Filmer le réel pour la réalité virtuelle est souvent un exercice dirigé vers l’extérieur. Avec leur précédent film, SURVIVING 9/11, les français de TARGO reconstruisaient le New York de 2001. Leur dernière production, BEHIND THE DISH (en 3 épisodes), retourne la caméra vers un univers plus réduit mais non moins captivant : nos assiettes, à travers les portraits de trois femmes chefs.
BEHIND THE DISH est un film de fin d’année idéal pour exciter vos papilles. A l’instar des séries documentaires sur la cuisine que vous pouvez découvrir sur vos écrans, attention à votre appétit ! Le visionnage des 3 films produits avec Meta Quest peut solliciter votre estomac aussi bien que votre regard. TARGO apporte comme toujours son regard sur le monde, et au-delà des séquences macro (fascinantes captations des assiettes dressées par les équipes de cuisine) nous embarque dans un tour de monde des saveurs. Décryptage avec les fondateurs de la société Chloé Rochereuil et Victor Agulhon, également réalisatrice et producteur de BEHIND THE DISH.
BEHIND THE DISH, bon appétit !
Victor Agulhon – BEHIND THE DISH, c’est un projet qui vient d’une envie assez ancienne. On nourrissait depuis longtemps une passion pour la cuisine et les programmes culinaires: que ce soit des séries comme Chef’s Table de Netflix ou des contenus plus courts sur Instagram—on était naturellement attirés par cet univers. Dans notre ADN chez TARGO, nous avons toujours eu à coeur de produire des expériences en réalité virtuelle pour le grand public et donc créer un documentaire sur la nourriture, c’était une évidence pour nous. On a mis longtemps avant de se lancer car on voulait trouver une vraie valeur ajoutée à la réalité virtuelle sur ce sujet, on voulait proposer quelque chose de vraiment unique et spectaculaire. C’est quand on a eu l’idée de filmer la nourriture de très près en “macro”, en 3D et de lui donner une taille gigantesque en VR, qu’on a décidé de se lancer dans ce projet.

V. A. – Ce que l’on propose avec BEHIND THE DISH, c’est de changer de perspective sur la gastronomie. Tout d’abord en faisant le choix de raconter les parcours de trois femmes cheffes, puis très littéralement, en offrant des images en macro 3D 8K VR inédites sur la nourriture : le spectateur a l’impression d’être réduit à la taille d’un ingrédient posé sur une assiette. Dès que nous avons consolidé notre approche : des femmes cheffes, une technologie de film novatrice et un tour du monde des saveurs—nous avons rapidement proposé le projet à Meta. Nous avions déjà produit 4 projets avec cette équipe et nous sentions un intérêt de leur part. Ils ont cru en notre vision et nous ont offert une totale liberté de création.

Chloé Rochereuil – Parler de cuisine, c’est un exercice qui a déjà été beaucoup fait en audiovisuel. Avec BEHIND THE DISH nous voulions trouver un angle différent pour aborder ce thème en réalité virtuelle. La série propose une immersion dans les plats grâce à une technologie nouvelle mais propose aussi un angle éditorial très affirmé. BEHIND THE DISH raconte l’histoire de trois femmes aux destins singuliers qui dirigent leur propre cuisine avec succès, et avec des styles bien affirmés, en France, au Japon ou aux Etats-Unis. On y retrouve notre patte documentaire et notre volonté de proposer des vraies rencontres en réalité virtuelle avec des cheffes talentueuses, notamment grâce aux interviews et une immersion dans leur quotidien, des cuisines aux producteurs. Après avoir réalisé des documentaires plus graves sur des sujets historiques notamment, on était aussi heureux de pouvoir proposer un contenu plus léger, avec un format plus court.

