Après plusieurs années au coeur du Marché, et une présence réduite au profit d’une discussion plus élargie sur l’innovation avec Cannes NEXT, la réalité virtuelle (et la création immersive dans son ensemble) revient en force au coeur de la Sélection Officielle du Festival de Cannes ! Alejandro González Iñárritu avait ouvert la voie dès 2017 ; désormais ce sont 2 sélections complètes d’oeuvres que les festivaliers pourront découvrir sur les dix jours de l’événement. Explications sur ce changement d’envergure avec Thierry Frémaux, Délégué général du Festival de Cannes, et Elie Levasseur, Immersive Competition Project Director.
Cover: HUMAN VIOLINS – PRELUDE (multi-user version), Ioana Mischie
L’immersif est de retour (en Sélection Officielle)
XRMust – Cannes ayant déjà un historique de programmation sur l’immersif côté Marché, pourriez-vous revenir sur la création de la Compétition Immersive en sélection officielle (une première depuis 2017) ? Et l’intérêt du Festival pour l’innovation, qui vient rejoindre les festivals de premier rang à proposer une sélection XR en compétition officielle ?
Elie Levasseur, Immersive Competition Project Director – Je crois que l’on se trompe si l’on interprète le lancement de la Compétition Immersive comme une volonté du Festival de courir après une mode… Le Festival de Cannes a toujours été animé par un esprit indépendant et pionnier. Le Festival de Cannes a ainsi été le premier à projeter des films numériques, et le premier à avoir sélectionné une expérience VR dans sa sélection officielle avec CARNE Y ARENA d’Alejandro González Iñárritu. Cet esprit visionnaire, le Festival de Cannes l’a toujours incarné. Il faut simplement prendre la mesure de ce que représente le lancement d’une nouvelle compétition. Créer une Compétition Immersive soulève nécessairement un certain nombre de questions qui s’inscrivent dans le temps long, qui nécessitent aussi d’avoir un minimum de recul sur la manière dont les artistes s’approprient ce nouveau médium, sur la manière dont ce nouveau médium va pouvoir s’inscrire de manière pérenne dans l’histoire des arts narratifs. C’est là, je crois, une différence essentielle : la Compétition Immersive aborde la question de l’innovation, mais par le prisme artistique, là où le Marché du Film peut être beaucoup plus réactif et sensible à l’innovation technologique elle-même.

Compétition Immersive (lien)
- EN AMOUR, Claire Bardainne, Adrien Mondot, Laurent Bardainne
- EVOLVER, Barnaby Steel, Ersin Han Ersin, Robin McNicholas
- HUMAN VIOLINS – PRELUDE (multi-user version), Ioana Mischie
- MAYA: THE BIRTH OF A SUPERHERO, Poulomi Basu, CJ Clarke
- COLORED, Tania de Montaigne, Stéphane Foenkinos, Pierre-Alain Giraud (voir notre interview)
- TELOS I, Dorotea Saykaly, Emil Dam Seidel
- THE ROAMING, Mathieu Pradat
- TRAVERSING THE MIST, Tung-Yen Chou
Sélection Immersive (Oeuvres Non-Compétitives) (lien)
- SPHERES, Eliza McNitt (voir notre interview)
- NOTES ON BLINDNESS: INTO DARKNESS,Arnaud Colinart, Amaury La Burthe, Peter Middleton, James Spinney
- MISSING PICTURES: NAOMI KAWASE, Clément Deneux (voir notre interview)
- GLOOMY EYES, Fernando Maldonado, Jorge Tereso (voir notre interview)
- EMPEREUR, Marion Burger, Ilan J. Cohen (voir notre interview)
- BATTLESCAR, Martin Allais, Nico Casavecchia (voir notre interview)

XRMust – Comment s’est déroulé la programmation, avec quel comité et quels objectifs pour cette première édition ? Quel regard portait le comité de sélection sur les formats et narration d’une industrie immersive très protéiforme aujourd’hui (notamment sur le hors casque, VR, AR, MR…) ?
E. L. – Le comité de sélection a réuni quatre experts indépendants, des membres de l’équipe autour du Délégué Général du Festival de Cannes. Nous étions mus, pour cette sélection, par deux objectifs essentiels :
Le premier était d’illustrer par notre choix que les technologies immersives sont à l’origine d’une nouvelle forme artistique. Pour cela, il nous semblait incontournable de montrer la capacité du médium à pouvoir s’emparer d’intentions artistiques différentes, et supporter différentes formes d’expression. Nous devions montrer que la capacité qu’a le cinéma à pouvoir raconter des histoires de différents genres, depuis différents points de vue, selon différents types de structures narratives, que cette richesse qui fait du cinéma un médium, était transposable. Mieux, que l’immersif permettait d’envisager d’autres typologies de narration, différentes de celles qu’on a l’habitude de voir à l’écran. Des narrations interactives, des fictions multisensorielles, des documentaires en réalité mixte qui s’incarnent dans votre environnement réel immédiat, des histoires vécues à la première personne… Au travers de cette sélection et ces 8 œuvres, c’est le potentiel du médium immersif que nous avons voulu célébrer.

