Le Muséum national d’Histoire naturelle a été parmi les premiers lieux culturels à ouvrir un espace de diffusion pérenne dédié à la réalité virtuelle. Cette volonté d’intégrer de la VR au sein de sa programmation a été portée par Stéphanie Targui, qui revient pour nous sur leur grande aventure : MONDES DISPARUS, la première coproduction entre un musée et Emissive – Excurio (HORIZON DE KHEOPS, ÉTERNELLE NOTRE-DAME, UN SOIR AVEC LES IMPRESSIONNISTES). Plus qu’une salle, c’est une galerie entière du Muséum qui accueille depuis octobre 2023 ce format “large scale”, et bientôt d’autres espaces dans d’autres villes en France et à l’international.
A lire, notre précédente interview de Fabien Baratti (Emissive – Excurio)
La place du numérique au sein du Muséum national d’Histoire naturelle
Stéphanie Targui – J’ai déjà plus de 20 ans de carrière au Muséum national d’Histoire naturelle, où j’ai débuté comme webmaster éditorial du site mnhn.fr après des études en médiation culturelle et nouvelles technologies. Le domaine des musées et de la culture m’a toujours attirée. J’ai “grandi” dans l’institution et ai progressivement ajouté de nouvelles compétences à mon poste, ce qui m’a amené à créer une équipe pour développer l’écosystème digital online du Muséum. Entre 2004 et 2020, nous avons construit une plateforme média d’une centaine de sites Internet et réseaux sociaux et en avons animé l’éditorial. En parallèle, j’ai développé le premier projet VR du Muséum en 2017 comme un “side project”. Depuis 2021, je me consacre pleinement à l’innovation numérique et audiovisuelle et aux projets transmédia. Je travaille dorénavant aussi in situ : dans nos musées, jardins, zoos, ou hors les murs – sur des projets innovants sur le plan éditorial, technologique, expérienciel, ou économique. La finalité de cette mission reste la même : partager au plus grand nombre l’histoire de la nature, sensibiliser et engager nos publics à sa préservation.
S. T. – Le Muséum national d’Histoire naturelle est depuis plus de 3 siècles un centre de recherche d’excellence, étudiant la Terre et le Vivant depuis les périodes les plus reculées du passé jusqu’à aujourd’hui, en interrogeant notre devenir, avec +500 chercheurs sur le site. Comme d’autres Muséums dans le monde, nous partageons ainsi nos savoirs tout en œuvrant à la conservation de la biodiversité et des patrimoines, qu’ils soient naturels ou culturels. Environ 2 500 collaborateurs, chercheurs, soigneurs, bibliothécaires, taxidermistes, chargés de collections, ingénieurs, vétérinaires, muséologues… s’y attellent sans relâche dans nos murs et sur le terrain. Le Muséum est le musée de l’hyper-réalité, du réel dans lequel on vit : nos scientifiques décrivent et analysent le vivant, le réel. Ce sont des travaux de référence qui vont nourrir de nombreux domaines scientifiques. Par ailleurs, le Muséum c’est aussi des lieux d’exposition à Paris (Jardin des Plantes lien, Musée de l’Homme lien, Parc zoologique de Paris lien) et 10 autres lieux en France lien. Et ces lieux évoluent avec les dernières tendances ou innovations pour rencontrer leur public, et construire des événements qui montrent toute la richesse du monde naturel aux visiteurs.
La réalité virtuelle au service du vivant
S. T. – J’ai toujours cherché à créer de nouvelles formes de dispositifs numériques et audiovisuels en associant le Muséum à des partenaires et des talents créatifs, éditoriaux, technologiques. Par exemple avec FranceTV Nouvelles Ecritures, en 2014, et Voyelle Acker à l’époque, autour de la réouverture du Parc zoologique de Paris et une collection éditoriale autour d’Adeline la girafe : son appli sur tablette (lien), son Twitter / X (lien). Ou encore Darjeeling Prod puis Femme fatale studio pour la production de site web invitant les internautes à poser leurs questions à nos scientifiques. Et Orange notamment, qui nous a aidés dès 2015 à développer une application mobile pour le Musée de l’Homme à destination du jeune public (lien), puis un MOOC sur les origines de l’Homme (lien). Ces dispositifs enrichissaient l’offre de médiation du Muséum et le public adhérait. Dans ce mouvement, avec l’évolution du numérique, je me suis naturellement intéressée en 2016 à la réalité virtuelle. Les Orange Labs travaillaient alors sur le sujet et il m’a semblé pertinent d’explorer l’idée de développer avec eux un premier dispositif de médiation culturelle en VR.