Un tournage VR en macro définition
V. A. – Une fois que l’on a eu cette idée de rendre la nourriture gigantesque en VR, il nous a fallu trouver les technologies qui nous permettraient de la concrétiser. On a envisagé plusieurs approches : scanner les aliments en 3D, convertir des images 2D en 3D… Mais la seule solution qui nous permettait d’obtenir les images que l’on voulait, c’était de créer un rig de caméras sur-mesure pour jouer sur la sensation d’échelle en 3D (en utilisant de l’hypostéréo) et la proximité à la nourriture (film macro). C’est cela qui nous permet de tourner en direct, en captant le réel au plus près: les gestes des cheffes, la fumée, le dressage des assiettes, les sauces qui coulent… Et le tout en 8K ! Pouvoir montrer la conception des plats et cette technicité de la préparation—c’était ça l’objectif.

C. R. – On a tout de suite été impressionnés par la qualité des images que l’on réussissait à produire, en termes de définition et de créativité. C’était vraiment un point de vue que nous n’avions jamais eu sur de la nourriture ! Avec le Quest Pro, la définition de l’image est vraiment proche de la réalité. Une fois que nous avions mis en place les moyens techniques, nous avons travaillé une scénographie adaptée à notre caméra et à nos ambitions créatives. Pour que le set up soit homogène dans chaque épisode, nous avons choisi de tourner sur fond noir. Toutes les images ont été captées au milieu des cuisine des cheffes, ce qui nous permettait d’être au plus proche de leur travail et de capturer les textures, la fumée qui s’échappe du plat chaud, des petites choses qui nous permettent de proposer aux spectateurs une immersion fidèle et de presque sentir le goût des plats !

V. A. – Un des challenges était de rendre ce système de film compact pour pouvoir voyager facilement et sans une grosse équipe, ne serait-ce que pour pouvoir s’installer dans des cuisines exiguës. Le dispositif finalisé tient dans deux caisses, et requiert seulement deux personnes—ce qui était déjà en soi une prouesse. Ensuite, il fallait beaucoup de lumières—pour masquer la profondeur de champ notamment—mais une fois installé on pouvait tourner toute la journée et créer jusqu’à 2 minutes utiles par jour.
La question du format pour le documentaire VR
V. A. – Notre ambition constante, c’est de pousser l’industrie de la VR, de participer à la construction, de proposer une immersion plus parfaite à chaque projet. À l’origine, nous avions pesé le pour et le contre de la 6DOF, mais rapidement on s’est aperçu qu’il fallait privilégier la qualité visuelle. Proposer une série comme BEHIND THE DISH en 6DOF se serait fait au détriment de l’image. Nos tests en la matière n’étaient pas concluants—la nourriture avait l’air trop figée, pas assez appétissante. Pour l’avenir, nous n’excluons pas des adaptations en 6DOF si les technologies nous le permettent.

C. R. – Jusqu’ici nous avions plutôt dans notre ADN de proposer des formats un peu plus longs (une vingtaine de minutes pour nos précédents documentaires VR). Avec BEHIND THE DISH, nous avons voulu proposer un format de série plus court. Chaque épisode dure 10 minutes et propose un récit biographique de la vie des cheffes entremêlé d’une immersion dans leur quotidien. En filmant des styles culinaires très différents sur trois continents, nous voulions proposer une grande diversité visuelle et narrative. Seul un format sérialisé nous permettait de le faire. Dans BEHIND THE DISH, on passe d’anciennes plantations esclavagistes en Georgie à un marché de poissons japonais en passant par les cuisines de restaurants étoilés à Paris et à Londres, c’est cette grande richesse d’environnements qui fait la force de la série.