Notre deuxième objectif était d’adresser la cible particulière que sont les professionnels du cinéma. Notre public étant particulièrement attaché aux expériences collectives et à la narration, nous avons pensé qu’il était important de démystifier l’idée selon laquelle la narration immersive s’adresse principalement aux “gamers” ou répond à un mode de consommation individualiste. En choisissant des œuvres volontairement narratives et collectives, nous espérons donner aux professionnels du cinéma, ce désir de venir explorer ce qui est vraisemblablement encore pour beaucoup, un nouveau territoire d’expression et de plaisirs narratifs…
XRMust – Comment s’organise la présentation des œuvres sur place ? Espace de diffusion, modalité d’accès, jury etc.
E. L. – Il est essentiel pour nous de pouvoir offrir la même qualité de traitement aux œuvres immersives qu’aux longs-métrages dans la manière de les considérer et de les présenter au public. Présenter les œuvres immersives à l’intérieur du Palais n’offrait pas ces garanties. Notre choix s’est alors porté sur deux espaces situés l’un en face de l’autre : le Cinéum de Cannes et l’Université Côte d’Azur. Cumulés, ces 2 espaces nous offrent une surface d’exposition de 1300m2. Par ailleurs, depuis 3 ans, le Cinéum est un lieu officiel du Festival de Cannes où sont projetés des films en Compétition Officielle. En mettant en place des navettes gratuites toutes les 6 à 12 minutes pour faciliter les transports, près de 35 000 spectateurs se sont rendus sur place pour assister aux projections l’année dernière. Cela devrait offrir une très belle visibilité à l’exposition qui se trouvera au rez-de-chaussée. Pour éviter les attentes, un service de réservation dédié aux œuvres immersives et accessible depuis notre site web sera mis en place une semaine avant l’ouverture.

Des intentions renouvelées sur les formats immersifs
A terme le festival souhaite-t-il proposer en parallèle une sélection officielle, mais aussi des conférences, marché et activités B2B ?
Thierry Frémaux, Délégué général du Festival de Cannes – La raison d’être du Festival de Cannes est de mettre en valeur le meilleur du cinéma afin de contribuer à son évolution et d’encourager le développement de l’industrie du film dans le monde. À long terme, nous souhaitons parvenir au même résultat pour les œuvres immersive que nous exposons et il est indéniable que la distribution en est l’un des enjeux majeurs. Grâce à la Sélection officielle et au Marché du Film, nous disposons de deux leviers puissants pour créer des opportunités et soutenir la distribution d’œuvres immersives dans le monde entier. Présenter une œuvre à Cannes participera fortement à son rayonnement. Cette compétition est là pour donner un écho à de nouvelles voix et à de nouvelles approches artistiques, le tout afin de tisser un lien nouveau avec l’industrie et avec le grand public.

E. L. – Avec Cannes Next, le Marché du Film sera en mesure de proposer, comme chaque année, un nombre de conférences et d’événements susceptibles d’intéresser les professionnels de la XR et de l’IA. La possibilité de proposer des activités de marché dédiées aux formats immersifs en 2025 fait partie de notre réflexion, mais il est un peu trop tôt pour en parler de manière détaillée.
XRMust – Un hors compétition centré sur la société Atlas V, et des projets emblématiques de ces dernières années ; comment a émergé cette proposition, et s’est construit ce line-up ? La volonté est-elle de proposer une carte blanche chaque année ?
E. L. – Je n’appellerais pas cela un hors-compétition, ni même une carte blanche car même si Atlas V a conçu la scénographie de cet espace, nous avons été à l’initiative de ce concept : Ce que nous souhaitions faire, à l’image de nombreuses expositions muséales, c’est contextualiser les œuvres et proposer une exploration du médium à travers le parcours d’une de ses figures les plus éminentes, en l’occurrence ici, le studio Atlas V. En effet, Atlas V est un studio qui se distingue, je crois, à la fois par la qualité de son catalogue et par sa capacité à tracer un sillon unique dans l’histoire des arts narratifs, à la croisée des chemins entre cinéma et réalité virtuelle. Le résultat est une exposition intitulée “Le cinéma hors du cadre, une introduction à la réalité virtuelle”. Nous ne sommes pas encore à l’heure d’un bilan, pour savoir si nous allons reconduire ce type d’exposition, mais j’aime à penser qu’une partie de la reconnaissance de ce médium en tant que nouvelle forme artistique, se joue dans sa capacité à changer le regard que le public ou les médias projettent sur lui. Il est temps, je crois, de développer une distance réflexive, de sortir de la sidération purement technologique et d’inscrire la création immersive dans le temps long de l’Histoire des arts narratifs. C’est à cet ancrage que nous essayons de contribuer.

Le site de réservation pour la Compétition Immersive
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