XRMust est au Kaohsiung Film Festival cette année, couvrant l’événement et notamment sa section XR Dreamland, à l’invitation du Bureau français de Taipei. C’est aussi l’occasion de revenir sur les équipes passés par la Villa Formose (voir notre article dédié) et les lauréats de retour au festival pour faire un point d’étape sur le développement sur leur projet. Aujourd’hui, le studio u2p050 pour DEEP ECOLOGY.
Un point vraiment très important à propos de l’infrastructure technologique de nos sociétés, c’est qu’elle est également politique. Dans la question de la gouvernance climatique, il y a une opportunité d’utiliser des initiatives technologiques pour lutter contre le réchauffement climatique – et orienter de facto ce qu’on décide de faire de ces technologies.
Comment l’idée de ce projet est-elle née, et quelles en ont été les motivations principales ?
Le studio u2p050 est un studio de création numérique qui mobilise les sciences humaines dans son processus de création, et emprunte à ces méthodologies pour faire du terrain ou de l’enquête sur un sujet particulier. Dans nos précédents projets, on a travaillé sur des sujets comme la transformation des machines à traire et leur automatisation, sur les théories du complot, sur l’attaque du Capitol, sur une réserve d’oiseaux ou aussi sur le passage d’un site industriel à une réserve naturelle. À chaque fois on va reproduire ce protocole de recherche-création, on va enquêter sur le terrain et ensuite choisir le médium d’art numérique qui nous semble le plus approprié pour le traiter.
Pour DEEP ECOLOGY, on voulait faire un documentaire sur le rapport entre deux concepts qu’on connaît bien, l’écologie et la technologie, et faire une enquête sur à quel point ces deux concepts sont liés. Avec cet objectif en tête, notre recherche est partie du livre The Stack, du designer et philosophe Benjamin H. Bratton. Dans ce contexte, un stack désigne une architecture globale composée de couches interconnectées de technologies numériques (terre, cloud, villes, adresses, interfaces, utilisateurs), qui redéfinissent les structures de pouvoir, de souveraineté et de gouvernance dans le monde contemporain.
The Stack permet de comprendre les enjeux qu’il y a derrière notre infrastructure planétaire, donc l’ensemble de la technologie qui recouvre notre planète.
Le point d’entrée pour DEEP ECOLOGY est le rapport entre écologie, politique et technologie – et la relation de ces concepts avec la gouvernance climatique, lesquels sont questionnés par Bratton. L’ensemble de machines que nous avons aujourd’hui nous permettent de sentir l’état de la planète, et de réfléchir sur cet état, son avenir et nos actions. On veut explorer ce qui peut se passer en terme politique spéculatif dans le cadre de la gouvernance climatique et son lien avec la technologie.
Nous pensons que la relation entre écologie, technologie et politique est un sujet qui mérite d’être traité. On peut utiliser l’immersif comme un espace de réflexion, de pensée critique, sur les effets de la technologie sur la société.
Qu’est-ce qui vous a motivé à postuler à la résidence Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency organisée avec NewImages Hub, et quelles étaient vos attentes vis-à-vis de cette expérience ?
Ce qui est intéressant si on prend The Stack de Benjamin H. Bratton c’est cette infrastructure technologique qui recouvre notre planète, laquelle est contextuelle et spécifique à chaque territoire, donc le stack français n’est pas le même que le stack taiwanais. Afin de comprendre le rapport entre écologie et technologie à travers une enquête documentaire, il nous faut l’observer de manière située et saisir les enjeux dans différentes parties du monde.
À Taiwan, ils ont leur propre stack, leur propre relation culturelle à la technologie et à la manière dont ils s’en servent. Notamment, ce qui nous intéressait en participant à la Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency 2023 organisée par le Bureau français de Taipei avec le soutien de l’Institut Français, et NewImages Hub, c’était de faire une résidence d’exploration pour comprendre quel était le stack taiwanais. On voulait connaître la manière dont matériellement le stack taiwanais existe : s’il y a des satellites, des micro-puces, etc. et on voulait aussi observer la manière dont il est pensé, comment l’infrastructure politique est organisée, quelle relation ont les taïwanais avec l’écologie, aller à la rencontre des personnes, institutions, organisations, lesquelles sont liés à l’infrastructure technologique taïwanaise, etc.
Nous nous sommes rendus compte que cette recherche effectuée à Taiwan ne peut pas être reproduite partout. C’ est un sujet très complexe, donc pour le Kaohsiung Film Festival 2024, nous présentons un prototype – le résultat de la résidence – qui est une carte documentaire générative laquelle peut être explorée par les utilisateurs. Au début de l’expérience, les utilisateurs vont rentrer des informations a priori, sur leur âge, sur leur sensibilité envers la technologie, sur leur métier, etc. De cette façon, chaque personne va générer un voyage unique à soi, à travers cette carte documentaire des différents stacks et des différents concepts de stack.
Lors de la résidence Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency à Taiwan, avez-vous le sentiment d’avoir atteint tous les objectifs que vous vous étiez fixés ? Y a-t-il des aspects que vous souhaiteriez approfondir davantage ?
Le premier objectif de la résidence, c’était de se familiariser avec le stack taïwanais, rencontré des gens sur place. D’abord, nous avons réalisé un atelier autour de la notion de stack avec le professeur Ray-Kuang Lee et ses étudiants, de la National Tsing Hua University. Nous avons aussi rencontré Yaw-Shyang Chen, responsable de la Nationals Communication Commission (NCC) à Taipei, ainsi que plusieurs créateurs, des musiciens, des artistes qui travaillent le numérique. Et nous avons aussi fait des entretiens avec Howard Wu, fondateur de gov-zero, communauté décentralisée de solutions numériques pour la société civile, et avec Diskonnected, dj et fondateur du Organik Festival.