S. T. – Ce projet a été VOYAGE AU CŒUR DE L’ÉVOLUTION (lien) : une représentation immersive de l’arbre du Vivant. Un arbre sphérique, dont les branches représentent le temps. Au centre se trouve LUCA (pour “Last Universal Common Ancestor”, notre ancêtre commun à tout le Vivant) et au bout des branches, des exemples d’espèces contemporaines dont Homo sapiens. Le visiteur peut remonter le temps et comprendre quelle espèce est plus proche de laquelle – et ainsi comprendre l’unicité du Vivant. C’est un projet emblématique car la théorie de l’évolution est aussi bien au centre de nos recherches que des débats de société. Au pilotage de ce projet à l’époque : Jean Leborgne à mes côtés au Muséum et Armelle Pasco et Abla Benmiloud Faucher chez Orange, Manzalab à la réalisation.
S. T. – La production de ce premier projet nous a amené à penser une salle dédiée à la VR car l’installation de cette expérience “single user” sur le parcours de la Grande Galerie de l’Evolution n’aurait pas été optimale en terme de flux de visite. Avec mes collègues Cyril Roguet, alors Directeur des Galeries du Jardin des plantes, et Marie Wacrenier, Cheffe de la régie muséographique et technique qui en a piloté le projet d’aménagement muséographique (avec l’agence Maskarade à la Maîtrise d’Œuvre), nous avons inauguré en décembre 2017, le CABINET DE RÉALITÉ VIRTUELLE. Par la suite, j’ai poursuivi la production, coproduction ou l’acquisition des droits de nouveaux contenus VR pour le Cabinet de Réalité Virtuelle : GÉANTS DISPARUS avec Chuck Productions et French Connection Films lien, LADY SAPIENS coproduit par Little Big Story, Ubisoft et France TV lien, THE STARRY SAND BEACH – notre première coproduction VR avec Lucid Realities lien. Chaque projet passé par le Cabinet nous a permis d’acquérir de l’expérience, d’apprendre.
S. T. – REVIVRE coproduit avec SAOLA (en réalité augmentée – lien) et L’ODYSSÉE SENSORIELLE coproduit avec Sensory Odissey (lien) sont deux autres projets ambitieux lancés au sein du Muséum en 2021. Ils ont été pilotés par mes collègues d’autres directions ou services : REVIVRE, par Marie Wacrenier, et L’ODYSSEE SENSORIELLE, par Flora Ploquin, Chargée de projet Itinérance à la Direction des publics. Ceci démontre un fort intérêt pour l’innovation au sein de l’ensemble du Muséum, notamment à la Grande Galerie de l’Evolution qui est devenue un véritable laboratoire dans ce domaine, et le souhait de la gouvernance du Muséum de bouger les lignes, tester de nouvelles formes de médiations, de créer d’autres formes de rencontres avec le public.
Au démarrage de MONDES DISPARUS
S. T. – J’ai rencontré Fabien Barati d’Emissive au New Images Festival en 2018 lien. Il y présentait SCAN PYRAMIDS, la version Béta de L’HORIZON DE KHÉOPS. Le format et son potentiel m’ont interpellée, ainsi que la vision d’Emissive d’aller vers des flux de visiteurs importants. Il y a eu l’envie de collaborer très vite, et de trouver un sujet à la hauteur des enjeux. Il nous a fallu plusieurs années pour aboutir. Fabien et moi avons accueilli de nombreux décideurs du Muséum dans les casques VR de leur dispositif à la Cité de l’Architecture, puis dans leur show-room au Immersive Learning Lab. Une véritable démarche d’acculturation. Chaque démo donnait lieu à un débrief qui se transformait souvent en brainstorm : de la Présidence à la Direction déléguée aux musées, jardins, zoos, la Direction générale, la DAF, le Service juridique, les Directions des publics, du développement, de la communication, nombreux décideurs du Muséum sont venus tester ce nouveau format. Peu à peu, l’idée du projet a germé. Le Comité de programmation du Muséum l’a validé formellement en octobre 2021. C’était avant la sortie de L’HORIZON DE KHEOPS et de ETERNELLE NOTRE-DAME. Je le précise car cela montre la démarche visionnaire de la gouvernance du Muséum à l’époque lorsqu’elle a validé le projet.
S. T. – Le comité scientifique a été nommé : Bruno David (il était alors Président du Muséum et a souhaité s’impliquer personnellement), Guillaume Lecointre (son conseiller scientifique), Gaël Clément (Directeur du département scientifique Homme et Évolution), Sylvain Charbonnier (Directeur adjoint du laboratoire de Paléontologie). Ainsi que 4 chefs de projets : Cyril Roguet, Chef de projet transversal (production du contenu et exploitation dans la galerie), Sylvain Charbonnier, Coordinateur scientifique qui a orchestré le travail scientifique d’une trentaine de scientifiques (paléontologues, une illustratrice scientifique spécialiste du mouvement et un bioacousticien), Delphine Nahon et moi-même (en tant que cheffes de projet contenu). Nous reportions aux directions transversales du Muséum, elles aussi très impliquées. C’est clairement un gros travail d’équipe côté Muséum comme côté d’Emissive.
