM a été produit entre les deux pays, avec la direction artistique et la réalisation du film entre les mains de Kenichi Suzuki pour Bandai Namco Filmworks, la production immersive côté français avec Atlas V et le studio lyonnais Albyon. Arnaud Colinart : “Il y a eu une forte étape d’acculturation dans les deux sens, pour respecter la franchise et ses impératifs (l’identité, les règles de l’univers…), mais aussi pour amener l’équipe japonaise à la découverte de la réalité virtuelle et répondre à la promesse d’un animé immersif”. L’objectif est clair : compléter l’offre existante sur les plateformes, sans en faire un jeu vidéo.
La différence non seulement entre nos deux pays, mais aussi entre les méthodes de production de l’animation japonaise et de la production VR française a été l’un des éléments que nous avons dû intégrer avec prudence. Créer de nouveaux formats pour les storyboards, vérifier les modèles de synthèse dans le casque, tout le pipeline du projet a dû être créé à partir de zéro.
Kenichi Suzuki, réalisateur de MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM
L’élément central qui confirme les choix faits par les producteurs, c’est la livraison d’un prototype (vertical slice). “La qualité intrinsèque de cette première partie de production a rassuré immédiatement nos partenaires, notamment sur la qualité visuelle que demandait Bandai. Et si une majorité de l’équipe française a grandi avec des animés japonais, et donc beaucoup de références dans ce domaine, il nous a fallu aller plus loin dans la connaissance de l’esthétique, du background artistique de la licence, etc.” explique Arnaud Colinart. L’accès à l’univers Gundam, outre les films et épisodes, s’est donc concrétisé par une vraie documentation sur la conception même des armures, personnages ou environnements.
Gundam est un récit de science-fiction avant tout. Il était donc évident qu’il s’agirait d’un titre idéal pour une expérience virtuelle. L’utilisation d’images de synthèse, non seulement pour les mechas mais aussi pour les personnages, permet aux spectateurs d’explorer et d’expérimenter le monde de Gundam de la manière la plus réelle qui soit. Le concept était de « pénétrer dans l’univers Gundam et de piloter des mobile suits grandeur nature », un rêve partagé par les fans de Gundam. En gardant ce concept à l’esprit, nous avons intégré dans l’histoire l’observation de Gundam dans les docks de lancement, l’expérience de la sortie dans l’espace et d’autres expériences inédites.
Kenichi Suzuki, réalisateur de MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM
Le film incorpore également des séquences dessinées (sakuga) autour de certains flashbacks. Une proposition qui renforce ces séquences, moins interactives certes mais très fortes narrativement qui donne vraiment l’impression de regarder un film immersif. “C’était une envie de Bandai et du réalisateur d’utiliser des techniques d’animation traditionnelle au sein du projet. Et c’est là le cœur de ce que l’on veut défendre avec l’idée d’animation immersive. Il y a une logique d’animation en 6DOF, avec des mélanges 2D et 3D, de la vidéo, pour créer une vraie expérience narrative.” précise Arnaud Colinart.
Pour autant, la méthodologie de production de jeu vidéo VR est prise comme référence pour concevoir ce film animé inédit. Taux de rétention des utilisateurs, durée, étude du prix ou de la place de l’interactivité… L’équipe d’Atlas V (et du distributeur Astrea) fait en sorte de se rapprocher des usages existants. Et comme pour WALLACE & GROMIT fin 2023, MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM sera proposé avec un mode additionnel en réalité mixte. Un bonus pour le public, mais aussi un argument marketing pour coller aux dernières innovations XR.
Au-delà du format, un univers entier à adapter : Gundam
C’était une condition absolue : ajouter un nouveau chapitre dans une mythologie de près de 40 ans, et plusieurs milliers d’heures de contenus avec ses codes, ses personnages, ses histoires. Au-delà des discussions techniques, Bandai a donc amené son savoir faire sur la franchise et la conception de longs métrages animés. Outre la présence de scénaristes connaissant l’univers Gundam par cœur, c’est le réalisateur japonais Kenichi Suzuki qui est chargé du projet, et des discussions avec Gaël Chaize, le directeur technique, et les équipes françaises.
MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM débute notamment par un rappel introductif sur ce qu’est Gundam (la guerre Fédération/Zeon, les armures…). Une nécessité évidente d’un point de vue occidental, qui n’est évidemment pas nécessaire pour un public japonais. Mais les plateformes VR étant par nature internationales, il était nécessaire d’avoir un propos préliminaire avant de foncer dans l’aventure. Le film est ainsi situé en année Universal Century 0096 (précision pour les fans – ci joint un petit guide chronologique de visionnage des épisodes précédents), et incorpore de nombreux événements de la franchise. Les passionnés de cet univers auront donc un peu d’avance sur la compréhension de l’ensemble, même si ce film VR peut se visionner sans forcément rattraper des centaines d’heures de programme.
Ce qui marque les esprits lors d’un premier visionnage, c’est réellement la présence de ces mecha géants. Les mobile suits Gundam en réalité virtuelle en imposent ! Et si on peut imaginer au premier abord que concevoir des robots géants en VR n’est pas forcément complexe, le diable se cache dans les détails…. Et le respect de la charte graphique de l’univers. Arnaud Colinart : “Notre équipe technique a passé beaucoup de temps sur les textures et les shaders pour avoir les bons contours de chaque forme. Et cela devait correspondre à une vraie similitude dans le look des robots entre la VR et les animés classiques ! Sans parler des sujets d’optimisation, qui ont été les sujets de nombreux échanges avec Bandai Namco Filmworks“. Les premiers retours sur ce point sont très positifs, le look et le rendu des armures rendant ainsi hommage à la franchise. Même avec les limitations techniques des moteurs de temps réel, et in fine des casques VR, il est ainsi confirmé que la qualité du film sera optimum.
L’arrivée de l’un des environnements les plus populaires de la série Gundam en format VR a suscité une grande excitation parmi les fans. Certains fans de Gundam s’inquiétaient de voir la franchise se lancer dans cette nouvelle technologie. Cependant, Gundam a toujours été vers les méthodes innovantes d’expérience et d’expression, et nous pensons que les fans de Gundam seront en mesure d’apprécier cette nouvelle expérience sur ce film.
Kenichi Suzuki, réalisateur de MOBILE SUIT GUNDAM: SILVER PHANTOM
Et la suite ?
En marge du travail vers ces marques reconnues, voire de prochains titres du même niveau, Atlas V exploite ses propres licences. Une adaptation en jeu vidéo 2D de GLOOMY EYES est déjà annoncée, tout comme un long métrage animé (MADRID NOIR est également en développement sous ce format). L’avenir de la production XR sera-t-il vers une exploitation multi-supports de ces créations ? “Nous avons évidemment envie de développer des univers originaux. Mais la réalité économique de la VR nous limite encore fortement,” admet Arnaud Colinart, “il faut donc aller chercher des noms connus pour soutenir l’effort de création, et séduire le public. Il reste difficile de financer de telles œuvres à gros budget, que ce soit des films interactifs ou des jeux”. L’essor de certains marchés comme le Japon, avec de plus en plus de passionnés pour l’immersif, confirme les intentions de certains studios pour porter des licences nationales, ou internationales, sur de nouveaux supports. Et aider la création immersive à se décloisonner.
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