Une spécificité taïwanaise très importante, c’est la présence de la ministre du MODA (Ministry of Digital Affairs) Audrey Tang, qui est très connue, qui malheureusement on n’a pas pu rencontrer. Elle a une grande influence sur la gestion des politiques liées à la technologie de Taiwan.
Un autre des objectifs principaux, c’était de prendre connaissance de l’écosystème immersif taïwanais : de ses acteurs, les événements, les artistes, etc. Nous avons été très agréablement surpris de la qualité de nos interlocuteurs : TAICCA, le Kaohsiung Film Archive, etc. Et dans le même temps, de la qualité de l’organisation, des infrastructures, de l’accueil pendant la résidence. On a vraiment été très bien accueilli, très bien suivi, nous avons eu à notre disposition tout le matériel duquel on avait besoin pour le déroulement de notre travail (l’atelier, le vidéo projecteur, etc.). Le budget de la résidence était suffisamment conséquent pour que l’ensemble des membres du studio puisse aller à Taiwan, vu que nous sommes plusieurs à travailler sur DEEP ECOLOGY. C’était essentiel pour le déroulement du projet qu’on puisse travailler conjointement sur le projet pendant la Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency.
Avez-vous constaté que les personnes à Taïwan s’interrogent également sur la digitalisation et l’utilisation des technologies ? Avez-vous trouvé des points communs avec votre propre recherche ?
Un point vraiment très important est que l’infrastructure technologique est politique : avec les questions de gouvernance climatique, on peut implémenter plein d’initiatives technologiques pour lutter contre le réchauffement climatique (par exemple), et orienter ce qu’on décide de faire de la technologie. Pour Taiwan, la question de l’infrastructure technologique est centrale à cause de leur politique en dehors du territoire.
Dans le cas de Taiwan, leur système de fibre optique, par exemple, qui connecte le territoire au reste du monde à travers l’internet, est souvent menacé par des tremblements de terre. Ça veut dire que leur système de fibre optique peut disparaître à tout moment.
Donc, par exemple, à la différence de la France, il y a une grande réflexion sur comment est-ce qu’on a une résilience de data, la data résilience : comment est-ce qu’on fait tourner les serveurs, toute l’infrastructure, s’il y a ce risque permanent de tremblement de terre ?
Une des choses qu’on a pu discuter c’est que Taiwan développe un système de satellite public à différentes couches, afin de s’assurer de cette continuité de la data et du fonctionnement de leurs infrastructures au niveau global. Ce système de satellites de communication est beaucoup plus avancé à Taiwan qu’en France.
Un autre aspect vraiment intéressant est la transparence : l’ensemble des discussions et rencontres qu’Audrey Tang, la ministre du MODA (Ministry of Digital Affairs), a avec des interlocuteurs comme les plateformes technologiques (OpenAI, Google, Facebook, Microsoft…), sont accessibles librement sur le site du ministère. Tang, qui est programmeuse de formation, parle d’égal à égal sur le plan d’information avec tous ces acteurs technologiques. À Taiwan, il y a aussi des réflexions très intéressantes sur l’intelligence artificielle. Par exemple, comment entraîner les outils d’IA afin d’intégrer les différentes langues indigènes de Taiwan, et assurer la préservation de leur patrimoine linguistique. Ça fait partie des stratégies du soft power de Taiwan.
Et surtout, il y a une vraie volonté à Taiwan d’articuler la société civile et l’innovation technologique pour le bien public. Ils invitent les citoyens à proposer des idées pour améliorer – ou réfléchir à des sujets liés au numérique (les véhicules autonomes par exemple), à travers d’initiatives comme des grandes consultations.
Après l’expérience du développement du prototype de DEEP ECOLOGY à la résidence Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency à Kaohsiung, quelle évolution imaginez-vous pour le projet ? Quelles sont vos perspectives pour son avenir ?
Nous avons prototypé ce voyage génératif à travers des archives du présent liés à des concepts d’écologie et de technologie. À partir du prototype qu’on a pu développé, on s’est attaché à améliorer esthétiquement l’expérience avec une équipe de développeurs, et la rendre encore plus attractive pour le public. Et surtout, nous voulons proposer une expérience multi-utilisateurs, pour environ quinze personnes, et explorer les aspects de gamification du projet. Ce développement, en principe, on le ferait en France au sein du studio – la coproduction internationale étant une étape suivante si tout se passe bien.
Studio u2p050 a au départ une certaine hybridité entre l’audiovisuel et l’art contemporain. Pour la distribution de DEEP ECOLOGY, nous imaginons aussi un format d’exposition muséale, dans des galeries et aussi dans à travers la branche immersive, avec des événements comme le Kaohsiung Film Festival, NewImages notamment. Notre enjeu principal est de faire l’expérience le plus accessible possible. L’utilisateur, en rentrant ses informations au début de l’expérience, adapte le contenu à ses propres connaissances pour ensuite avancer sur ces questions politiques, économiques, technologiques, avec son propre regard.
On cherche à croiser ces mondes dans la manière dont on présente DEEP ECOLOGY au public, de façon adaptive, avec de l’intelligence artificielle générative au coeur du projet : à chaque fois qu’un utilisateur fait l’expérience, elle va être adaptée à lui.elle, avec la possibilité d’e la faire avec d’avoir n’importe quelle nouvelle langue, par exemple. Aujourd’hui, elle est disponible en trente langues différentes.
https://www.u2p050.com/deep-ecology/
https://france-taipei.org/Presentation-de-Villa-Formose
Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat rémunéré.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.