S. T. Nous avons dû passer par une phase d’appel d’offres entre fin 2021 et début 2022. Emissive a remporté le marché. Ils ont été les seuls à répondre. Le cahier des charges intégrait un critère discriminant : pouvoir accueillir de 80 à 100 personnes en même temps dans de la VR. En mars 2022, la production a pu commencer. Durant la production, mon rôle a été de coordonner l’ensemble des fonctions côté Muséum. J’ai dû m’absenter suite à un accident de vélo et ma N+1 Delphine Nahon a assuré la coordination pendant les 6 premiers mois de prod. Chez Emissive, notre interlocuteur au quotidien était Tarek El Khamssa, directeur de projet, qui dirigeait donc l’ensemble de la production à la fois dans son ampleur et dans ses moindres détails. Et aussi Guillaume Martini, Directeur de création et auteur, ainsi que Ludovic Marguerie et Francis Nief, les deux autres auteurs de l’expérience.
Après 18 mois de prod, nous avons inauguré MONDES DISPARUS en octobre 2023, dans la Galerie de Géologie et de Minéralogie du Jardin des Plantes. Le projet a bénéficié d’un plan de communication ambitieux, à la hauteur des plans de com produits par la Direction de la communication (Fanny Decobert, Cécile Brissaud et leur équipe) pour les grandes expositions temporaires annuelles du Muséum.
Un projet patrimonial à la narration innovante
S. T. – Très vite, lors du premier brainstorm créatif, nous avons convergé sur le souhait d’apporter une dimension cinématographique à cette histoire du Vivant. Plus qu’une visite virtuelle collective, nous visions un récit dont vous êtes le héros, une aventure scénarisée. Avec l’équipe créative, nous avions des références communes de la pop culture des années 80-90 : RETOUR VERS LE FUTUR, INDIANA JONES, JURASSIC PARK bien sûr ! Nous voulions ici sortir du format de médiation académique pour développer un objet pop, utiliser leur format expédition immersive au service d’un nouveau style de storytelling. Mon expérience des nouvelles écritures ainsi que celle de la commission XN du CNC consacrée aux nouvelles expériences numériques (à l’époque présidée par Alexandre Michelin et Deborah Papiernik) m’a beaucoup apporté sur ce point. Guillaume Martini et Ludovic Marguerie ont fait un très riche travail de recherche et de création et ont mis en place l’univers : bible personnages, personnas, background stories, etc. Et ont initié une collaboration avec un scénariste-dialoguiste externe issu du monde de la TV et du cinéma : Francis Nief. Le comité scientifique et de la direction de projet du Muséum ont adhéré à cette nouvelle forme de récit, mis en mots, en images et en scène par Emissive, sur la base des informations délivrées par les scientifiques.
S. T. Concernant la collaboration étroite entre scientifiques et créatifs, elle a toujours existé au Muséum. Depuis les premières illustrations scientifiques pour représenter les espèces végétales, animales, minérales, jusqu’à la photographie scientifique, les films, les animations… Dans notre champ, il y a une profonde tradition d’échange, de collaboration scientifique – créatif – technologique pour restituer le plus fidèlement possible les sujets étudiés. Et depuis toujours, nous intégrons les dernières techniques et technologies en muséographie et en médiation pour présenter nos sujets. Il y a donc aujourd’hui une vraie cohérence et continuité à faire appel à des nouveaux médias et technologies telles que la XR pour mener nos pratiques muséales.
Faire rayonner l’histoire naturelle en France et à l’international
S. T. – La coproduction avec Emissive – Excurio est aussi stratégique car elle nous permet de toucher le plus grand nombre. Le format expédition immersive offre en effet l’opportunité d’une diffusion démultipliée de MONDES DISPARUS. Traditionnellement, nos expositions temporaires itinèrent de ville en ville. Ici, avec le format expédition immersive, nous démultiplions l’expérience. Alors que nous l’exploitons depuis 6 mois au Muséum à Paris, et ce jusqu’à mi-juin 2024, Emissive l’installe en même temps dans d’autres villes en France et à l’international. Leur partenaire ECLIPSO vient de l’ouvrir à Lyon, à l’occasion des vacances de printemps (lien). Et Emissive – Excurio s’apprête à l’ouvrir dans deux autres villes à l’international dans les prochaines semaines. D’ici fin mai, MONDES DISPARUS sera donc disponible dans 4 villes en France et à l’international, et davantage encore d’ici la fin de l’année 2024.
Le site du Muséum : mnhn.fr
Les musées, jardins, zoos du Muséum : https://www.mnhn.fr/fr/nos-lieux-de-visite
MONDES DISPARUS : liens utiles
Prolonger l‘expérience MONDES DISPARUS en ligne
Recréer une espèce disparue grâce à la 3D ? Un vrai défi technique qui exige rigueur scientifique !
La technologie virtuelle au service du vivant (France Culture)
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