C. R. – On y retrouve comme toujours l’ADN de TARGO, avec la volonté d’aller chercher des profils et des récits singuliers et insolites. On tient à cette idée d’avoir des témoignages au cœur du récit, pour mieux incarner le sujet qu’on défend.
V. A. – Il y a ces éléments narratifs récurrents dont Chloé parle : des personnages forts, des lieux spectaculaires. Mais pour chaque documentaire, on veut inventer une nouvelle technique visuelle, on veut renouveler ce qui est perçu comme ‘possible’ dans ce format 360°. Dans SURVIVING 9/11, nous avions reconstitué New York pré-2001 grâce à des archives panoramiques et de la reprojection en 3D. Dans BEHIND THE DISH, nous créons un nouveau regard sur la nourriture avec cette caméra 3D mais nous intégrons aussi des éléments de ce savoir faire créé pour SURVIVING 9/11. Par exemple, les photos souvenirs personnelles des moments clés de la vie des cheffes s’affichent en 3D autour du spectateur, comme s’il était dans la scène avec elles. Ça nous permet de créer une vraie proximité. Pour nous c’est important de pouvoir créer du lien entre le spectateur et l’histoire grâce à la technologie—et aujourd’hui, notre expertise nous permet de mélanger toutes ces différentes techniques.

V. A. – D’un point de vue de la distribution, on réfléchit aussi au format qui se rapproche le plus des habitudes de visionnage que nous observons. Un format de 3 épisodes de 10 minutes, c’était bien plus adapté qu’un seul documentaire de 30 minutes : ça laisse le spectateur libre de choisir son épisode et ça rend le contenu plus facile à approcher. Pour nous en tant que créateurs, ça vient challenger nos formats traditionnels.
C. R. – Ce format de 10-12 minutes a été un vrai travail sur le rythme pour nous. On ne voulait surtout pas que le spectateur s’ennuie alors on a travaillé sur des épisodes courts, mais très séquencés. BEHIND THE DISH est très dynamique, on voyage beaucoup, il y a beaucoup de plans, de lieux, de plats, de musiques, de témoignages. De nombreux contenus en VR sont sur des rythmes de montage très lents, ce qui peut parfois être frustrant pour un public spécialisé de plus en plus demandeur de contenus plus rythmés.

Ouvrir la VR à la diversité
C. R. – Les femmes sont clairement sous-représentées dans l’industrie de la cuisine. Elles représentent environ 6% des chefs ! Nous avons voulu mettre en avant ces profils singuliers et souvent peu représentés. Ce sont aussi parmi les plus intéressants car pour les cheffes femmes, le parcours est semé d’embûches. La cheffe française étoilée Hélène Darroze (THE STARRED CHEF) a dépassé son héritage familial pour construire son propre parcours au sommet de la gastronomie ; la japonaise Yumi Chiba (THE SUSHI MASTER) a combattu un cancer du sein et les clichés sexistes pour devenir l’une des rares cheffes sushi au Japon ; la cheffe Afro-Américaine Deborah VanTrece “A TWISTED SOUL) défend les droits de la communauté LGBTQIA+ et réinvente la cuisine Soul Food après une carrière de 10 ans en tant qu’hôtesse de l’air. Chacun de ces récits est passionnant, avec des environnements différents, des identités visuelles à part entière.

C. R. – Et pour chaque chef, chaque établissement, il fallait adapter notre réalisation. Les cuisines sont des environnements avec des exigences fortes, l’espace est étriqué et dense. C’était un vrai challenge d’y placer une caméra 360 sans déranger. Évidemment la caméra “macro” donne de nouvelles idées sur ce qu’il est possible de faire en VR, en cuisine ou dans d’autres univers.
V. A. – Toutes les équipes avec qui nous avons collaboré ont été très bienveillantes et très curieuses de nos dispositifs VR. On a pu travailler ensemble sur la présentation des plats face à la caméra, le dressage pour s’assurer que le point de vue du spectateur était le plus spectaculaire… Nous avions clairement l’impression d’être privilégiés de pouvoir assister à ces instants de création, avec les cheffes en cuisine. Pouvoir capter ces instants, ces cuisines, c’est une vraie chance et on est ravis de pouvoir les diffuser au public ! Si les trois premiers épisodes parviennent à convaincre le public, on espère pouvoir travailler sur une suite—en allant chercher de nouvelles nourritures, de nouveaux portraits, de nouvelles destinations…
https://www.targostories.com/behind-the-dish
Précédemment…
Decoding XR: SURVIVING 9/11, Victor Agulhon, Chloé Rochereuil (Targo)
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