MUTEK est aujourd’hui internationalement reconnu pour sa programmation à la pointe de la création numérique. Installé sur 4 continents et dans 7 villes, le festival a construit un modèle unique en son genre. Point névralgique de ce réseau : Montréal qui fête du 19 au 25 août 2024 son 25eme anniversaire et qui accueillera plusieurs dizaines de milliers de visiteur·euses. L’occasion d’échanger avec Alain Mongeau, fondateur et directeur artistique de MUTEK, et Sarah Mackenzie, directrice de MUTEK Forum, sur l’évolution du festival et sa programmation.
“En 2000, je disais que notre écosystème avait deux trains de retard par rapport à ce qui se faisait dans le champ de la création numérique en Europe” plaisante Alain Mongeau. L’anecdote a de quoi faire sourire lorsqu’on constate ce qu’est devenu MUTEK 25 ans plus tard : près de 820 000 festivalier·es à travers le monde dont la moitié sur les éditions programmées à Montréal, la ville où l’histoire a commencé. Plusieurs franchises ont ensuite fait leur apparition à Santiago, Mexico, Buenos Aires, Barcelone, Tokyo et Dubaï. “Dès l’ouverture à Montréal, plusieurs villes ont souhaité établir des connexions. En 2001, le festival CTM a programmé une soirée qui s’appelait “Go MUTEK”. C’est ça qui a donné l’élan international, raconte Alain Mongeau, avant de poursuivre, Tout s’est toujours fait de manière très organique. Par exemple, la première édition à l’international a eu lieu à Valparaiso notamment avec Dandy Jack et Ricardo Villalobos. J’avais déjà des attaches personnelles avec le Chili.”
MUTEK s’est donc développé progressivement sur deux décennies avec un système de “franchise” (“license”) qui porte ses fruits. “Notre réseau nous donne un avantage dans le repérage des artistes émergent·es. Chaque festival garde l’ADN MUTEK mais s’épanouit dans sa propre culture. Et puis nous avons construit un circuit de diffusion exceptionnel pour faire rayonner la scène créative québécoise” explique Alain Mongeau. A Montréal, sur 1 105 artistes programmés, 578 étaient québécois·es et canadien·nes et plusieurs d’entre eux ont ensuite été ou sont programmés dans les autres festivals MUTEK, à l’image du montréalais Martin Messier, artiste à l’intersection du son, de la lumière et du geste chorégraphique qui, en 2024, présente sa performance 1 drop 1000 years à MUTEK Barcelone ou MUTEK Mexico.

Acception élargie de la création numérique
Si en 2000, le festival naît avec l’envie de présenter des performances sonores, il est aujourd’hui difficile de le ranger dans des cases bien définies, à l’image d’un Daito Manabe, musicien, designer, creative technologist et touche à tout inclassable. Alain Mongeau témoigne : “À l’époque on avait cette volonté de donner des lettres de noblesse à une culture numérique. J’avais une curiosité pour la scène rave electro. Ce n’était pas simplement pour la musique mais aussi pour tout ce qui commençait à apparaître autour des musicien·nes… les scénographies ou le VJing. On commençait à parler de la convergence du tout numérique. Le défi pour MUTEK a été d’aller dans le sens de l’hybridation des médias.” Rien d’étonnant donc à voir cette année (du 20 au 25 août) des dizaines de performances éclectiques avec notamment les coups de cœur d’Alain Mongeau “Le live d’Amnesia Scanner & Freeka Tet ou le concert d’un des “local heroes”, Patrick Watson.” Quant à Sarah Mackenzie, elle évoque avec enthousiasme Eno, un documentaire de Gary Hustwit. “C’est une performance-film générative réalisée à partir d’archives, d’interviews de Brian Eno, avec une bande son qu’il a lui-même composée. C’est une performance qui n’est jamais la même.”

Un décloisonnement artistique donc, à l’heure où l’on range aisément la musique, le gaming ou la VR sous une même appellation, celle de la “création numérique”, voire de la “création immersive”. “Les définitions évoluent sans cesse. A l’instar du festival de Tribeca, nous pensons que la XR ne peut plus être cantonnée aux casques VR. Le spectre de l’immersif s’inscrit dans une conception plus grande, celle de l’expérience.” ajoute Sarah Mackenzie. Et si les définitions changent, la perception des différents éco-systèmes également. “Au Québec, le Ministre de la Culture a fait de la créativité numérique un de ses trois axes de développement prioritaires. Le milieu numérique commence enfin à être reconnu comme une valeur économique et un moteur de l’innovation” analyse Alain Mongeau.
Concilier écologie et numérique ?
L’usage du mot ’“innovation” mériterait un débat approfondi, tant ce terme a fait son apparition au panthéon des mots du capitalisme. Autrement dit, de quoi parlons-nous ? De performance économique ? Comment est-elle conciliable avec les enjeux écologiques ? “Ce sont des interrogations profondes. Beaucoup de questions sont encore ouvertes : par exemple comment gérer la question des déplacements des festivalier·es ou des artistes ? On y travaille à travers plusieurs actions. Quand un·e artiste international·e vient à Montréal on essaye de le programmer sur d’autres activités, pour ne pas simplement faire un “hit and run”. Nous réfléchissons aussi à des solutions comme la téléprésence (lire l’article “Le spectacle vivant à besoin de R&D”), un dispositif développé par la SAT ” exprime Sarah Mackenzie.
L’écologie est donc au cœur de la programmation, tout spécialement à l’occasion de MUTEK Forum, un événement davantage dédié aux publics professionnel·les et qui n’a lieu qu’à MUTEK Montréal. Loin d’avoir privilégié une programmation quantitativement sobre, le festival a, au contraire, mis les bouchées doubles en 2024. “On a fait le choix de ne pas restreindre les prises de parole pour favoriser l’émergence d’imaginaires collectifs. L’écologie sera abordée en transversalité.” explique Sarah Mackenzie. D’abord avec le Sommet Future Festivals, prévu le 19 août, conviant plus de 100 acteur·trices des milieux festivaliers local et international à réfléchir à l’avenir des festivals, et à travers des performances artistiques stimulant les échanges.
Puis, du 20 au 23 août, 90 expert·e·s de l’intelligence artificielle, de la XR, de la musique et du gaming sont invité·es sur des conférences et autres tables rondes. Exemple avec Norhan Bayomi, chercheuse au Massachusetts Institute of Technology (MIT), scientifique de l’environnement, architecte, inventrice et productrice de musique électronique, qui ouvrira le forum avec un discours performatif intitulé “Inspirer l’action climatique par l’IA et l’art”. Ou encore l’artiste berlinoise Portrait XO qui transformera les données d’un siècle d’anomalies climatiques en expériences sonores. Reste maintenant à savoir quels futurs MUTEK, à Montréal et ailleurs, naîtront de toutes ces réflexions.

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